Jimy, son EP inaugural, vient peut-être de sortir mais il ne marque en rien le début d’une carrière, puisqu’elle est déjà bien entamée. À 26 ans, Aloïse Sauvage collectionne les casquettes. Du cirque au théâtre, en passant par la danse et le 7e art (on l’a découverte dans l’acclamé 120 Battements par minute), rares sont les domaines auxquels cette pluridisciplinaire affirmée ne s’est pas encore frottée. Elle ajoute désormais une corde à son arc en sautant à pieds joints dans la musique.
À voir aussi sur Konbini
Un disque, cinq titres. Par le biais de ces derniers, Aloïse explore des thématiques générationnelles qui lui sont chères comme l’amour, l’acceptation de soi mais encore et surtout la liberté. Une liberté protéiforme dans son cas, qu’on identifie grâce à ses va-et-vient entre les différentes formes d’art qu’elle affectionne mais aussi dans ses prestations scéniques, toujours élaborées.
Afin de mieux cerner cette artiste intrépide, celle-ci a bien voulu nous rencontrer pour parler ambitions, surmenage et, évidemment, production musicale.
Konbini | Admettons que je n’aie jamais entendu parler de toi. Comment tu te présenterais ?
Aloïse Sauvage | Je m’appelle Aloïse Sauvage, j’habite à Paris mais je viens de banlieue, du Mée-sur-Seine dans le 77. Je suis passionnée par plein de trucs dans les arts vivants. Du coup, je tente d’équilibrer ma vie entre le cinéma, la danse, le cirque contemporain, la musique…
Ça fait beaucoup quand même, non ?
Ça fait beaucoup ouais, donc c’est pas très facile d’équilibrer [rires]. Mais voilà. Les gens disent plus peut-être artiste pluridisciplinaire. Un peu hybride. En tout cas, j’essaie de rester libre dans ce que je fais. Après forcément, je suis actrice au cinéma, danseuse dans les spectacles, maintenant chanteuse avec mon projet musical, donc un peu tout se rejoint au bout du compte. C’est juste le support qui change. Là il s’avère que je parle plus de mon projet en musique parce qu’il sort. Sur scène, j’essaie d’incorporer tout ce que je connais.
Tu fais ça comment par exemple ?
De manière assez instinctive en fait. Il n’y a pas longtemps, j’ai fait les Transmusicales [à Rennes], c’est la première fois que j’avais un live d’une heure. Sinon avant, j’ai pu faire des petits “shots” de morceaux dans plusieurs festivals. Mais cette fois-là, il y avait plus une cohérence puisque j’avais une heure rien qu’à moi. Forcément, je danse car je bouge tout le temps. J’aime bien improviser aussi, j’aime beaucoup être en interaction avec le public.
Et puis rajouter d’autres petits éléments au fur et à mesure mais très subtilement, avec des techniques plus liées au cirque dans l’ensemble, comme le micro suspendu qu’on voit dans la vidéo de “Présentement”. Il s’agit de réfléchir au fur et à mesure sans être dans une démonstration qui ne sert à rien. Parce que je sais faire beaucoup de choses mine de rien avec tout ce que j’ai accumulé. Mais j’aime rendre le show plus joli, on va dire.
Tu touches à plusieurs formes d’art, mais t’as commencé par quoi ?
Ça dépend si tu veux dire de façon professionnelle ou non… La première fois, c’était à 8 ans, avec la flûte traversière. Après j’ai très vite dansé. Puis le break. Ensuite au collège, j’ai fait en plus de la batterie, du saxophone, du théâtre. Un peu tout en même temps en fait, pour le coup.
Ça ne t’a jamais pris la tête de justement tout mélanger ?
C’est fatigant pour la vie. Je mets déjà beaucoup d’énergie, je passe ma vie à ça. Personnellement, parfois, c’est pas facile pour les proches de comprendre. J’ai une famille très aimante, mais je parle plus des amis ou des amours.
C’est compliqué de tout concilier.
Oui mais bon, c’est ce que j’essaie de faire du mieux que je peux car je n’ai pas envie de passer à côté de ma vie.
© Zenzel
T’as l’air tout de même globalement satisfaite de ton parcours jusqu’ici.
Ouais, carrément. Si tu veux, je suis contente parce que j’ai réussi à mettre un pied dans tout ce que je voulais donc maintenant j’ai l’impression qu’il faut poser les pierres pour continuer en fait. Là, c’est des naissances diverses et variées. C’est assez excitant quand même. En tout cas, j’ai touché tout ce que je voulais toucher à peu près du bout des doigts.
Il n’y a pas une autre corde que tu aimerais rajouter à ton arc ?
