Ce jeudi 17 janvier marque l’anniversaire de l’Ovni le plus connu du rap, celui qu’on ne présente plus, JuL, qui souffle sa 31e bougie. Ces cinq dernières années, son nom est devenu indissociable de la scène musicale. Le rappeur de Marseille s’est imposé comme un des plus gros poids lourds du rap français et a profondément marqué la pop culture avec son univers bien identifiable.
En effet, comme en attestent le signe JuL ou des expressions telles que “wesh alors” ou “en Y” qui rassemblent aujourd’hui un large public, JuL a forgé des références qui sont aujourd’hui bien ancrées dans l’imaginaire collectif. Mais au-delà de ses aspects plus visibles, l’Ovni a bouleversé la conception même que le public avait de l’artiste et du musicien, par ses différents choix en tant que rappeur. JuL, c’est le tremblement de terre qui a mis à mal des vieilles habitudes sur lesquelles reposaient toute sorte d’idées reçues.
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L’auto-tune, évidemment
Une évidence qui mérite d’être, une nouvelle fois, soulignée. L’auto-tune est un avant tout un outil, et JuL le maîtrise d’une main de maître. L’Ovni fait partie de ceux qui ont contribué à démocratiser cette esthétique sonore dans le rap en France, aux côtés d’autres poids lourds du hip-hop comme PNL ou même Booba. Pour le rappeur de Marseille, l’auto-tune n’est ni un aveu de faiblesse, ni une supercherie, c’est le paramètre qui permet de différencier la voix de Julien Mari de celle de JuL, de dépasser ses limites personnelles pour étendre le champ des possibilités musicales.
Les réfractaires à l’auto-tune sont encore nombreux, et le débat entre ses partisans et ses détracteurs ne s’arrêtent pas à une simple question de goûts musicaux. Accepter l’auto-tune, c’est admettre l’effondrement d’un ancien monde, et concéder que désormais, la créativité l’emporte sur la performance. À travers son œuvre et sa carrière, JuL envoie alors un message fort : l’artiste n’est plus un être foncièrement exceptionnel, c’est un artisan.
Pas assez artiste ?
En cela, le fond et la forme des morceaux de JuL sont en parfait raccord. Sur le papier, l’histoire de JuL, c’était celle d’un rappeur lambda que rien ne prédestinait à être propulsé sur le devant de la scène. À l’époque du succès de My World, en 2015, la popularité du rap dans l’Hexagone n’était largement plus à prouver, et le hip-hop inspirait déjà une foule de personnes. JuL représente, à lui seul, tous ces amateurs profondément amoureux de la musique, qui n’ont a priori pas de caractéristiques exceptionnelles si ce n’est leur passion.
Voici la raison même pour laquelle JuL se fait appeler l’Ovni : dans le paysage de strass et paillettes qu’est la scène musicale, le rappeur de Marseille reste authentique, perché sur sa Honda, et les pieds vissés dans une paire d’Asics. Le titre même de son premier projet hit, My World, est assez éloquent, JuL n’a aucune intention de trahir son univers et a réussi, au contraire, à l’imposer.
“Cette routine m’abîme / On est faits d’or et de platine / Dans la merde on patine / Bon Dieu faites un signe”, rappe JuL dans son morceau “D’or et de platine” en featuring avec Gradur, exposant ainsi son quotidien sans aucune fioriture, en se gardant ainsi de donner une tournure glamour ou au contraire tragique à sa vie de tous les jours.
Une nouvelle manière d’aborder la musique
“J’ai changé tous les paramètres, depuis qu’j’envoie quatre albums par année”, chante JuL dans “Je lève la moto”. Et il a raison, l’Ovni est constamment présent auprès de son public, en proposant continuellement de nouveaux projets. Le rappeur a également distribué ses albums d’une manière peu conventionnelle, en les mettant en ligne gratuitement sur YouTube.
Cette façon de publier sa musique, continuellement et via des médiums gratuits, est en effet assez peu prisée par les rappeurs francophones. Pour cause, la majorité du public de l’Hexagone ne s’est jamais habituée à aller dénicher de nouvelles perles sur SoundCloud. De plus, la notion même d’album est remise en cause : alors que beaucoup de personnes le considèrent comme un format premium, l’assiduité de JuL, et la gratuité de ses projets, le font descendre de son piédestal.
