À défaut de subir une débâcle catastrophique en Ligue des Champions, Marseille peut au moins se vanter de briller de mille feux sur la carte du rap français. Les semaines passent et le raz-de-marée bleu et blanc provoqué par la compilation 100 % marseillaise ne recule pas. En plus du disque d’or obtenu pour l’album 13’Organisé en 13 jours, le single “Bande organisée” continue de se balader au sommet des charts et de battre tous les records.
Un succès que l’on doit évidemment mettre au crédit des 50 artistes figurant sur l’album, mais surtout à son instigateur, JuL en personne. Médiatiquement discret sur ce projet, le rappeur marseillais, accompagné de son cousin Romain, le boss du label D’Or et de Platine, s’est livré avec fierté, sincérité et humilité sur cette aventure musicale exceptionnelle. Faites le signe : la parole est au J, en exclusivité sur Konbini.
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“Tout le monde a mis son ego de côté et a montré la force de Marseille”
Konbini | Comment t’est venue l’idée de ce projet collectif qu’est 13’Organisé ?
JuL | Je ne te mens pas, au début je ne pensais pas arriver à faire ce projet. J’avais déjà l’idée en tête depuis un moment, mais je ne me sentais pas prêt. Et là, vu que je sortais mon vingtième album, c’était le timing parfait. On en parlait depuis longtemps avec l’équipe, mais on avait des craintes. On se disait que ce serait vraiment galère à faire, que certains artistes ne s’entendraient pas et que ça ne marcherait pas. Finalement, on a mis toutes nos craintes de côté, on s’est lancés et tout le monde s’est bien entendu.
Qu’est-ce qui a finalement lancé la machine ?
Tout est parti du morceau “Bande organisée”. À la base, on avait juste fait ce son en mode kif entre Marseillais. Quand on a entendu le résultat, on s’est dit qu’on ne pouvait pas s’arrêter là et qu’on devait faire une compil’ entière. Tout le monde a mis son ego de côté et a montré la force de Marseille. On s’est tous réunis sur le projet, chacun a donné le meilleur de lui-même et ça a donné 13’Organisé.
Avec toutes ces craintes que vous aviez, avais-tu imaginé une seconde que ce serait aussi facile d’aller au bout de ce projet ? On connaît ta productivité légendaire, mais un mois et demi seulement pour réaliser 13’Organisé, c’est complètement incroyable. Comment as-tu géré la bande ?
Oui, c’est ça, un mois et demi au total. Je suis allé sur Instagram et j’ai contacté tout le monde pour savoir s’ils étaient bouillants pour participer. Après, j’ai demandé le numéro de tous les artistes, créé un groupe WhatsApp et on a commencé à échanger tous ensemble. Quand l’album a commencé à se dessiner, j’ai fait des groupes de huit artistes, un pour chaque morceau, et c’est parti comme ça. Écriture, enregistrement au studio et voilà. Aujourd’hui, le groupe WhatsApp est toujours actif, mais vu que maintenant tout le monde se connaît, c’est le bordel et ça fait que chambrer (rires) !
“On a pensé les sons comme une compo de foot […] Au final, je pense que les choix tactiques sont payants. Et mercé le coach !”
Comment t’es-tu organisé justement pour découper les différents morceaux et choisir les artistes sur chaque titre ? Avec cinquante noms, j’imagine que c’était un sacré casse-tête…
J’ai proposé aux artistes les thèmes, les prods et je leur ai donné mon avis sur qui je voyais poser avec qui sur tel ou tel son. On en a discuté tous ensemble, chacun a donné son avis et personne n’a chipoté. Avec Romain (son cousin aka Baby Boy, le boss du label D’Or et de Platine, ndlr), on a pensé les sons comme une compo de foot, avec les meilleurs joueurs aux meilleurs postes.
J’ai demandé de l’aide à Romain, car dans le rap marseillais, il connaît tous les sons, quelle que soit la génération. Je lui ai demandé de me proposer des compos, je suis repassé un peu dessus et l’équipe s’est formée comme ça.
Romain | Si tu préfères, moi j’ai donné la base et, lui, il a rectifié un peu le tir. C’est vraiment comme une équipe de ballon. Sur chaque son, t’as le onze de chaque dimanche ! Chaque dimanche, une compo différente, un son différent, tu vois le truc.
JuL | Au total, on a mis deux semaines à faire les compos. Ça a pris du temps parce qu’il fallait bien réfléchir : ne pas mettre toujours les mêmes ensemble, faire en sorte que tout le monde se tire vers le haut, etc. Au final, je pense que les choix tactiques sont payants. Et mercé le coach (rires) !
Quitte à rester dans le registre du foot, on peut retenir une chose de ce projet : tu aurais pu te la jouer solo, mais tu as préféré faire une passe décisive et vous avez marqué en collectif…
Pour moi, ce n’est même pas une passe décisive, c’est normal. C’est ma nature, t’as vu ? J’aime bien partager et faire plaisir autour de moi. J’ai essayé de faire du mieux que je pouvais et ça a donné ça. Personnellement, je suis hyper content du résultat.
Romain : JuL, c’est un genre de numéro 10.