Il faut que je me calme [rires]. Il y en a trop déjà. Après, pour moi, tout se rejoint. Sur scène, je chante, je bouge, je fais de la vidéo. Je suis très curieuse, j’aime apprendre. En tout cas, j’essaie déjà d’expérimenter et de progresser dans ce que je fais déjà. Il y a quand même beaucoup de choses à faire. Dans la musique par exemple, je suis un bébé. Ça fait un an, c’est les débuts. Tout est un début.
Niveau musique, ton premier EP vient de sortir. C’était quoi ton implication ?
Moi, j’aime bien tout contrôler. Après, je ne suis pas compositrice. J’ai travaillé avec deux producteurs, Josh et Le Motif. Le Motif, plutôt à la réal’, et Josh au beatmaking. Donc ça partait souvent d’une boucle de Josh que j’aimais bien et ensuite j’écrivais par-dessus. Tout ce qui est texte, c’est moi. Parfois il y a des choses que je veux écrire et que j’ai accumulées en notes, et ensuite je les mets au blender avec la mélodie. Le Motif venait envelopper tout ça pour peaufiner le rendu final. Mais j’étais là de A à Z en studio.
Niveau écriture, pour toi, c’est un peu une passion qui remonte, on dirait.
Ouais, grave, ça remonte. Je kiffe écrire des poèmes depuis que je suis petite. Plutôt des raps, des slams.
Tu pensais que ça allait évoluer en musique ?
Non, franchement pas. Après, c’est moi qui l’ai provoqué parce qu’il y a un an et demi, j’ai partagé mon premier clip sur YouTube, sur Facebook, etc. J’avais déjà préparé un EP de quatre titres mais je voulais le faire en plus du reste. Je ne m’attendais pas à un tel engouement pro venant de la sphère musicale. C’est ça qui est un peu déstabilisant : je m’attendais à rien de tel, même si je suis quelqu’un de très ambitieux et je l’assume volontiers, donc je l’ai vécu un peu comme si j’étais en train de changer de vie.
Plutôt déstabilisant, en somme.
Oui, puis forcément, quand t’es plus visible – petit à petit hein, à mon échelle qui est ridicule –, ça change quand même les choses.
Au niveau de ton écriture, c’est quoi qui t’inspire ? T’es en studio, tu te laisses emporter par le processus créatif ou c’est un truc qui va te tarauder avant et tu vas vouloir bosser là-dessus ?
En fait, ça dépend. Par exemple, pour la chanson “Jimy”, je voulais partir d’un sentiment personnel (que ce soit moi ou quelqu’un d’autre, car je ne raconte pas toujours des choses qui sont liées directement à moi) et j’ai réfléchi peut-être davantage. Mais sinon, comme la chanson “Parfois Faut”, c’était comme un crachat, j’ai pas réfléchi, c’était juste une émotion vive, c’est presque plus une intention désintéressée.
Mais souvent, je parle quand même de mes émotions et de thématiques qui reviennent, comme l’amour, la liberté, l’émancipation, l’acceptation de soi… Mais j’écris tout le temps. Je collectionne des notes que parfois je rassemble autour d’un thème commun. Mais je suis quand même assez premier jet en tout cas, je ne retouche pas trop.
C’est une technique un peu patchwork, quoi.
Soit un patchwork basé sur une émotion, une couleur, soit alors pas un patchwork du tout et ça se passe de A à Z en studio, je me lance sur un truc spontané. Je suis assez spontanée dans l’écriture dans l’ensemble. C’est d’ailleurs en studio que j’ai écrit quasiment tous mes morceaux, en fait.
C’est rare, ce n’est pas toujours le cas.
Non, c’est pas toujours le cas. Et souvent, on me dit que j’écris très vite parce qu’en quelques heures, on a le morceau.
Tu penses que ça reflète ta personnalité, cette façon impulsive de fonctionner ?
Oui et non. Oui, parce que je m’autorise vachement plus à ça et c’est aussi comme une forme de protection, de défense peut-être. C’est-à-dire que je pousse ma liberté, mon instinctif très loin, mais c’est pour contrer peut-être un cerveau très compliqué. J’analyse beaucoup, j’intellectualise beaucoup, je suis hyper sensible. Donc j’essaie de trouver mon équilibre là-dedans.
Sinon je ne ferais rien, car je serais trop perfectionniste. C’est un vrai paradoxe, mais j’aime bien car ça me permet de favoriser l’instant T, la capture d’un moment. Cet EP, c’est ça, c’est un moment de ma vie. Par contre, ensuite, j’analyse et je prends du recul là-dessus.
