Pour que les techniques traditionnelles et les secrets de fabrication des pâtes ne tombent pas dans l’oubli, une chaîne YouTube part à la rencontre de grands-mères à travers toute l’Italie.
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Après avoir parcouru le monde, entre le Turkménistan, la Sibérie et l’Afrique du Sud, Vicky Bennison s’est finalement installée en Italie, en 2005. Si aujourd’hui, elle partage son temps entre les Marches, sa région d’adoption en Italie, et Londres, elle consacre surtout le plus clair de son temps à voyager à travers la Botte.
Il y a cinq ans, elle créait Pasta Grannies, une chaîne YouTube destinée à documenter et immortaliser les techniques traditionnelles de fabrication de pâtes de nonna (grand-mère en italien) aux quatre coins de l’Italie. Un projet essentiel, pour la postérité, qui nous a forcément donné envie de nous entretenir avec sa créatrice. Au programme : voyages, pi fasacc et avenir des recettes traditionnelles en danger.
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Club Sandwich | Quand le projet a-t-il vu le jour ?
Vicky Bennison | Il y a cinq ans déjà. Au début, ce n’était que de la recherche, que je filmais de temps à autres. Puis l’algorithme de YouTube a fait des siennes et j’ai commencé à publier de nouvelles vidéos chaque semaine. Aujourd’hui, je compte près de 336 000 abonnés du monde entier.
Qu’as-tu appris de la cuisine italienne en rencontrant toutes ces femmes ?
J’ai appris que la cuisine italienne était unique, mais également très régionale. Les cuisiniers et chefs en Ligurie (nord-ouest de l’Italie) ne sont pas forcément très intéressés par ce que les gens cuisinent en Basilicate (sud de l’Italie). Les mouvements de population du sud vers le nord du pays ont fait que des grandes métropoles comme Milan servent aujourd’hui une large variété de plats régionaux. Mais, en milieu rural, la situation est bien différente.
Qu’est-ce qui t’a donné l’idée d’un tel projet ?
Tout le monde aime sa grand-mère. Et tout le monde aime les pâtes. Mais, malheureusement, les techniques de fabrication de pâtes sont en train de mourir à petit feu dans les ménages italiens, c’est ce que j’ai remarqué lors de mes recherches pour un livre. Il y a toutes ces grands-mères extraordinaires qui se lèvent à 5 heures du matin pour faire des pâtes fraîches, alors que dans le même temps, leurs petits-enfants sont élevés avec des pâtes séchées industriellement.
L’art de la fabrication de pâtes serait donc un art en perdition ?
Un jour, j’ai demandé à un gérant de supermarché de faire venir sa grand-mère, Maria, pour la prendre en photo. C’était la première fois qu’il cuisinait avec elle. La petite-fille de Maria n’était pas intéressée par l’idée et n’est pas venue. Maria, qui était costumière et femme de ménage, passe sa retraite à préparer des pâtes pour un restaurant local.
“Malheureusement, les techniques traditionnelles de fabrication de pâtes sont en train de mourir à petit feu”
Mais alors, qu’en sera-t-il dans dix ou vingt ans ?
Cette situation, on la retrouve un peu partout en Italie. Chaque famille pense que la grand-mère est la meilleure cuisinière. Mais ce que prépareront les grands-mères dans vingt ans sera bien différent. Mon projet, Pasta Grannies, se donne ainsi pour mission de garder une trace de ces recettes de pâtes fabriquées à la main, à la maison.
Les plats régionaux sont-ils condamnés, eux aussi, à disparaître ?
De nombreux bousculements ont eu lieu depuis les années 1950. Les femmes [traditionnellement et historiquement en charge de la cuisine dans les ménages italiens, ndlr] ont des professions et vont au travail. Aujourd’hui, on observe que les Italiens sont de plus en plus portés vers des régimes particuliers – gluten free, pour n’en citer qu’un –, ou se dirigent davantage vers des aliments transformés.
À ce point ?
Bien sûr, il reste encore une majeure partie d’Italiens qui prennent encore la nourriture très au sérieux. Je pense que les plats et recettes traditionnelles resteront une réalité, mais essentiellement dans les restaurants ou dans les magasins spécialisés [pastificio, ndlr].
Tu as beaucoup voyagé à travers l’Italie. Y a-t-il une ville, ou une région, qui t’a particulièrement marquée ?
Je n’ai pas vraiment de ville ou de région préférée – chacune a quelque chose d’unique à offrir. Par exemple, l’Émilie-Romagne est le point central des pâtes aux œufs, et la région d’où proviennent de nombreux produits emblématiques, comme le parmigiano reggiano. Mais j’aime aussi beaucoup des villes plus petites, moins connues, comme Trieste (Frioul-Vénétie julienne) ou Alghero (Sardaigne).
“Il est impossible de ne choisir qu’un seul plat préféré”
Il y a des plats qui t’ont surprise ?
Je suis toujours heureuse lorsque nous découvrons des plats de pâtes inhabituels, comme le pi fasacc. Une recette qui nous vient de Lombardie, près du lac d’Iseo. Aussi, il y a quelques semaines, j’ai filmé une grand-mère de 96 ans dans les Marches, qui m’a montré comme préparer la crescia sfogliata, qui rappelle le strudel. On aurait pu se demander si un Autrichien ne s’était pas installé dans le village un siècle auparavant, ou si la technique est apparue spontanément.
Avec l’expérience, tu as peut-être une recette ou un plat préféré ?
Je dois l’avouer : je n’ai pas de plat préféré, même si je dois bien reconnaître mon faible pour les pâtes mélangées aux légumineuses, pour les tortelli di zucca ou une bonne lasagne. Vraiment, il est impossible de n’en choisir qu’un seul.
Et un plat un peu plus difficile que les autres ?
Le plat le plus délicat que j’ai pu manger jusque-là, c’est une polenta à la farine de châtaigne, à la fois douce et collante, servie avec des pieds de porc salés et des os. C’est un repas traditionnel de la région de Garfagnana, en Toscane.
Il reste des régions dans lesquelles tu rêves d’aller ?
Je ne suis pas encore allée en Calabre ou dans le Trentin-Haut-Adige. Ce sont deux régions que j’espère visiter dans les six prochains mois… car j’ai un livre à écrire !
La chaîne de Pasta Grannies est à retrouver ici.