Après des mois de controverses au sujet de son casting et de sa bande-annonce, la version 2016 de S.O.S. Fantômes a déchaîné depuis sa sortie une tempête de trolling sur Internet particulièrement clivante.
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Ça y est, c’est fait, Ghostbusters version 2016 est sorti en salles aux États-Unis. Kristen Wiig, Melissa McCarthy, Leslie Jones et Kate McKinnon se sont glissées dans les tenues de dératiseurs abandonnées par Bill Murray et sa bande en 1989.
Un reboot, donc, mais un reboot 100 % féminin. Une grande première dans un Hollywood plus préoccupé par l’argent (quitte à créer une nouvelle polémique inutile) que par le souci de représenter l’espèce humaine dans sa diversité. “Jusqu’alors, les femmes n’étaient que des plantes vertes dans nos films ? Reprenons une franchise d’hommes avec des femmes à la place, et réjouissons-nous d’entendre la mélodie des haters !”, ont dû se dire les producteurs du film. Bien joué, messieurs de chez Sony, vous pouvez maintenant attraper le pop-corn et compter votre recette.
De l’annonce du casting à la sortie de la première bande-annonce en mai, ce nouveau Ghostbusters est devenu pour certains geeks misogynes (dont notamment une partie des utilisateurs de Reddit) l’incarnation cinématographique d’un agenda féministe, malicieusement camouflé sous l’odieux prétexte d’un reboot. Ce complot viserait à émasculer progressivement la culture dominante au profit des “social justice warriors” (SJW), ces salafistes de l’égalité et des privilèges, alors qu’on était jusque-là peinards entre couilles à se donner de grandes claques dans le dos en comparant la coolitude respective des héros de notre enfance.
Bref, une abomination. Ni une ni deux, une campagne de trolling s’est lancée, avec les armes de l’époque : une pluie de pouces rouges sur la vidéo de la bande-annonce et beaucoup, beaucoup de hurlements en 140 signes. Mission accomplie, la vidéo est aujourd’hui la plus “dislikée” de l’histoire de YouTube et ça vaut bien une tournée de shots de whisky au bar. Sauf que depuis le film est sorti. Et il paraîtrait même qu’il n’est pas si nul que ça.
Propagande, contre-propagande
Jeudi 14 juillet 2016, sortie du film en salles aux États-Unis. Sacredieu ! Pas moins de 73 % d’opinions positives sur Rotten Tomatoes. Ni une, ni deux, sur le subreddit r/ghostbusters, les phallocrates rebranchent les claviers tandis qu’en face, on affûte les punchlines girl power.
Et l’histoire se transforme, doucement, en un grand n’importe quoi radicalisé, où les convictions piétinent le bon sens, sans vergogne. Il y a trois jours, le redditeur Better_Butter321 évoque une initiative de censure des critiques positives du film sur le subreddit r/movies, sans que l’on sache vraiment s’il s’agit ou non d’un troll. Du côté des féministes, on accuse les médias de faire leur beurre sur les critiques négatives.
Sur les forums, IMDb et Rotten Tomatoes ont droit à un procès en propagande. Outre-Atlantique, tous les journalistes ayant osé donner leur avis sur le film sont examinés en détail par chacune des factions pour essayer de percer à jour les motivations secrètes de leur critique. Et tant pis s’il n’y a rien d’autre à débusquer que l’amour du cinéma grand public et la tendresse de retrouver en salle une franchise cultissime : pour les croisés des forums, ne pas choisir de camp, c’est forcément être dans l’autre.
La défaite de la raison
Pourtant, sans avoir vu le film, il y a effectivement de très légitimes raisons de regarder sa sortie avec scepticisme, qui n’ont pas le moindre lien avec le sexe de ses protagonistes. On peut ainsi citer, pêle-mêle, Hollywood et son obsession pour les reboots, une bande-annonce dont l’humour des punchlines frôle le niveau des blagues Carambar, ou encore la filmographie peu impressionnante du réalisateur Paul Feig… Mais ne nous fatiguons pas, il est trop tard pour l’argumentation.
Comme le notait Polygon le 13 juillet, Ghostbusters 3 est déjà perdu pour la critique objective, coulée (car trop silencieuse) par la marée hurlante des arguments d’autorité.
Que nous le voulions ou non, la minorité trollesque a gagné. Du côté des critiques du film, la frange activiste anti-SJW s’est incrustée chez les fans sincères de la franchise (qui ne sont jamais heureux d’un reboot au premier abord, par principe) et contrôle temporairement leur univers et leurs arguments, rapprochant inévitablement les deux discours dans un feu d’artifice d’amalgames. Et la logique est la même en face, certains défenseurs du nouvel opus le voyant comme un simple trophée à remporter dans la lutte pour l’égalité des sexes.
Le critique ciné James Rolfe, qui a refusé de voir le film pour des questions de respect à la franchise originelle avant de se voir taxer de misogyne pleurnichard et lâche par les hérauts d’une certaine vision du féminisme, est un bon exemple de la fureur que suscite le film en ligne et des parallèles improbables — coucou le Gamergate — qu’il génère.
Merci à toi, Internet. Grâce à ta guéguerre, Ghostbusters 3 est devenu une affaire Dreyfus du 7e art : si on aime, c’est qu’on est militant féministe/ SJW/ “feminazi”; si on n’aime pas, c’est qu’on est misogyne/macho/ hater (rayez les mentions inutiles). Entre les deux tranchées, on retrouve le no man’s land de la réflexion critique.
Ghostbusters n’est plus un film, c’est un référendum de PMU sur l’égalité des sexes au cinéma. Personnifié par quatre héroïnes en costumes de dératiseurs qui jouent du flingue à plasma sur des fantômes en effets spéciaux, et entretenu par des cris d’orfraie en 140 caractères. On a les conditions de débat qu’on mérite. Préparez-vous, la polémique arrive en France le 10 août — et peut-être que nous, on s’en foutra complètement, qui sait ?