Dans un sens, l’Ovni suit la tradition des rappeurs, ainsi que d’artistes d’autres genres, à envoyer continuellement de nouveaux morceaux à leur public, souvent rassemblés sous forme de mixtapes. Si, aux États-Unis, de nombreux gros rappeurs comme Future ont eu tendance à sortir continuellement de nouveaux disques, dans des formats plus ou moins officiels, les poids lourds du hip-hop Français se sont, ces dernières années, souvent cantonnés au format traditionnel qu’est l’album.
Ainsi, la musique de JuL n’est pas seulement accessible par son fond ou sa forme, elle le devient par les choix de l’artiste lui-même. En désacralisant le format même de l’album, le rappeur du 13 revient encore une fois à une conception plus artisanale de la musique. Les disques de JuL ne sont pas pensés comme des blockbusters.
Le signe JuL
Si JuL est aussi aimé à Marseille, c’est parce qu’il rappe un quotidien auquel nombre d’habitants de la cité phocéenne peuvent s’identifier. Et pourtant, le public de JuL n’est pas uniquement composé des jeunes de Marseille : des personnes de toute la France, de tous les âges et issues de tous les milieux sociaux ajoutent aujourd’hui les morceaux de l’Ovni à leurs playlists. L’univers du rappeur du 13 est devenu identifiable par tous.
Ce succès se démontre notamment par la récurrence du signe JuL sur les photos aujourd’hui. Arboré pour montrer un amour sincère envers l’Ovni ou par pure ironie, il est la preuve que JuL s’est imposé comme une figure de la pop culture aujourd’hui.
Les paroles de JuL ne mettent rien en scène, elles transmettent les événements tels qu’ils ont été vécus : “Un jour tu traînes avec des voleurs / Un jour tu traînes avec des casseurs / Un jour un mec te propose des sous / Pour t’armer sur un Fazer”, scande-t-il dans “En Y”. Si tous les auditeurs ne partagent pas le même quotidien que lui, les relations personnelles décrites dans les paroles du rappeur de Marseille, le sentiment de vanité qui envahit quiconque mène une existence plus ou moins normale, font écho auprès d’un plus grand nombre.
Le signe JuL est devenu la bannière sous laquelle peuvent se rassembler toutes les personnes qui assument leur vie pour ce qu’elle est réellement. À la différence du “S” de Superman, le signe JuL est un symbole qui peut être brandi par tous, et prendre un sens aussi personnel que pertinent à chaque fois.
Un succès populaire mais hors système
Tout ceci explique sûrement pourquoi l’Ovni continue d’être aussi méprisé par une large partie de la population, et décrié par beaucoup de médias. Car accepter de bien considérer l’œuvre de JuL, ce serait admettre que la conception de l’art partagée par beaucoup est aujourd’hui devenue obsolète, et affirmer que la musique peut être accessible à tous sans que personne n’ait besoin d’essayer de la comprendre.
Reconnaître le travail de JuL à sa juste valeur revient à accepter que l’artiste n’est pas un être qui existe en dehors des préoccupations du grand public, à concéder que la musique n’a pas besoin de défendre une forme ou un sens révolutionnaire pour plaire, à admettre que la banalité n’est jamais un aveu de faiblesse. Apprécier les titres de JuL reviendrait à confirmer qu’une esthétique populaire puisse être brandie comme un étendard sans être dénaturée, et ainsi faire descendre l’idée que le public se fait d’une création artistique perchée sur son piédestal.
Aujourd’hui, la musique de JuL sert de contrepoint. Pour une large partie du public, le bon goût se construit en opposition aux choix prônés par l’Ovni. En un mot, JuL fait vivre la scène musicale en donnant des points de repère réconfortants au public. Et c’est pourquoi de nombreuses personnes continueront à dénigrer le rappeur de Marseille, sans même prendre le temps de s’attarder sur ses morceaux, et ce malgré tout ce qu’il a apporté à la pop culture. De toute façon, JuL l’affirme dans son morceau “Comme d’hab” en collaboration avec Alonzo : “Rien à foutre d’eux tant que la rue me valide.”