Ancienne Lyonnaise ayant déménagé à Londres, Lala &ce sortait début juin son premier véritable projet solo intitulé Le Son d’après. Une mixtape de 12 titres infusée de tempos empruntés aux scènes hip-hop américaine et africaine. À ce mélange déjà dense, Lala &ce ajoute les intentions primitives du rap français : se démarquer des autres projets rap et des préjugés qu’il renferme.
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Pour ce faire, elle s’associe d’abord avec le collectif 667, aux côtés de Jorrdee. Forte de ses expériences avec l’ensemble des membres – situés entre Paris et Dakar –, elle dévoilait “Serena”, premier titre de l’opus Le Son d’après, imaginé pour célébrer Serena Williams, une personnalité qui l’a beaucoup inspirée plus jeune. Entre authenticité et spontanéité, sa mixtape l’impose alors comme l’une des figures montantes du rap français. Entretien avec une artiste assurée, déterminée et soucieuse d’apporter une touche singulière au hip-hop.
Konbini | Hello Lala &ce ! C’est ton premier projet sérieux après des années dans le rap, pourquoi avoir attendu aussi longtemps ?
Lala &ce | Je ne suis pas particulièrement pressée, je ne l’ai jamais été. Aujourd’hui, les gens veulent tout maintenant, tout de suite et réussir en un hit. Mais la patience, c’est bien aussi et faire des morceaux qui s’installent dans le temps, qui restent dans les esprits, c’était plutôt ça ma véritable motivation pour un premier projet.
Je fais beaucoup de trap en plus, qui est un style de rap très éphémère. C’est pas comme du Michael Jackson où t’écoutes les morceaux pendant des années sans t’en lasser, donc c’était un bon rythme pour moi de sortir mes sons de temps en temps, sur le coup.
Selon moi, pour un premier projet sérieux, il faut aller plus loin que la trap ou au moins lui apporter d’autres sonorités et ça, ça prend plus de temps. Il y a aussi ce côté où, je sais que c’est ce que je veux faire de ma vie, la musique c’est ma passion, donc je ne voulais pas m’empresser de faire un truc alors que j’ai encore des années devant moi pour préparer un résultat qui me convient.
Sur la pochette, tu fais aussi un lien avec le pochon de roses présent dans “Bright”, c’était important pour toi ?
Disons que c’était un moyen pour moi – vu que le titre de la mixtape est Le Son d’après – de présenter la musique comme une drogue un peu édulcorée. J’aimais bien la métaphore. Je trouvais ça important aussi de faire un clin d’œil à ceux qui sont là depuis que ce pochon de roses est apparu pour la première fois dans le clip de “Bright”. Ça fait grave plaisir de voir que certains avaient la réf’.
Tu habites à Londres, est-ce que la scène hip-hop britannique t’a influencée dans la création de l’album ?
Non, pas vraiment. Être restée à Londres, c’était surtout un moyen pour moi de rester concentrée sur ma carrière, d’être un peu loin de mes proches, de me recentrer. Londres m’a influencée c’est vrai, mais du coup pas tant sur le plan musical, plutôt dans les conditions dans lesquelles j’y vis.
Niveau inspiration pure et dure, c’est vers le rap cain-ri et cain-fri que je me tourne surtout. Même si les Français essaient de faire leur propre sauce en termes de hip-hop, il y a une toute une nouvelle vague de rappeurs en France, pour qui les vibes du rap américain sont clairement infusées dans leur ADN musical. Je pense à Hamza notamment, mais ils sont super nombreux ! Les Anglais eux, font un truc très marginal, qui ne me touche pas vraiment pour l’instant.
Par contre, dans le rap américain en ce moment, je kiffe les sons des meufs. Rico Nasty, Megan Stallion… C’est chanmé ce qu’elles font ! On voit enfin différents styles de femmes faire du rap, ça fait du bien ! J’espère que ça arrivera jusqu’en France.
© Amanda Searle
C’est pas trop difficile de gérer une carrière à distance ?
Non, justement moi ça me plaît. Je ne suis pas encore super connue, mais le fait d’être au Royaume-Uni, ça me permet vraiment de vivre ma vie sans avoir à me soucier vraiment de si je vais être vue ou non. Et puis… Ça me laisse l’opportunité de me déconnecter quand je rentre chez moi.
Contrairement à Chilla ou Shay, tu sembles réussir à passer entre les mailles du filet quant aux questions autour du fait que tu es une rappeuse dans un monde d’hommes, pourquoi penses-tu qu’on t’épargne un peu plus ce sujet-là ?
Je pense que comme j’ai évolué avec un collectif de mecs, la question s’est d’abord moins posée. Maintenant que j’ai une petite communauté, les gens essaient toujours d’en revenir à cette thématique-là, en l’amenant différemment car ils savent au fond que les femmes du rap en ont marre de devoir justifier pourquoi elles sont là.
