À l’aube de la sortie de son album ADHD, Joyner Lucas a déjà tout d’un futur grand du hip-hop. Retour sur les étapes de son ascension.
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© Instagram Joyner Lucas
Décidément, le Massachusetts est un véritable vivier de talents hip-hop. Après le dragon cracheur de feu Token, son compatriote Joyner Lucas a lui aussi de sérieux arguments pour se faire une place dans ce foutu rap game.
C’est à l’âge précoce de 10 ans que le gamin, Gary Maurice Lucas, Jr., natif de Worcester, découvre le rap. Les textes d’Eminem, Method Man, Biggie ou encore Nas participent à son éducation, et très vite, après des études à la South High Community School, son avenir se dessine, bercé par la musique. Il commence alors à gratter ses propres textes sous le nom de G-Storm, jusqu’à changer de nom en 2007 et devenir Future Joyner.
Sous cette nouvelle identité, il signera ses véritables débuts avec le groupe Film Skool Rejekts qu’il forme avec son oncle Cyrus Tha Great. Il faudra néanmoins attendre 2011 pour que l’artiste dévoile son premier effort solo, la mixtape Listen To Me. Mais encore une fois, il s’agira d’une parenthèse de courte durée puisque dès 2011, il changera à nouveau de nom, lorsque le rappeur d’Atlanta Future se trouvera sous le feu des projecteurs. Exit Future Joyner, Joyner Lucas est né.
On aurait pu s’attendre alors à le voir réitérer rapidement, mais c’est quatre ans plus tard qu’il fera de nouveau parler de lui avec la mixtape Along Came Joyner en 2015. Un projet qui va lui ouvrir les portes de la gloire. Sollicité pour les BET Cypher la même année, le public découvre sa technicité au micro, son flow rapide et tranchant, mais surtout un rappeur doué d’un certain talent pour raconter des histoires.
Un storyteller aguerri
Les vrais MC le savent, pour être un bon rappeur, il ne suffit pas seulement de savoir kicker, il faut aussi savoir toucher les gens avec ses propres mots. Ce que Joyner Lucas a toujours réussi à faire à l’image du morceau “Ross Capicchioni” figurant sur sa dernière mixtape. Si ce nom vous parle, c’est normal. C’est celui de cet étudiant de Détroit blessé par balle à trois reprises par l’un de ses camarades en 2007.
Très inspiré par ce fait d’actualité dramatique, Joyner tentait alors d’expliquer, dans son morceau, les raisons qui avaient poussé le tireur à agresser son ami. Une fiction appuyée par un clip poignant qui n’avait pas manqué de faire réagir dès sa sortie.
Ce premier buzz a permis à l’artiste d’obtenir un deal avec Atlantic Records, un label grâce auquel il sortira son nouveau projet intitulé 508-507-2209. Si les singles “Ultrasound” et “Winter Blues” participent au succès de la mixtape, c’est bien “I’m Sorry”, nouvelle pépite de storytelling qui le propulsera un peu plus vers la reconnaissance. Il est, cette fois, question de l’histoire de l’un de ses amis qui s’est suicidé après une détresse émotionnelle. Le morceau se découpe en deux couplets, le premier étant la lettre de celui-ci, expliquant les raisons de son suicide, tandis que le second expose les sentiments de Joyner face à la disparition de son ami. Mais le plus gros coup du rappeur est encore à venir.
Rebelote en 2017, à l’heure des débuts de l’Amérique de Donald Trump, Lucas publie son single “I’m Not Racist” sur son compte YouTube. Un clip rapidement devenu viral avec plus de 109 millions de vues.
À l’instar du débat opposant Kanye West et T.I. dans “Ye Vs the People“, dans ce titre, Joyner Lucas évoque le fossé entre Blancs et Noirs aux États-Unis, faisant débattre à l’image, face à face, un homme Blanc portant une casquette “Make America Great Again” (le slogan de campagne de Donald Trump, ndlr) et un homme Noir portant des dreadlocks. Les deux protagonistes se battent alors à grands coups de clichés, l’un envers la communauté Noire, l’autre envers les Blancs, tout en proclamant cette maxime bien connue “je ne suis pas raciste mais”.
