“Toute ma vie n’a été que cinéma et religion”, avait un jour déclaré Martin Scorsese, auteur d’une œuvre éclectique dont chaque film ou presque bouleverse le septième art, devenu sa religion qu’il vénère et qu’il chérit. Depuis son premier long-métrage Who’s That Knocking at My Door en 1967 jusqu’à son dernier film The Irishman en 2019, le cinéaste italo-américain a traversé et surmonté de nombreux obstacles, comme un chemin de croix, pour l’amour des films.
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Du haut de ses 78 ans, le cinéaste aux multiples récompenses semble de plus en plus désabusé par l’industrie du cinéma. Si, en 2019, Martin Scorsese déplorait les productions Marvel, n’hésitant pas à comparer ces films à des “parcs d’attractions”, il s’en prend aujourd’hui aux plateformes de streaming dans une tribune d’Harpers’s Magazine, à travers laquelle il rend hommage au cinéma de Federico Fellini.
Cinéaste des rêves et des fantasmes, mettant en scène les excès des hommes avec grâce, Federico Fellini s’est imposé comme une figure incontournable du septième art avec La Dolce Vita, La Strada et, bien sûr, Huit et demi. Cher aux yeux des cinéphiles, Fellini a accompagné Martin Scorsese, comme une sorte de professeur spirituel, tout au long de sa carrière. Aujourd’hui, Martin Scorsese déplore la rareté de ces auteurs, devenus des perles rares dans une industrie qui ne jure que par l’argent, explique-t-il dans les colonnes du magazine.
Alors que la pandémie de Covid-19 met de plus en plus le cinéma en péril, entre les salles qui ferment leurs portes et les films récupérés par les plateformes de streaming qui se frottent les mains, Martin Scorsese a décidé de pousser un coup de gueule. Selon lui, le cinéma est en passe de devenir une autre forme de “contenu”, alimenté par des plateformes de streaming de plus en plus puissantes, triant les films avec des algorithmes et proposant aux consommateurs des choses à “ajouter à la liste”.
Regrettant une certaine magie du cinéma, Martin Scorsese déplore cette utilisation du terme “contenu”qui a été imposée, selon lui “par les personnes qui ont pris le contrôle des médias, dont la plupart ne connaissaient rien à l’histoire de cette forme d’art, ou même s’en souciaient suffisamment pour penser qu’elles devraient le faire”, avant de poursuivre :
“Le ‘contenu’ est devenu un terme commercial pour toutes les images qui bougent : un film de David Lean, une vidéo de chat, une publicité pour le Super Bowl, la suite d’un film de super-héros, un épisode de série.
Cela a été lié, bien sûr, non pas à une expérience de cinéma, mais à un visionnage à domicile, sur les plateformes de streaming qui sont venues dépasser l’expérience cinématographique, tout comme Amazon a dépassé les magasins physiques.”
© Criterion Collection
Le cinéphile n’est pas un consommateur
Martin Scorsese nuance tout de même son propos en rappelant qu’il a pu bénéficier de l’aide d’une plateforme, en l’occurrence Netflix, pour travailler. En 2019, il avait effectivement réuni Robert De Niro et Al Pacino devant sa caméra le temps d’un Irishman sublime, sonnant comme une lettre d’adieu à un art auquel il aura voué sa vie, entouré de ses fidèles collaborateurs, de Joe Pesci à Bobby Cannavale ou encore Harvey Keitel.
Netflix avait offert une enveloppe de 160 millions de dollars pour financer les effets spéciaux nécessaires pour les acteurs, que le réalisateur souhaitait rajeunir pour raconter le périple de Frank Sheeran sur plusieurs décennies.
À l’époque, ce film était une aubaine pour Martin Scorsese, car aucun studio ne voulait le soutenir, comme il l’explique au Parisien :
“Personne ne voulait le faire ! On a essayé, mais aucun studio ne voulait mettre assez d’argent. Le problème du rajeunissement numérique, c’est son coût… Et c’est là que Netflix est arrivé. Mon manager m’a dit : ‘Des gens de Netflix sont intéressés. Ils font du streaming et seraient prêts à apporter le budget nécessaire…’ J’ai répondu : ‘Tout ce que je veux, c’est une totale liberté créative.’ Mon manager m’a dit : ‘Ils te la donneront.’ Et ça a été le cas.”
Conscient de ce que Netflix a pu lui apporter, Martin Scorsese rappelle qu’il “n’a pas fait un film pour la salle, ni pour la télévision”, mais qu’il “a juste fait un film”. Si cette situation arrange donc bien de nombreux cinéastes, comme lui, poursuit-il, cette situation biaise aussi la vision du spectateur :
“Tout est présenté au spectateur sur un pied d’égalité, ce qui semble démocratique, mais ça ne l’est pas. Si une vision plus approfondie est ‘suggérée’ par des algorithmes basés sur ce que vous avez déjà vu et que les suggestions sont basées uniquement sur le sujet ou le genre, alors qu’est-ce que cela fait à l’art du cinéma ?
[…]
Ceux d’entre nous qui connaissent le cinéma et son histoire doivent partager notre amour et nos connaissances avec le plus de monde possible. Et nous devons faire comprendre aux propriétaires légaux actuels de ces films qu’ils représentent bien plus que de simples biens à exploiter puis à enfermer. Ils font partie des plus grands trésors de notre culture et doivent être traités en conséquence.”
Il est en effet bon de rappeler que les algorithmes se basent, par définition, sur des calculs qui traitent le spectateur comme un consommateur, et rien d’autre.