Ce que je réponds en général, c’est que le rap avance comme la société : les femmes commencent à arriver dans ces milieux jusqu’alors très masculins, c’est génial, malheureusement ces évolutions prennent du temps. Pour moi ça n’a pas vraiment été un obstacle, je n’ai pas vraiment envie de revendiquer quoi que ce soit. Je suis une personne normale, j’ai rien de moins ou de plus qu’un autre alors je ne vois pas pourquoi je n’aurais pas été légitime à faire du rap.
Tu n’hésites pas à affirmer ta sexualité, et plus particulièrement ton homosexualité en chanson et à travers tes visuels, ce qui est pourtant très tabou dans le monde du rap…
J’essaie juste d’être qui je suis et de rester la plus honnête possible vis-à-vis de ceux qui me suivent. J’ai des origines africaines alors tu sais, ça n’a pas toujours été facile pour moi d’assumer cette facette-là. Maintenant que c’est le cas, j’essaie de me rappeler que les seules personnes à qui je dois rendre des comptes, ce sont mes parents.
Pour le reste, libre aux gens de choisir s’ils peuvent m’accepter telle que je suis, ou pas. Ça ne relève plus de moi. C’est un peu pour la même raison que j’avais pas fait de véritable projet abouti avant… Je n’étais pas aussi sûre de moi, c’est venu avec le temps.
J’ai appris à me connaître ces dernières années, et je pense que ça se ressent dans Le Son d’après car le message est beaucoup moins flou qu’il a pu l’être dans les morceaux que j’ai faits par le passé. Le Son d’après, c’est celui que t’écouteras après avoir saigné mon projet, c’est la façon par laquelle mes sons te marqueront dans tes propres habitudes musicales.
Ce qui semble aussi fondamental pour toi, c’est de revaloriser l’image de la femme africaine, n’est-ce pas ?
Oui, je pense que c’est une démarche que beaucoup ont du mal à comprendre, étant donné que ma méthode n’est pas forcément traditionnelle : il y a des femmes qui twerkent dans mes clips, des corps voluptueux… Je pense que ça passe mal auprès de certaines personnes qui pensent que je dégrade les femmes en les montrant sous cet angle-là alors que pour moi, c’est tout le contraire.
Avec “Serena” par exemple, l’idée c’était de montrer qu’on avait des figures de femmes noires très inspirantes et qu’elles méritaient plus d’attention. Serena Williams a eu un rôle déterminant pour moi, dans ma construction en tant que femme noire. C’est ce que je veux célébrer avec mon son.
Dans “Early Bird”, tu dis : “T’es pas re-noi parce que t’as des tresses”. L’appropriation culturelle au cœur de l’actualité en ce moment, où serait la limite à ne pas franchir ?
Perso, ça ne me dérange pas qu’une personne blanche veuille se faire des tresses ou reprendre quelques trucs tant qu’elle ne cherche pas à s’inventer des origines. Là où ça pose problème, ce sont pour les personnalités publiques. Le terme “s’approprier” devient alors très juste car en utilisant les traditions d’une culture, ceux qui ne la connaissent pas peuvent s’imaginer que c’est “juste” une tendance, ou que ça vient d’une célébrité, alors que c’est beaucoup plus que ça aux yeux d’une communauté.
Parfois même, certains poussent le vice plus loin en faisant de la thune avec des symboles qui n’appartiennent à personne : on pourrait penser à la famille Kardashian pour ne citer qu’elle. Et ça, ça blesse car pendant très longtemps, les coutumes qu’ils empruntent aux cultures africaines étaient reniées par un large public. Et maintenant, c’est stylé parce qu’une star l’a décidé.
Comme ta musique est très spontanée, beaucoup te reprochent de vouloir imposer un effort à ceux qui t’écoutent en les forçant à se concentrer pour comprendre ce que tu dis. C’est pas vraiment ce que tu recherches, non ?
J’ai envie de créer une musique authentique donc je lâche mes couplets comme ils viennent, je ne me prends pas vraiment la tête sur cet aspect-là. C’est pas vraiment que je veux que les gens fassent un effort, c’est plutôt que moi j’ai pas envie d’en faire un, ou de changer mon rap, dans le but qu’on adhère mieux à ce que je fais.
Si c’est vraiment important pour quelqu’un de connaître mes phrases, il y prêtera attention et ça se fera naturellement. Je veux qu’on me comprenne au contraire, mais pour qu’on me comprenne entièrement, je pense qu’il faut que je reste entière, et pas que j’essaie de modifier ces trucs qui viennent naturellement dans ma musique. Sinon, ce n’est plus aussi authentique. J’ai juste pas envie de m’adapter pour plaire, ou pour que ce soit plus facile pour les autres.
© Amanda Searle