L’aventure des Disques du Crépuscule
Les titres qui lui rendent hommage attestent ce rôle d’éminence grise derrière Joy Division : “Inspiratrice” de “Love Will Tear Us Apart” pour Slate, “petite amie” de Ian Curtis pour Le Soir, “muse” pour La Libre Belgique, “veuve bis” pour Libération… L’ombre écrasante du dépressif épileptique relègue Annik Honoré au statut d’amourette, d’outil de création, voire de simple groupie.
Or, après le suicide de Curtis, la journaliste belge a décidé de ne pas se morfondre sur le décès de son “amoureux”. Elle rentre auprès de ses compatriotes en 1980 et fonde avec Michel Duval et Benoît Hennebert, le directeur artistique, son propre label à Bruxelles. Les Disques du Crépuscules sont nés.
Pour Konbini, James Nice, désormais boss du label Les Disques du Crépuscule, raconte Annik Honoré :
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Elle a été un important catalyseur pour la scène belge à patir de 1979, et ce jusqu’au milieu des années 80 (…) Annik a choisi plusieurs des premiers groupes qui figuraient dans l’écurie de Crépuscule, et c’est elle qui a trouvé le nom du label.
Support your belgian scene
En 1979, Annik et Michel Duval ouvrent le Plan K, leur propre salle dédiée aux événements qu’ils souhaitent promouvoir, à Bruxelles. Le lieu est une ancienne raffinerie située, ça ne s’invente pas, rue de Manchester. Le collectif, qui souhaite opérer sur plusieurs fronts, fonde alors, entre autres activités, un fanzine nommé Plein Soleil.
Question musique, “Crépuscule” commence simplement par distribuer les disques de Factory, le label de Tony Wilson, manager de feu-Joy Division. Le projet est de construire un pont invisible au-dessus de la Manche pour les disques Factory et c’est ainsi que Factory Benelux prend forme, sous la houlette des Disques du Crépuscule.
Selon James Nice, elle a ainsi beaucoup participé à l’expansion de la musique post-punk hors de sa Perfide Albion natale.
C’est à elle qu’on doit les événements de Plan K, où se sont produits des groupes aussi illustres que Joy Division, Cabaret Voltaire, Josef K, Orange Juice, Teardrop Explodes, Echo and the Bunnymen, etc. Elle a aussi beaucoup fait pour promouvoir certains des meilleurs groupes belges de cette période musicale, tels Digital Dance, The Names, Marine ou Front 242.
From Brussels With Love
Le jeune label, avide de participer au tournant musical qui s’opère outre-Manche, sort en premier lieu une compilation devenue mythique : From Brussels With Love, originellement sortie en cassette. Sur cette compil’, on peut écouter les découvertes du label, entre nouveaux romantiques précurseurs de la new wave et musiciens inclassables, adeptes de rock instrumental ou d’orchestrations mélancoliques. Mais aussi une interview de Brian Eno et une autre de Jeanne Moreau.
Le disque est émaillé de petites perles expérimentales et parmi elles, plusieurs groupes tirent leur épingle du jeu. Cabaret Voltaire, The Pale Fountains, Josef K, The Names, ou encore les excellentes chansons tissées par les guitares constamment sur le fil du groupe The Durutti Columns.
Le projet de ces jeunes gens, passionnés du genre musical qu’ils voient naître sous leurs yeux, est d’envergure : “Annik, Michel et Benoît avaient pour ambition de créer une sorte de mouvement artistique à Bruxelles, et ils encourageaient à la collaboration entre différents artistes de différents pays”, se remémore James Nice.
Après avoir donné cette impulsion à cette scène musicale si protéiforme, libérée du cadre rock réducteur qu’ont souhaité faire voler en éclats les punks, Annik s’en est allée discrètement.
Pour autant, sa passion ne l’a jamais vraiment quittée :
Elle a quitté le milieu de l’industrie musicale au milieu des années 80 afin de se consacrer à sa jeune famille, mais elle est toujours restée extrêmement intéressée par la musique. Annik continuait à aller à plus de concerts que la plupart des adolescents, je pense.
“Généreuse et désintéressée”
James Nice nous apprend, entre autres choses, qu’Annik était aussi “une photographe plutôt douée”. Pas de chance. La Montoise était décidément si discrète qu’on ne trouve nulle trace de ses photos sur le web. Après tout, selon James, c’était tout simplement elle :
Annik a toujours été généreuse et désintéressée. Elle n’a jamais essayé de se faire de la pub. Mais c’est bien (et bien pour elle) qu’elle soit sortie un peu de l’ombre lors de la dernière décennie pour donner sa propre version de l’histoire dans divers livres et films documentaires.
Aujourd’hui, Les Disques du Crépuscule existent encore. Qualifié d’“un peu snob mais inventif” par Patrick Cornet, le journaliste belge qui a recueilli l’interview d’Annik Honoré en 2010 (où elle s’épanchait enfin, trente ans après, sur sa relation avec Ian Curtis), il est certain que l’écurie de la maison de disques fascine, ou agace… mais ne doit pas laisser indifférent.
“Don’t walk away”, chantait Ian Curtis
Même si elle a vécu par la suite, elle restera à jamais, dans l’inconscient rock collectif, l’ex de Ian Curtis. Le rôle qu’elle a joué auprès de Joy Division en tant que muse inspiratrice (ou obstacle fatal) est bien réel. Une preuve ? Peter Hook, bassiste de New Order (et donc de Joy Division) lui rendait hommage dans un très beau tweet.
Très affecté d’apprendre la nouvelle d’aujourd’hui à propos d’Annik Honoré – nous jouerons “Atmosphere” ce soir en son hommage. J’espère qu’elle bien installée, là-haut, avec Ian. Reste en paix.
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“Your confusion / My illusion / Worn like a mask of self-hate / Confronts and then dies / Don’t walk away” – Ian Curtis