Après cinq années à Paris, loin de mon Sud-Ouest natal, je suis arrivé au point de rupture. Après cinq années à essayer de trouver, dans la capitale, une saucisse de Toulouse digne de ce nom, j’ai décidé de lâcher l’affaire et d’abandonner cette quête de l’impossible. Voilà, fini la chasse au trésor dans les boucheries-charcuteries de la capitale. Fini de fouiller Instagram et les articles répertoriant “la meilleure saucisse de Paris”. Il y a quelques mois, j’ai fait le choix d’investir dans une petite glacière et dans deux blocs de glace, quitte à rentrer les valises plus lourdes de mes séjours dans le Sud-Ouest – où l’on trouve l’une des meilleures saucisses du monde.
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© Sara Bentot pour Club Sandwich
Bon, le constat est un peut-être un peu exagéré, mais vous allez voir qu’il n’est pas aussi malhonnête qu’il n’y paraît. De mémoire de charcutier, il n’a jamais été aussi difficile de trouver de la bonne saucisse à Paris. “Les artisans charcutiers sont de moins en moins nombreux, il est donc logiquement plus difficile de trouver des saucisses préparées dans les règles de l’art”, reconnaît Gilles Vérot, artisan charcutier installé dans la capitale dont la réputation n’est plus à faire. À la Maison Vérot, voilà plus de dix ans qu’il fabrique de la saucisse malgré une enfance passée dans la région stéphanoise, où la saucisse s’avère bien plus fine que la saucisse de Toulouse traditionnelle.
“Paradoxalement, j’ai découvert la vraie saucisse de Toulouse quand je suis arrivé à Paris, et non à Toulouse. J’avais une vingtaine d’années, je commençais à travailler dans des boucheries-charcuteries et je n’ai jamais arrêté d’en faire depuis”.
La saucisse-purée du Lazare. (© Club Sandwich)
Une question d’éducation
Pourtant, pendant longtemps, la saucisse de Toulouse – ou d’Auvergne – a connu un engouement certain à Paris, “notamment grâce à la présence de nombreux provinciaux, dit Gilles Vérot. La saucisse a toujours été beaucoup appréciée à Paris et, encore aujourd’hui, on en fait beaucoup à notre échelle.” Mais la raréfaction des artisans charcutiers, la concurrence de la grande distribution et les freins budgétaires imposés par certains restaurateurs ont eu progressivement raison de ce savoir-faire. Dans la capitale, les adresses offrant à leur carte une saucisse de qualité – de Toulouse ou non – se comptent aujourd’hui sur les doigts d’une main : Lazare, Les Arlots… Et quand elles ne sont pas devenues des repaires à instagrameur·euses·s, elles sont des antres d’initié·e·s. Ailleurs, le plus souvent, on préfère servir des saucisses moyennes, en espérant que le client n’y verra aucune différence.
Et c’est précisément là que se situe le nœud du problème. Le déclin de la saucisse tient, aussi et surtout, à une question d’éducation, explique Mathilde Galidie de la Maison Garcia, l’une des références de la boucherie-charcuterie à Toulouse. “Il faut pouvoir connaître et avoir goûté la saucisse de Toulouse pour savoir en reconnaître une qui vaut le coup. Quand on y réfléchit bien, il y a peu d’endroits en dehors de la région toulousaine où il nous est donné la chance de goûter ce produit”, dit-elle. Si, par exemple, vous n’avez jamais goûté à de vraies saucisses de Strasbourg avant d’avoir mangé une saucisse industrielle de grande surface, il sera difficile de savoir à quel goût et à quelles saveurs se fier.”
La possibilité d’une AOP
Dans la région toulousaine, la saucisse est un mets fondateur de la culture culinaire locale – et parfois source de vives polémiques. Avec des lentilles, dans le cassoulet, au barbecue, avec une purée ou même froide avec un peu de moutarde, on la consomme de mille et une manières. “On dit toujours que les Toulousains ne mangent que du cassoulet, ce qui est faux. Mais pour ce qui est la saucisse, par contre, c’est assez vrai”, sourit-elle. Sa composition, quant à elle, est assez commune : du maigre et gras de porc, un peu de poitrine, du sel et poivre, le tout brassé dans un boyau naturel. Mais, aussi simple ce savoir-faire soit-il, Toulouse n’échappe pas non plus à son crépuscule, puisque la raréfaction des artisans charcutiers y est également une réalité.