Tu penses que ton art, justement, t’aide avec cette introspection ?
Oui, je crois. Puis à extérioriser mes émotions et à m’alléger un peu pour essayer de vivre plus sereinement par la suite.
Pour beaucoup, l’art est quelque chose de thérapeutique. C’est un exutoire. Pour toi, c’est le cas ?
Oui, complètement. C’est thérapeutique, c’est sûr. Après je pense que ça va être thérapeutique à vie, je ne suis pas sûre que ça me guérisse à un moment donné. Mais oui, ça me fait beaucoup de bien. Et j’aime écrire, c’est ludique, ça vient tout seul. Maintenant en vient l’attrait d’en faire des chansons, d’en faire quelque chose de plus créatif mais ça reste assez jouissif.
T’as évoqué les thématiques qui te touchaient : l’amour, la liberté, l’acceptation de soi… C’est les thèmes de cet EP ?
Oui, on peut dire ça.
Et est-ce que ça se ressent dans le côté musical, au niveau de l’instru, etc. ?
Mmh, oui. Oui, je crois. Après au début, je partais d’un brief de départ mais il a dévié. Des prods comme “Jimy” ou “À l’horizontale” n’étaient pas du tout anticipées. J’ai mis pas mal de violons, pas mal de cordes si on fait bien attention, tout en gardant une production assez actuelle, assez urbaine que j’assume volontiers. J’avais envie de garder mon côté hip-hop en ajoutant du mélodique.
T’aimerais continuer à développer ta musique à travers un album ?
Ouais, j’aimerais faire un album. Clairement, moi, je pourrais faire un autre EP dans un style totalement différent peut-être. Mais ce qui va se faire, c’est plutôt un album parce que je suis accompagnée donc les gens autour cadrent peut-être plus. Mais je trouve que la musique se partage et se consomme tellement vite aujourd’hui qu’il n’y a plus vraiment de codes. Tu peux même sortir des titres comme ça, sans réfléchir. Ça vit autrement.
Pas dans l’immédiat, tu veux peut-être te poser non ?
Pas dans l’immédiat, mais assez rapidement quand même.
T’as des projets ciné en parallèle ?
Oui, j’en ai tourné deux cet automne qui sortiront à l’automne prochain. Là, c’est plus des castings et des rencontres. Je peux pas trop en parler car c’est pas encore acté. Mais bon, c’est plus compliqué que la musique [rires].
Le côté musical, tu te sens plus en contrôle, j’imagine ?
Oui, forcément. La musique, c’est mon projet personnel donc je gère, j’ai mon planning. Pour le cinéma, je dépends des autres. Là actuellement par exemple, je laisse des trous hypothétiques pour du cinéma. Je suis obligée d’y aller à tâtons. On va voir au fur et à mesure, je ne veux pas avoir à me restreindre. Mais je ne veux pas arrêter le cinéma pour la musique, non.
T’as eu des regrets jusqu’ici ?
Non. Non car je ne serais pas là aujourd’hui avec toi, à avoir fait un EP aussi rapidement.
T’as bossé combien de temps sur cet EP ?
On a enregistré une semaine en janvier et je l’avais écrit en novembre. Deux semaines, je dirais, en tout.
© Zenzel
Tu cumules quand même beaucoup les projets, t’enchaînes pas mal de trucs. Est-ce qu’il y a des moments off que tu t’autorises pour respirer un peu ?
Je me les autorise, mais là cette année, j’ai vraiment été au bout de mes limites. Là je m’ordonne des temps off parce que sinon je vais mourir. Enfin, pas mourir littéralement, mais juste je ne peux pas tenir le rythme. Je pars en week-end, je prévois des voyages. Je fais des projets de vie aussi, parce que j’ai peut-être mis trop ça de côté jusqu’ici.
Comment tu le ressens quand t’as dépassé tes limites ?
Tu le ressens quand on te demande si ça va et que tu réponds que t’es fatiguée. Pendant un an, deux ans. Tu le ressens quand tu n’arrives plus à prendre du recul sur ce que tu fais. T’es toujours dans le futur. Tu le ressens quand t’as des émotions qui te rattrapent. T’as des vagues de mélancolie, de déprime, qui te montrent que t’es en surmenage. Même si je suis sujette à ça car je suis hyperactive, j’aimerais un peu moins le vivre.
Sur ta chanson “Ailleurs Higher”, c’est une chanson bilingue. Tu prévois d’en faire d’autres dans ce genre-là ?
