Vendredi 25 février, des réalisateurs césarisés – Arthur Harari, César du Meilleur scénario original, Elie Girard, César du Meilleur court-métrage de fiction – sont montés sur la scène de l’Olympia arborant, en symbole, une discrète broche en forme de clé sur leur tenue de gala. D’autres artistes, comme Nelly Quettier, César du Meilleur montage pour Annette, ont érigé cette fameuse clé en modèle à suivre dans leurs discours de remerciements. Vendredi, beaucoup ont donc eu une pensée pour La Clef, le dernier cinéma associatif de Paris, désormais plongé dans le noir, projecteurs éteints.
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Officiellement fermé depuis 2018 mais occupé depuis septembre 2019 par des cinéphiles militants qui s’opposaient à son repreneur, le groupe SOS, La Clef est depuis trois ans régulièrement menacé d’expulsion. Malheureusement, la mobilisation presque hors du commun dont a bénéficié ce petit cinéma du quartier latin à Paris de la part du public – qui se pressait en masse dès 6 heures du matin pour assister aux projections – et des artistes, de Mathieu Amalric à Annie Ernaux en passant par Jonathan Cohen et Agnès Jaoui, n’aura pas suffi. Mardi 1er février à minuit, le dernier avis d’expulsion en date a expiré et le cinéma a été évacué mardi matin par la police.
“La Clef est le noyau, mais ça va bien au-delà”
C’est en 1969 que Maurice Frankfurter achète ce vieux bâtiment dans le très militant et étudiant quartier de Censier-Daubenton à Paris pour en faire un cinéma. Dix ans plus tard, en 1980, le comité d’entreprise de la Caisse d’épargne le rachète pour le mettre à disposition de ses salariés, laissant l’exploitation des deux salles de projection aux employés historiques.
Après une première fermeture en 2009 faute de rentabilité, ce lieu de transmission sera sauvé in extremis jusqu’à ce que le propriétaire ne mette l’immeuble en vente en 2015. Trois ans plus tard, le dernier cinéma associatif de Paris baisse le rideau jusqu’à sa réouverture “illégale” en septembre 2019, en opposition au projet de rachat par le groupe SOS.
Ce mastodonte de l’économie sociale et solidaire envisageait de mettre 4,2 millions d’euros sur la table pour racheter ce cinéma du désormais très bourgeois Ve arrondissement de la capitale. Si l’objectif annoncé par le groupe était bien de maintenir ce cinéma associatif, les militants craignaient un simple projet de spéculation mobilière. Thibaut, réalisateur et membre du collectif La Clef Revival, nous explique :
“L’objectif d’acheter le cinéma pour en faire un bien commun est toujours d’actualité. Les lieux éphémères, on trouve ça très beau, mais on a envie de pérenniser un endroit de culture autonome et jeune et un cinéma historique de quartier. Dans un Paris qui ne cesse de se gentrifier, c’est une démarche politique que de rêver à cet espace commun et libre d’accès aux personnes précaires, aux jeunes et aux minorités en plein cœur du Ve. La Clef est le noyau, mais ça va bien au-delà.”
Deux heures après la fin de l’évacuation de La Clef mardi matin, le groupe SOS a annoncé renoncer à son projet de rachat, laissant l’avenir du dernier cinéma associatif de Paris en suspens. Héléna, réalisatrice et photographe, également membre de La Clef Revival, nous assure :
“Maintenant, on attend une médiation de la part du ministère de la Culture. On n’occupe plus les lieux, il faut donc venir nous parler. D’autres cinémas vous nous accueillir pour des projections et des tables rondes. La Clef, ce n’est pas fini, on a encore des choses à dire.”
“La Clef de 6 à 8”
Pour sauver ce lieu associatif à la programmation à la fois collective et engagée, l’association y projetait courts et longs-métrages en continu, de 6 heures du matin à minuit lors de séances uniques à prix libre, loin du rythme infernal des circuits de distribution traditionnels. Le collectif proposait aussi des ateliers de création avec des jeunes cinéastes, travaillait à l’éducation à l’image, à des émissions de radio et à un fanzine.
Puis, entre minuit et 6 heures du matin, les militants se relayaient pour une occupation citoyenne des lieux afin de ne pouvoir être délogés. “Impossible de chiffrer le nombre d’heures qu’on a passé à La Clef, mais depuis qu’on a appris qu’on était menacés d’expulsion immédiate il y a un mois, on était presque tous présents six jours sur sept, jour et nuit”, nous confie Thibaut.
Dans cette cinémathèque alternative, les militants organisaient également des rencontres prestigieuses (Céline Sciamma, Leos Carax ou Jean-Luc Godard y avaient leurs habitudes) et, le dernier mois de mobilisation, plus de 6 000 cinéphiles et soutiens ont franchi les portes de La Clef. “Le débat organisé autour de La Naissance des pieuvres avec Céline Sciamma, Adèle Haenel et Pauline Acquart fait partie des moments les plus marquants pour moi”, se souvient Héléna.
Et si les discours des artistes césarisés sont parfois raillés pour leurs prises de position politiques un peu vaines, certains ont véritablement fait la différence vendredi dernier sur la scène de l’Olympia. Thibaut affirme :
“On a reçu énormément de soutien, mais je pense que ceux qui ont le plus compté, ce sont ceux de la directrice de la photographie Caroline Champetier, qui a parlé au nom de Leos Carax et de Nelly Quettier, qui nous ont ouvertement soutenus à la cérémonie des César. C’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase et c’est à ce moment-là que le groupe SOS a décidé de se retirer du projet.”
Quand la police a débarqué sur les lieux mardi matin, l’équipe de militants lançait la projection de Cléo de 5 à 7 d’Agnès Varda. “Notre volonté, c’était de ne pas partir sans avoir lancé ce film. C’était officiellement Cléo de 5 à 7, mais c’est devenu La Clef de 6 à 8″, concluent Héléna et Thibaut. Longue vie à La Clef.