Hasard du calendrier en ce 18 janvier surnommé Blue Monday, ce jour réputé comme étant le plus déprimant de l’année, la France avait une bonne raison de faire la gueule, apprenant dans la soirée le décès de Jean-Pierre Bacri. Découvert par le grand public en 1981 dans Le Grand Pardon d’Alexandre Arcady, l’acteur et scénariste est parti des suites d’un cancer à 69 ans, laissant derrière lui une carrière immense oscillant entre comédies populaires, drames et satires.
Sa bataille, à l’ombre des médias, sonne comme une révélation soudaine qui assombrit davantage cette maudite période et prouve que le monde a encore beaucoup à apprendre de Jean-Pierre Bacri que l’on aura admiré une dernière fois sur grand écran dans Photo de famille de Cécilia Rouaud et Place publique d’Agnès Jaoui, sa sœur d’âme. L’occasion de se pencher, en sept anecdotes, sur sa vie dont on ne veut pas retenir que les coups de gueule et le cynisme inimitables.
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Né à Castiglione en Algérie, le 24 mai 1951, le jeune Jean-Pierre Bacri témoigne d’une enfance en proie à l’ennui, dans l’attente de devenir adulte et de prendre sa vie en main. “Je me revois encore boire café sur café dans les milk-bars à côté du lycée avec la conscience d’attendre”, confiait-il au Monde, il y a dix ans. Élevé par un père facteur et ouvreur le week-end qui lui martelait sans cesse “qu’il n’y avait aucune différence entre un président de la République et un balayeur”, il déménage en France avec sa famille suite à la proclamation de l’Indépendance en 1962.
Les Bacri habitent alors un studio, où vivent huit personnes qui dorment tête-bêche. Lorsque Télérama lui demandait s’il était nostalgique de ce passé en Afrique, le comédien avouera sobrement : “Je ne suis pas copain avec ma jeunesse. J’ai été ravi d’être adulte.” De cette jeunesse plutôt secrète qu’il balayera rapidement au cours des interviews, l’acteur s’est dépeint une vie oisive, contrastant avec son arrivée euphorique à Paris.
2. Il était… banquier
S’il se rêve d’abord enseignant de français et de latin lorsqu’il est au lycée Carnot, il intègre une fac de lettres où il ouvre moins de classiques qu’il ne joue au poker. Une nuit, il se laisse submerger par l’appât du gain et perd l’équivalent de 4 000 euros, que ses partenaires lui réclament au guichet.
Face à cette situation délicate, il doit demander un prêt à la banque pour payer ses dettes, comme il l’a confié à Télérama. Il décroche un job à la Société Générale de Cannes. Sans surprise, le costume, la cravate, le rasage de près et le sourire niais du bon petit soldat ne lui conviennent pas. Sur un “J’en ai eu marre, j’ai décidé que c’était inhumain” qui lui sied plutôt bien, il claque la porte et file à Paris pour tenter sa chance dans la publicité.
Le jeune provincial se trouve finalement un job alimentaire à l’Olympia et décide de s’inscrire aux Cours Simon pour devenir acteur. Jean-Pierre Bacri écrit finalement d’une première pièce de théâtre, Tout simplement, en 1977 et décroche son premier rôle deux ans plus tard dans Toubib de Pierre Granier-Deferre. Sa carrière est lancée.
3. Il formait les “Jabac” avec Agnès Jaoui
"- Ça vous convient qu'on parle aussi souvent de Bacri-Jaoui que de Bacri tout seul ?
— Damien Leblanc (@damien_leblanc) January 19, 2021
- Ça me convient parce qu'Agnès, c'est la femme de ma vie. Tout ce qui m'associe à elle est un compliment. J'ai appris la moitié de ce que je sais avec elle."
Jean-Pierre Bacri, 1999 @PremiereFr pic.twitter.com/SetYAbEtYI
Il est impossible d’évoquer Jean-Pierre Bacri sans parler d’Agnès Jaoui. Ce serait comme parler de Thelma sans Louise, de Bonnie sans Clyde. Indissociables à la vie comme à la scène, ces deux sœurs d’âmes ont partagé une histoire d’amour, une amitié sans faille, des scénarios, des films, des pièces… Leur œuvre est une symbiose parfaite.