En fait, tu vois, je parle pas bien anglais, ça s’entend dans la chanson que j’ai un accent de merde [rires]. Mais vraiment, c’était pas réfléchi, encore une fois. Juste, le refrain est venu en anglais, un peu plus chamallow. Je pourrais, en tout cas, mais clairement le français, j’adore. Mais s’il y a un refrain qui devrait être en italien parce que ça sonne bien ou rythmiquement ça apporte quelque chose, j’irai. Pas de limites.
Tes influences, elles se situent où ? Plutôt côté chanteurs, plutôt côté poésie ?
Les influences musicales, j’ai du mal à les citer. Moi, mes références, c’est plus des gens qui sont des exemples de la multiplicité des activités comme j’aime le faire. Comme Charlotte Gainsbourg, par exemple. Ou après des références plutôt du cirque contemporain ou du théâtre physique. Des choses singulières. En musique, j’écoute énormément de choses. J’écoutais beaucoup de rap étant jeune et j’en écoute encore actuellement. Maintenant je suis de la génération des applications de musique, j’écoute toutes les sorties chaque semaine. Je mélange tout.
Pour toi, le rap, est-ce que c’est un des styles les plus poétiques ? Ou tout du moins le plus propice à cela ?
Ça dépend lequel. Et ça dépend de ce qu’on appelle poésie aussi. C’est pour ça que je différencie la poésie de l’écriture, car il y a des choses que j’écoute qui ne sont pas forcément poétiques mais qui sont très bien écrites.
Dans ton dernier morceau “Présentement”, à la première écoute, ça m’a évoqué PNL.
Ah ouais ? C’est génial ! PNL, j’ai vachement écouté. Mais PNL, c’est pas tant l’écriture, c’est la vibe, c’est l’énergie. C’est un beau compliment en tout cas.
Les autres clips que t’as pu faire, c’est aussi toi qui es aux commandes ?
Ouais, c’est moi qui ai réfléchi à ce que je voulais. J’ai écrit le truc quand il y avait matière, comme “Hiver brûlant” où j’avais vraiment bossé sur un déplacement chorégraphique. C’est mon meilleur ami Zenzel qui s’est chargé de filmer.
C’est cool, ton meilleur pote t’aide sur ça, ta sœur qui t’aide aussi niveau créa, il me semble…
Ouais, mon meilleur ami, c’est celui qui a fait ma pochette aussi. Ma petite sœur, elle a fait un visuel sur chacun des titres de l’EP. Je lui ai proposé pour la faire bosser parce qu’elle n’a pas confiance en elle, donc je l’ai embauchée. J’adore ce qu’elle fait. Clémence Sauvage sur Instagram, il faut la suivre. Elle déchire.
C’est important pour toi de faire travailler les gens qui t’entourent ?
Ah oui, c’est important. C’est pas tant de faire travailler mais mettre en avant ceux en qui je crois et que je trouve talentueux. On est ensemble, on est une équipe. Si je peux les aider avec le peu de visibilité que j’ai, alors je le fais. On m’a donné des opportunités, alors j’essaie de faire pareil avec les gens que j’estime. Je ne fais pas les choses pour l’argent. Enfin ça n’a rien à voir mais j’ai fait beaucoup de projets où je n’étais pas payée, beaucoup de courts-métrages, parce que si ça me plaît artistiquement, je fonce.
T’es vraiment là pour l’art et pas nécessairement pour les bonus qui vont avec.
Les bonus qui vont avec, ils sont cool parfois. Mais d’autres fois, c’est angoissant.
La visibilité, peut-être ?
Ouais, c’est un peu angoissant. Après ça va, je suis à l’aise avec tout ça mais c’est pas mon kif. S’il faut faire le show, je fais le show. Mais une fois que j’ai fini, je vais boire une tisane et je vais me coucher. C’est un peu ce délire-là. La visibilité, ça fait un peu peur car ça a rapport à toi, à ta vie personnelle, il y a un truc un peu destructeur de ton domaine intime.
Dans 5 ans, tu te vois où ?
Dans 5 ans, deuxième album, pas mal de films. Peut-être un enfant, je ne sais pas [rires]. Un projet musique bien développé. Sur scène, une vraie proposition scénique. Peut-être un ou deux rôles principaux au cinéma. Faire des vidéos de danse aussi, j’aimerais bien. Mais toujours dans l’artistique : épanouie et toujours surprenante.
Dernière question que j’aime bien poser : qu’est-ce que t’aimerais que les gens sachent sur toi ? Ça peut être n’importe quoi.
C’est dur. Je ne sais pas ce que les gens ont envie de savoir de moi parce qu’ils savent déjà tant de choses, et en même temps sûrement pas tout. J’aimerais sans doute qu’ils sachent que je suis quelqu’un de libre et que je le resterai.