“Ici aussi, c’est une profession qui tend à diminuer. Il n’y a plus vraiment beaucoup de charcutiers qui font appel à la technique traditionnelle de production. Quand on y réfléchit, même à Toulouse, ce n’est pas toujours facile de savoir où acheter de la bonne saucisse.”
À tel point que l’appellation de “véritable saucisse de Toulouse de fabrication artisanale”, pensée comme une alternative à une AOP – pour laquelle l’interprofession ne s’est jamais vraiment impliquée –, est aujourd’hui presque tombée dans l’oubli. Celle-ci garantissait un savoir-faire, mais également une provenance géographique limitée à la Haute-Garonne et aux départements alentour. “À la Maison Garcia, nous perpétuons ces valeurs et ce savoir-faire, mais l’appellation n’est plus vraiment à jour”, regrette Mathilde Galidie.
Import-export
La saucisse de Toulouse vendue en brasse (au kilomètre) n’étant pas protégée – elle est soumise à un cahier des charges permettant une large prise de liberté vis-à-vis de la recette traditionnelle –, il ne reste plus qu’à s’en tenir à son palais, à ses papilles ou à la confiance que l’on accorde à son artisan boucher charcutier. “Un Toulousain saura reconnaître une vraie saucisse entre mille”, mais les autres…
Face à la concurrence de la grande distribution, faute d’AOP et d’un vivier suffisant d’artisans, la difficulté de trouver une bonne saucisse à Paris sonne alors fatalement comme une évidence. Et cela se ressent jusqu’à Toulouse. Si les clients de la Maison Garcia sont avant tout des locaux, l’établissement expédie régulièrement des colis hors des frontières de la Haute-Garonne, notamment à Paris. “Il y a en qui passent commande car ils nous connaissent, d’autres grâce au bouche-à-oreille.”
“Mais je me dis que si un Parisien fait appel à nous, malgré le coût des frais de port, c’est qu’il ne trouve pas forcément son bonheur chez lui.”
La saucisse de Toulouse, version Club Sandwich.
Storytelling vs. tradition
À la Maison Vérot, ce constat est partagé… mais nuancé. Si l’on ne trouve pas chaussure à son pied en matière de saucisse, c’est peut-être que l’on n’a pas encore trouvé le bon artisan ou que l’on est tombé sur le mauvais restaurant. “Ceux qui servent la saucisse ne sont souvent pas ceux qui la fabriquent. C’est une recette toute simple, mais si ce n’est pas bien fait…, confie Gilles Vérot. C’est avant tout une question de matière première et de savoir-faire.”
Aujourd’hui, sur les cartes de restaurants parisiens, l’appellation “saucisse de Toulouse” a laissé place au simple terme “saucisse”, voire à “saucisse au couteau” — deux produits pourtant radicalement différents, tant sur le plan de la fabrication que de l’origine géographique. Au cours de mon enquête, aucune carte des restaurants dans lesquels je me suis rendu pour déguster une saucisse ne faisait mention de la ville rose, y compris au Lazare qui s’en inspire, mais qui en propose une version légèrement détournée. La farce, imaginée par le chef Eric Fréchon, utilise de l’épaule de cochon, du lard de Colonnata, de la poitrine de cochon et un assaisonnement aux quatre épices.
Première hypothèse : l’appellation “saucisse de Toulouse” ne serait-elle finalement pas aussi populaire et évidente au-delà des frontières d’Occitanie ? “Le produit a peut-être finalement moins de notoriété en France que ce que l’on veut bien s’imaginer. Ça paraît évident pour les Toulousains, car on a été bercé avec. Mais ailleurs…”, suggère-t-on du côté de la Maison Garcia. Autre hypothèse ? Le storytelling. “Utiliser l’expression “saucisse au couteau”, c’est peut-être aussi un moyen pour certains restaurateurs de donner une impression d’un produit plus artisanal. L’appellation est un peu galvaudée aujourd’hui, mais on s’imagine l’artisan, les outils de hachage…”.