Les racines d’une sous-culture
À Baltimore, tout commence à la fin des années 90. Depuis la mort d’un motard au terme d’une course-poursuite dans les rues de la ville, les forces de police ont “l’interdiction formelle de prendre en chasse des véhicules sauf si la personne est recherchée pour un délit important et ce suite à l’approbation d’un supérieur”, comme le précise un article du Baltimore Sun du 3 octobre 1999.
De ce vide juridictionnel (la pratique est interdite, mais les auteurs de délit peuvent être difficilement appréhendés), est né le mouvement que l’on connait sous le nom des “Dirt Bikers”. Des bandes de motards qui font de l’espace urbain leur terrain de jeu, courant les rues de leur ville pour mieux s’évader de leur quotidien fait de drogue et de pauvreté.
À commencer par l’un des “gangs” les plus respectés, les 12 O’Clock Boys.
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Ces agissements ne laissent pas les riverains de marbre, dans une ville marquée par une pauvreté endémique. Selon une étude de 2009, 27,1% de ces habitants vivent en dessous du seuil de pauvreté. Et ce sont les quartiers de l’Est qui sont les plus touchés, notamment la section de l’Eastern, connue pour avoir le taux de criminalité le plus élevé de la ville, entre Sinclair Lane et Erdman Avenue au nord et Orleans Street au sud.
Lorsqu’on ouvre le Baltimore Sun, le journal local, on y retrouve des chroniques policières (on y parle nécro, question de lesiglation débats communautaires) remplies d’accidents impliquant des “dirt bikers” ainsi que des plaintes de riverains recueillies.
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Des WildOut Wheelie Boyz aux 12 O’clock Boys
C’est en 2007, fraichement débarqué de Boston, que Lotfy Nathan prend une claque. Alors étudiant en peinture à l’université du Maryland, bien loin des quartiers afro-américains, le jeune homme tombe nez à nez avec une bande de motards qui trace à fond de balles dans les rues de la “charm city“.
Outre l’étonnement et une certaine fascination pour leur grâce en scelle, c’est dans le cadre d’un projet étudiant que tout se concrétise, et que germe l’idée d’un documentaire.
Contacté par Konbini, il explique ses premiers pas :
Le documentaire a commencé comme un projet d’étudiant alors que j’étais à Baltimore comme étudiant en art. J’avais vu les motards qui volaient dans la rue quelques fois pendant mes premières années dans la ville […]. Et paradoxalement je crois que cela m’a aidé de ne pas être de Baltimore [pour réaliser le docu, ndlr].
J’étais peut-être plus naïf mais également très curieux. B’MORE [Baltimore, ndlr] peut être traitresse, tragique mais c’est une ville qui pousse en toi. Et malgré tout ce qu’il y a de morne ici, elle est pleine d’invention, de ressources et de créativité que tu ne trouves pas à New York par exemple.
Alors Lotfy Nathan a commencé à passer le mot, à droite, à gauche, que quelqu’un s’intéresse à ce qui n’est ni un rodéo, ni un ride pacifié. Il obtient des réponses, rencontre Steven, l’un des membres fondateurs du groupe des WildOut Wheelie Boyz. Ce dernier l’aiguillonne dans les recoins de la ville portuaire.
Créés en 2006 sous l’impulsion de ce Steven, aka. Honda Moe (qui désirait donner une forme concrète à l’appétence locale pour les grosses cylindrées) et de ses deux frères Hoon et Scony, les WildOut Wheelie Boyz sont le noyau dur du mouvement.
C’est par eux que le documentariste Lotfy Nathan a pénétré cette communauté de fous de la roue libre, comme il l’explique dans le New York Times. Actifs sur YouTube depuis 2007, leurs vidéos rassemblent des millions d’internautes.
Le groupe WildOut Wheelie Boyz est depuis devenu une marque qui “markette” son image. D’une présence sur les réseaux sociaux à la vente du tee-shirt par correspondance.
Pug, personnage clé des 12 O’Clobk Boys
Au cours de ses recherches, Lotfy Nathan croise la route de celui qui deviendra un appui de poids, Larry Jackson :
J’ai rencontré les personnages du documentaire en trainant et en parlant avec les gens que je recontrais. En 2009 je suis tombé sur un jeune mec très talentueux, Larry Jackson, natif de Baltimore.
Il a pris en charge une partie du tournage avec moi et m’a présenté pas mal de gens. C’est lui qui m’a amené par exemple dans le quartier où j’ai rencontré Pug et sa famille.
Parce que c’est un documentaire, il y a cette “obligation” de donner des scoops sur cette sous-culture. À l’époque rien de fouillé n’avait été fait sur le sujet et je voulais faire en sorte que ce soit le cas. Mais ce qui était le plus important pour moi c’est que le film ait du coeur, sinon on ne pourrait même pas l’appeler un film.
Finalement le portrait d’une sous-culture ce n’est que du contenu web, à mon sens, quelque chose d’ennuyeux et de limité. La famile de Pug et Steven ont permis d’apporter cette dose d’intimité et de narration qui était essentiel au documentaire.
Un parti pris narratif qui fait l’originalité de la réalisation. Car 12 O’Clock Boys est l’exemple d’une fiction qui ne dit pas son nom : là où s’arrête l’histoire du documentaire commence paradoxalement celle de la sous-culture.
Avoir un endroit pour exister
Après une seconde phase de financement sur Kickstarter en 2013 “moyen génial pour réunir de l’argent” selon le réalisateur, le film reçoit des critiques élogieuses de la part des grands médias américains. En France, il suscite une curiosité grandissante depuis sa première diffusion dans le cadre du festival F.A.M.E à la Gaïté Lyrique.
Hormis l’illégalité et la dangerosité de la pratique, source d’une certaine fierté, les “dirt bikers” n’aspirent qu’à une seule chose, si l’on en croit l’interview du motard Steven sur Rides Magazine en 2011
J’ai vu des gens se faire tuer en essayant d’échapper à la police. J’ai vu la police municipale de Baltimore faire sortir des gens de la route […]. Tout ce que l’on veut c’est que la ville nous donne un endroit où conduire.
En vain. La conclusion offerte par l’article est à l’image du propos du réalisateur. Si l’illégalité est inscrite dans la pratique de ces 12 O’Clock Boys, elle ne l’est que de manière conjoncturelle. Tous sauf des bandits, ce ne sont que des mecs qui désirent réinvestir la ville. Loin des rixes et des intrigues de gangs, ils font société là où bien souvent il n’y a rien d’autre.
12 O’Clock Boys sera projeté le jeudi 17 avril à partir de 19 heures à la Gaité Lyrique.