À voir aussi sur Konbini
L’attente était grande vis-à-vis d’Hamza depuis 1994, son premier projet chez Rec 118, sorti il y a près d’un an et demi. Sur cet opus, son univers exigeant et sensitif s’était affirmé entre réminiscences R’n’B classiques et rap d’Atlanta sauce aigre douce. Présenté comme une mixtape, l’artiste y avait respecté sa promesse avec des titres forts comme “Life” ou “Vibes”, en laissant toutefois un petit goût d’inachevé, malgré un très beau disque d’or.
La question que tout le monde se posait alors : Hamza peut-il aller plus loin ? A-t-il d’autres terrains de jeu, d’autres cordes à son arc ? Le cap du deuxième projet en label (présenté comme premier véritable album) est toujours un exercice difficile, une marche plus haute que les autres à gravir. Loin de se figer, l’artiste bruxellois a finalement abordé cette étape aussi détendu que possible. En prenant son temps, en éprouvant sa formule, Hamza a réussi à polir ses plus belles facettes sur Paradise et s’est même offert le luxe de s’ouvrir de nouvelles portes.
La force d’Hamza se trouve dans ses mélodies automatiques et constantes. À chaque titre, chaque couplet, le rappeur/chanteur belge bascule aisément entre performance vocale et murmures envoûtants. Sur 1994, cette habileté était poussée à son paroxysme, quitte à frôler parfois l’indigestion. Sur Paradise, le rendu est cette fois-ci plus minimal et dynamique, grâce à un meilleur équilibre entre voix et production.
Son producteur exécutif, OZ de Street Fabulous et Trez Recordz, nous confiait qu’ils avaient cherché à s’ouvrir à de nouveaux horizons sur ce nouvel opus, à travailler avec d’autres équipes, et notamment plus de producteurs extérieurs. Finalement, et ce malgré les très bonnes productions reçues, aucune n’était aussi proche et ajustée que celles faites en interne.
La conception ciselée de Paradise, gros point fort du disque, est principalement signée par Ponko, Prinzly, Nico Bellagio et Hamza lui-même. Plus que le travail d’un seul producteur, chaque morceau est le fruit de plusieurs idées, de nuits en studio à brainstormer sans interruption, et d’un réalisme commun.
Cette créature à plusieurs têtes donne tout son sens à la direction de l’album, très organique et fourmillant de détails. La petite famille Hamza grandit sur le même tempo, laissant l’auditeur sur une impression chaleureuse et intime.
Hamza y apparaît aussi plus serein, sûr de lui. Il se lâche complètement, sa voix paraît plus cristalline et désinvolte. Parfois, on ne saisit pas toutes les phrases, les conceptions ou les mots, la parole devient accessoire, seul compte ce qu’on ressent : l’émotion procurée.
À travers ce processus d’immersion profonde, les collaborations sont magnifiées. Avec Aya Nakamura ou Christine & The Queens, Hamza trouve une nouvelle voie, un mélange des genres et des univers de chacun.
Pour sa collaboration avec Chris, Hamza nous explique qu’il a lui même eu l’idée d’utiliser les accords puissants du morceau iconique de The Korgis, “Everybody’s Got to Learn Sometime”, créant un pont parfait entre les univers des deux artistes, entre pop éthérée et rap atmosphérique.
Avec Aya, la rencontre se matérialise en un zouk électronique qui évolue et se transforme au gré des envolées toutes en retenue du duo. Rappelant les sonorités de Mura Masa avec Octavian ou Drake dans ses créations les plus exigeantes, “Dale x Love Therapy” est une parfaite inconnue dans les discographies des deux artistes.
Les filtres profonds et les échos sans fin emportent la performance d’Aya Nakamura loin des préjugés zumbesques que peut avoir le grand public concernant sa musique. Ces expérimentations se terminent sur un très bon “Deep Inside” qui paraît se tenir au bord du précipice, avec une caisse de résonance infinie.
Enfin, la rencontre plus rap se concrétise avec SCH, et c’est ainsi presque un nouveau groupe qui se forme sur “HS”. Tout paraît naturel, instinctif et facile, ouvrant aussi de nouveaux horizons pour Hamza dans un milieu purement rap.
En utilisant les bulles hallucinées d’artistes comme Kodak Black, Gunna ou Playboi Carti pour fabriquer son propre savon, Hamza crée aussi des flows inédits. Il excelle notamment sur “Gynéco” et “Meilleur” pour atteindre la folie communicative de “Jodeci Mob”.
Tous les détails et l’ambition de Paradise peuvent se résumer avec le morceau “50x”. Produit par Hamza lui-même, ce petit bijou est un hit en puissance. Son piano virevolte et convoque chants d’oiseaux exotiques ponctués de la voix de James Brown. Sans trop en faire, Hamza semble toucher du bout du doigt ce fameux paradis musical, la tête dans les nuages, entre les anges et les colibris multicolores.
Paradise est un album de plongée euphorique sans fin. Il paraît qu’avec la pression et le manque d’oxygène, les plongeurs en route vers les abysses sentent un instant de plénitude avant la fin. Hamza est peut-être le véritable Jean-Marc Barr de notre génération : sur Paradise, il a visiblement décidé de partir vivre avec les dauphins. “Henny me noie.”