“Paresseux, tu préfères vendre de la drogue que d’avoir un boulot”, dit l’un. “J’ai essayé de trouver un boulot, mais personne ne m’a rappelé. Maintenant je dois vendre de la drogue pour mettre de la nourriture dans mon placard”, répond l’autre.
Cela étant, ne vous y trompez pas, ce morceau n’est en aucun cas une arme pour attiser la haine, mais bien un moyen d’éveiller les consciences sur des problématiques sociétales. C’est ainsi qu’à la fin de leurs virulentes plaidoiries respectives, les deux individus prennent conscience de l’absurdité de leur hostilité mutuelle et finissent par s’enlacer comme des frères. Comme pour rappeler que, peu importe la couleur de peau, il faut s’unir malgré les différences.
Enfin, son dernier storytelling marquant n’est autre que son single “Frozen”, une chanson axée sur différentes formes de conduite imprudente. Plus poignant qu’une campagne de la sécurité routière, Joyner n’hésite pas à mettre en images la violence des accidents. On ne le dira jamais assez, conduisez prudemment.
Vers la consécration ?
Après quoi, non content d’être un brillant conteur d’histoire, Joyner s’est aussi prêté à l’exercice du clash, notamment à l’égard de Logic et plus récemment Tory Lanez. Cela dit, le rappeur ne pouvait pas rêver de meilleur coup de projecteur que celui apporté par l’une de ses idoles de jeunesse : Marshall Mathers (Eminem).
Mine de rien, malgré ses différents coups d’éclat passés, Joyner restait encore, pour un très grand nombre d’auditeurs de rap, un nom inconnu. Mais pas pour Eminem qui ne manquait pas d’éloges à son égard lors de son interview avec Sway. Subjugué par ses talents et notamment le morceau “Ross Capicchioni” évoqué plus haut, il le convie alors sur son album surprise, Kamikaze, sur le banger “Lucky You”.
Un vétéran et une étoile montante, ça fait forcément des étincelles. Dans ce titre explosif, les deux rappeurs évoquent, tour à tour, leur rapport opposé à la renommée. D’un côté, Eminem, l’artiste ayant touché le soleil par le passé, peur de tout perdre, et de l’autre, Joyner Lucas, prodige frustré désirant à tout prix obtenir la reconnaissance qu’il mérite.
“J’ai voulu un Grammy toute ma vie mais ça n’arrivera probablement jamais. Je n’ai jamais eu de trophées ni même de médailles. Fuck le système je suis quelqu’un qui brise les lois. Je vais tout donner car j’ai pas grand-chose à perdre.” (Joyner Lucas)
“J’ai gagné quelques Grammy mais j’ai dû vendre mon âme pour ça. Je n’étais pas là pour les trophées mais pour la reconnaissance, y a-t-il une différence ? Je suis un petit blanc qui emmerde les lois. Avant je risquais tout mais maintenant j’ai trop à perdre.” (Eminem)
Au micro, l’alchimie entre les deux rappeurs est réelle, même si les visions s’opposent. Force est de constater que le parcours de Joyner rappelle celui du rappeur de Détroit à ses débuts. Ironie du sort, ce single a été nominé pour le Grammy de la “meilleure chanson rap de l’année” et que le clip de “I’m Not Racist” concourt lui aussi dans la catégorie “meilleure vidéo de l’année”.
Mais avant de penser récompenses, Joyner Lucas a encore du pain sur la planche et devra confirmer sa réussite avec son premier album studio. Initialement prévu pour le 18 janvier, le projet baptisé ADHD, porté par son single “I Love” devrait arriver dans les semaines à venir. Sans oublier, Angels & Demons, son album collaboratif avec Chris Brown attendu pour courant 2019.
Il lui reste encore beaucoup à prouver, mais c’est une certitude, Joyner Lucas possède un don pour raconter des histoires, et la sienne n’a pas fini de s’écrire.