“J’ai voulu faire quelque chose que personne n’avait jamais fait. Et mélanger les générations, ça s’est jamais vu”
La force principale de ce projet, c’est qu’il rassemble toutes les générations de rap marseillais : IAM, Puissance Nord, Psy 4, la FF… des légendes avec des nouveaux. Pourquoi avoir donné tant d’importance à fédérer toute la planète Mars ?
Je ne pouvais pas faire autrement. Il faut savoir que je suis un puriste de rap marseillais, j’aime ma ville et sa musique. J’écoute du rap marseillais depuis gamin, le rap des anciens, les nouveaux, tout. Quand j’ai eu l’idée de ce projet, j’ai fait le point sur mon bagage musical et je me suis rendu compte que beaucoup de connexions n’avaient pas encore faites. Du coup, j’ai eu envie de changer les choses. J’ai voulu faire quelque chose que personne n’avait jamais fait. Et mélanger les générations, ça s’est jamais vu. Même mettre huit MC sur chaque son, personne ne l’avait fait. J’ai tenté et je me suis dit que ça pouvait marcher. Sur chaque son, il y a tout Marseille ; chacun amène son style, son délire, son univers. J’ai voulu tout mélanger et voilà le résultat.
Ce projet réussit en 13 titres à montrer toutes les couleurs de Marseille et du rap marseillais, autant dans son côté festif que dans son côté plus sombre…
Oui, c’est ce qu’on voulait faire. À partir des trois premiers sons, j’ai commencé à voir la couleur du projet. En premier, il y a eu “Bande organisée”, après “L’Étoile sur le maillot”, puis “Miami Vice” avec la jeune génération qui monte et arrive en force. À ce moment-là, j’ai su que j’allais mettre des sons qui bougent, des morceaux “type JuL”, plus rappés, kickés, plus sombres, mais aussi des titres comme “Ma Gadji”, plus pour les filles. Au final, il y a de tout et pour tout le monde, on est tous réunis, soudés… Musicalement, c’est tout ça Marseille.
Le rap de Marseille, c’est la diversité. Chacun a son univers, un style, une voix, des mots… parce que chacun vient de quartiers différents. À Marseille, même si les quartiers sont très proches les uns des autres, chacun à son langage et ses expressions. Le fait de tout réunir, ça a donné quelque chose de bien.
À Marseille, tout le monde se connaît, mais ces dernières années, sans qu’elles soient mises à mal, l’unité et la solidarité marseillaise n’étaient plus vraiment là, c’était un peu chacun pour soi. Avec 13’Organisé, tu as en quelque sorte renouvelé l’ambiance. De nouvelles connexions artistiques et humaines se sont faites. Ça va faire du bien à Marseille, selon toi ?
C’est clair, c’est beau. En vérité, c’est ce que je voulais à la base, quand j’ai créé le collectif. C’est la première chose que j’ai dite sur le groupe WhatsApp : “J’aimerais que tout le monde partage, que dès que quelqu’un sort un truc, tout le monde le mette en avant.” Et c’est ce qu’ils font tous. C’est la solidarité marseillaise. Il faut être soudés au maximum pour que tout le monde avance. Dans la musique, il y a de la place, il y a des choses à faire. Si j’ai réussi à insuffler cette énergie, je suis content. Ça fait du bien et ça fait plaisir de voir qu’à Marseille tout le monde se tire vers le haut. La ville va pouvoir monter encore et être plus visible partout ailleurs.
C’est quoi la suite pour ce projet ? Même si en ce moment, c’est compliqué, on ne peut pas s’empêcher d’imaginer ce que donnerait une date 13’Organisée au Vélodrome ?
Un projet live 13’Organisé au Vélodrome ? Je ne sais pas, là avec le Covid, c’est chaud. Cela dit, si j’ai – ou si j’avais – l’idée dans la tête, je garderai la surprise.
Un clip inédit de 25 minutes tourné à Marseille avec tous les artistes du projet, ça en tout cas c’était une belle surprise !
Oui, personne n’était au courant, on a gardé la surprise jusqu’au bout. C’est un son inédit qu’on a enregistré pendant les sessions studio qui rassemblent tous les artistes du projet 13’Organisé. En fait, j’ai fait ce son bonus comme un cadeau pour fêter le disque d’or et remercier le public.
“Ça fait tellement plaisir de voir que tout le monde est heureux et solidaire”
On est à la fin du tournage, la semaine live vient de se terminer et tout le monde a reçu son disque d’or. Une réaction ?
C’est incroyable ce qu’on a vécu, je n’ai pas les mots. On dirait qu’on a gagné la Ligue des Champions. J’espère vraiment que ça va continuer, car ça donne de la force. Je voulais encore une fois féliciter et remercier les artistes pour ce projet et pour le disque d’or. Il est à tout le monde. Je suis fier de tout le monde et aussi de moi-même. Chacun a représenté sa ville et son quartier comme il faut. On a montré la beauté et la fierté marseillaises.
