Un compositeur russe du XIXe siècle, la bande originale la plus vendue de tous les temps, Apocalypse Now, un clip hyper violent et polémique… La genèse du morceau “Stress“ de Justice nous replonge dans bien des histoires.
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Il y a peu de clips qui ont autant fait polémique. Lorsque Justice sort celui de “Stress” le 1er mai 2008, les critiques sont vives, très vives. Huit gamins de banlieue filmés en 16 mm, tabassant des passants, brûlant une bagnole, vandalisant un bar ou rackettant les touristes à Montmartre, équipés de blousons flanqués de la fameuse croix du groupe.
À la baguette, Romain Gavras, cofondateur du collectif Kourtrajmé. Rapidement, les accusations de racisme pleuvent. Montrer ces jeunes mecs noirs et arabes terroriser des Blancs ne plaît pas à tout le monde. Interdiction de diffusion à la télévision française, plainte du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples…
Un titre qui détonne
Pourtant, le réalisateur et le groupe nient toute intention de la sorte : “Nous nous attendions à quelques problèmes évidemment, mais certainement pas sur ces sujets, comme le racisme, avouait Gaspard Augé, moitié de Justice, au site The Quietus. Il ajoute. :
“On voulait faire une vidéo violente, parce que la chanson est violente. Si les gens voient du racisme dans la vidéo, c’est certainement parce qu’ils pourraient avoir un problème avec le racisme eux-mêmes : ils ne voient que des Noirs s’en prendre à des Blancs, ce qui n’est pas ce qui se passe dans la vidéo.”
Il est clair que le morceau ne pouvait être agrémenté que d’un clip malaisant, au mieux. Sa tension constante, son agressivité en ont fait l’un des titres les plus à part et les plus marquants du premier album du duo français, Cross, sorti un an plus tôt. C’est sûr qu’au milieu des hits mondiaux “D.A.N.C.E.” ou “DVNO”, “Stress” détonne.
La tension du disco
Cette tension provient grandement du son strident passé en boucle, qu’on croirait sorti d’un film d’horreur. Alors oui, il sort bien d’un film, mais pas franchement effrayant puisqu’il s’agit d’un sample de la bande originale de Saturday Night Fever, sortie en 1977. Un succès planétaire qui en fait la BO la plus vendue de tous les temps, et de loin, ainsi que le septième album le plus vendu de l’histoire.
“Night on a Disco Mountain” est une pièce d’orchestrations symphoniques, bien éloignée des morceaux des Bee Gees (“Stayin’ Alive”, “Night Fever”, “How Deep Is Your Love”, “More Than a Woman”, “You Should Be Dancing”…), du réjouissant disco caribéen de Ralph MacDonald (“Calypso Breakdown”), des indéboulonnables Kool & The Gang (“Open Sesame”) ou des kitsch The Trammps (“Disco Inferno”) qui peuplent ce disque culte.
Dès les premières secondes de “Night on a Disco Mountain”, le leitmotiv de “Stress” apparaît. Plus lent, plus calme, moins agressif, mais déjà porteur de la tension recherchée par Justice. L’extrait samplé est court, et c’est ce qui fait son intérêt. Il y a dans “Stress” une répétition qui donne l’impression que le son est continu, alors qu’il s’agit d’une boucle.
C’est David Shire qui en est le compositeur. Cet Américain a débuté dans les musiques de films en 1971 en assurant celle du western Le Dernier Train pour Frisco. Il n’égalera jamais la renommée d’Ennio Morricone dans le domaine, certes, mais sa réputation de cador l’a tout de même amené à composer la bande originale du film Apocalypse Now. Enfin presque, puisque sa proposition a finalement été rejetée pour laisser la place au projet de Carmine Coppola et de son père Francis, qui réalise ce chef-d’œuvre cinématographique.
Une histoire russe
Le plus curieux, c’est que “Night an a Disco Mountain” est en fait l’adaptation d’une autre œuvre : “Night on a Bald Mountain” du compositeur russe Modeste Mussorgsky. Écrite en 1867 autour du thème de la sorcellerie, elle est ici partiellement revisitée par David Shire, qui garde les principaux arrangements harmoniques et mélodiques, mais qui, évidemment, dote le tout d’une batterie disco plutôt sophistiquée et d’une guitare électrique. Même si vous n’êtes pas franchement branché disco, le résultat vaut le coup d’œil.
Encore aujourd’hui, le clip de “Stress” fait office de cas d’école. Rassemblant les univers de La Haine, de Kourtrajmé et des films de Kim Chapiron (la violence et la hargne de Dog Pound, le malaise de Sheitan…), il synthétise les techniques et le style de Romain Gavras, qui avait auparavant travaillé pour le rappeur Rocé, pour Didier Super, la Mafia K’1 Fry et Simian Mobile Disco. La suite, ce sont des clips aux budgets pharamineux, notamment ceux de “Bad Girls” de M.I.A. ou “Gosh” de Jamie xx. Autre style, autres coups de maître.