Les deux artistes se sont rencontrés en 1987, alors qu’ils échangeaient des répliques dans la pièce L’Anniversaire d’Harold Pinter, mise en scène Jean-Michel Ribes. Cuisine et Dépendances, Un air de famille, Le Goût des autres, Place publique… le duo a même été surnommé les “Jabac” par Alain Resnais qui les a dirigés dans Smoking / No Smoking, que le duo a coécrit et qui leur permettra de recevoir leur premier César du Meilleur scénario.
4. Acteur, il n’a eu qu’un seul César
Suite à cette première récompense aux César, l’acteur poursuivra dans cette lancée avec sa moitié. Ensemble, ils partageront par la suite des statuettes dorées pour Un air de famille, On connaît la chanson et Le Goût des autres. Seul et en tant que comédien, il n’aura brillé qu’une fois et dans un second rôle si l’on tient compte du jugement des membres de l’Académie qui ne l’ont distingué que pour son rôle dans On connaît la chanson, malgré six nominations comme Meilleur acteur. Dans un élan d’humilité, Jean-Pierre Bacri disait préférer les sélections aux prix, rapporte Le Monde.
5. Il était très engagé
Frappé par la déception de Michel Rocard lors de la défaite des socialistes en 1978, Jean-Pierre Bacri s’intéresse à la politique et s’engage dans diverses causes. Depuis son ancrage à gauche, il s’est notamment illustré en grand défenseur des intermittents du spectacle en 2004, à Cannes après que sa compagne Agnès Jaoui a interpellé le ministre de la Culture d’alors en réclamant une révision du régime d’assurance chômage pour les artistes lors de son discours aux César la même année.
#HOMMAGE L'acteur, scénariste, réalisateur, Jean-Pierre Bacri est décédé à l'âge de 69 ans.
— Citizen Cannes TV (@CITIZENCANNES) January 18, 2021
Il avait étudié au lycée Carnot dans les années 60 et avait soutenu les étudiants en audiovisuel en leur adressant un gentil message lors de sa venue au festival de #Cannes en 2004 ... pic.twitter.com/1fZtI0ddhL
Un an plus tard, il décide de parrainer le collectif Devoirs de mémoires, une association qui œuvre contre le racisme et la discrimination raciale et pour la préservation de l’histoire durant les périodes d’esclavage et de la colonisation française. En 2014, il est également devenu membre du comité de soutien à la candidature d’Anne Hidalgo à la mairie de Paris.
6. Il ne regardait jamais ses films
Au prix du paradoxe de ces acteurs qui possèdent une filmographie dense, Jean-Pierre Bacri n’arrive pas à se voir à l’écran, ni à s’entendre chanter. Répétant souvent qu’il se trouve “disgracieux physiquement” ou qu’il “s’attendait à voir Hugh Grant et qu’il découvre Jean-Pierre Bacri”, le comédien s’est beaucoup dévalorisé dans les colonnes de Psychologies :
“Je ne regarde même plus mes films. À l’écran on se voit de tous les côtés. Mais surtout je vois un type qui ne sait pas jouer. Je me prends la tête à chaque fois. Je me croyais tellement plus impressionnant, tellement plus émouvant ! Mais où elle est l’émotion que j’avais mise ? C’est terrible ! “
Mais l’éternel râleur supporte encore moins les standing ovations lorsqu’il arrive sur les plateaux télévisés. Le visage plein d’humilité, il déclare en 2017 sur le plateau de Quotidien : “Cette manie de la standing ovation, faut arrêter. Le jour où un mec va trouver un truc contre le cancer, on fera quoi ? Des sauts périlleux ?”
"Cette manie de la standing ovation, faut arrêter. Le jour où un mec va trouver un truc contre le cancer, on fera quoi ? Des sauts périlleux ?"
— Quotidien (@Qofficiel) January 18, 2021
Jean-Pierre Bacri, dans #Quotidien, le 27 septembre 2017pic.twitter.com/zqk6aTFowK
7. Il avait la phobie de l’avion
Malgré sa grande gueule et ses airs invincibles, Jean-Pierre Bacri avait bien une faiblesse : l’avion. En dépit de plusieurs tentatives, le comédien a compris que le train était son meilleur allié pour se rendre sur des lieux de tournage hors de Paris et à des festivals pour des avant-premières.
Avec humour, le comédien avait révélé qu’il n’y aurait eu qu’une solution miracle pour qu’il s’envole dans les airs : “La seule personne qui pourrait me faire prendre l’avion, c’est Tarantino s’il me demandait de venir le voir.”