Disque d’or en deux semaines, c’est une belle performance. À noter aussi que pour ce projet, il y a eu plus de ventes physiques que de streams la première semaine. Dans l’industrie musicale actuelle, tu es l’un des rares à susciter autant d’engagement, le public se déplace en magasin pour soutenir le projet.
J’ai cette chance, et pour être honnête, je m’y attendais. Avec mes projets en solo déjà, j’ai toujours plus de ventes en physique. Là, avec un projet 100 % marseillais, je savais que le physique allait cartonner, que les Marseillais allaient nous soutenir en masse.
Il n’y a pas qu’à Marseille que le message est passé. Tu as insufflé une nouvelle dynamique dans le rap en France. Qu’est-ce que ça t’inspire ?
Tant mieux, ça fait du bien ! Je suis content de voir que tout le monde veut se rassembler, que ce soit à Paris, Marseille, Lyon, Toulouse… peu importe. Si tout le monde se soude dans toute la France et ailleurs, je pense que ça rendra les choses encore plus simples pour la nouvelle génération. Elle pourra être visible plus facilement. Pour ceux qui sont déjà là aussi, ça donnera de la force, comme ce projet m’a donné de la force à moi.
“Le but, au-delà des individualités, c’est de mettre la lumière sur tout Marseille”
Autant dans les morceaux qu’en dehors des studios, tous les artistes du projet ont exprimé leur reconnaissance à ton égard. Ils te remercient de les avoir rassemblés. De ton côté, as-tu un message à faire passer à tes collaborateurs ?
J’ai qu’une chose à dire, c’est merci à eux. Merci d’avoir accepté de jouer le jeu, d’être venus et d’avoir répondu présents. La réussite de ce projet, c’est grâce à eux. Ils ont tué ça comme il faut, ils m’ont régalé. Pour moi, c’est que du bonheur et je compte bien continuer à les pousser tous à chaque fois. Mon vœu, c’est que la dynamique ne s’arrête pas là, que ça continue et que tout le monde reste soudés, solidaires.
C’est un message fédérateur qui s’adresse à tout Marseille finalement.
Oui, à tout Marseille, y compris à tous ceux que je n’ai pas sollicités et qui n’ont pas participé au projet. Je suis désolé encore pour eux, il y a des oublis, mais ça arrive. Après je reste sûr que même pour eux, ce projet sera bénéfique. Ce qu’on a fait va donner de la force et de la visibilité à tout le monde. C’est ça la force de 13’Organisé. Le but, au-delà des individualités, c’est de mettre la lumière sur tout Marseille.
C’est important de faire passer ce message quand on sait qu’il y a eu des critiques sur l’absence de certains artistes.
Pour te dire la vérité, j’aurais voulu en mettre plus, mais cinquante déjà, c’est compliqué à gérer. Je devais être présent partout, pour les prods, les enregistrements, la gestion, l’organisation, etc. Quand j’y repense, c’est vrai que j’avais un peu le cerveau en feu. C’est pour ça qu’il y a des rappeurs auxquels je n’ai pas pensé à appeler. Je veux qu’ils sachent que ce n’est pas contre eux, qu’il n’y a rien de méchant. Force à tout Marseille et à tous les rappeurs marseillais de n’importe quel quartier. On est ensemble.
Nous, on a fait les choses bien. Après, s’il y en a qui prennent les choses mal, on n’y peut rien. C’est comme ça, c’est la vie. J’ai fait les choses comme j’ai pu, on est contents et je ne sais pas si j’aurais pu faire mieux honnêtement. Je pense que ça se voit que je me suis donné à fond pour ce projet. Moi et tous les autres.
Romain : Pardon le J, je te coupe, mais je mets au défi quelqu’un de faire mieux. Réunir une cinquantaine de rappeurs et que tout le monde soit soudé comme ça, c’est beau.
L’année prochaine, la France va se fissurer. Attendez-vous à un tremblement de terre”
J’imagine que même quand on s’appelle JuL et qu’on est au sommet de la planète Mars, on tire quelque chose et on sort grandi d’une telle aventure. Toi qui poses sur tous les morceaux, qui a travaillé avec tous ces artistes et qui a mené ce projet de bout en bout, qu’est-ce que tu retiens de cette expérience collaborative ?
Ça m’a appris que l’union fait la force et que dans la vie, il faut donner pour recevoir. Le cœur et la musique avant tout. C’est clair. Quand j’ai rencontré les rappeurs en studio, tous sans exception m’ont inspiré. Tout le monde m’a inspiré et donné de la force. Ce que je retiens aussi, c’est l’émulation entre tous. Tout s’est fait au feeling. Choix d’intrus, on discute, je regardais si tout le monde aimait bien et se sentait à l’aise dessus pour que tout se fasse le plus naturellement possible.
Avec ce projet collectif, tu viens encore de relever un nouveau défi de taille. Quel est ton prochain challenge ?
Pour le moment, me reposer, car j’ai enchaîné entre les albums et la compil. Mais à côté de ça, j’ai des idées qui chauffent dans ma tête et personne n’est prêt. Je ne peux pas en parler tout de suite, mais la seule chose que je peux dire, c’est que l’année prochaine, la France va se fissurer. Attendez-vous à un tremblement de terre.