Konbini Food publie les bonnes feuilles de Cantine générale, premier ouvrage pop culturel (bilingue) dédié à la cantine sous toutes ses formes et à la manière dont elle nous accompagne tout au long de notre vie en société. Un livre imaginé par les Magasins Généraux-BETC et Phamily First que vous pouvez vous procurer en librairie ou en ligne.
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15 mars 2018, dans la crypte de l’église de la Madeleine à Paris, les flashs crépitent face au défilé de people : l’artiste JR avec ses lunettes noires et son chapeau, la top model Natalia Vodianova, la patronne du top 50 des meilleurs restaurants du monde Hélène Pietrini, les chefs Alain Ducasse et Yannick Alléno… En ce jour, ni mariage princier ni enterrement de VIP, mais l’ouverture d’un restaurant pour démunis par le cuisinier de la meilleure table du monde, dixit le World’s 50 best restaurants® ! “Plus nous serons nombreux à nous investir contre le gaspillage et l’exclusion à travers le monde, plus nous changerons les mentalités”, militait Massimo Bottura, en train de présenter la réplique parisienne de son Refettorio, né à Milan pendant l’Exposition universelle de 2015 et dupliqué entre-temps à Rio et à Londres.
Extension du domaine de la soupe populaire
Ce resto populaire 2.0 est la conséquence d’une réflexion réunissant lutte contre le gaspillage alimentaire et aide aux personnes dans le besoin. Cinq soirs par semaine, du lundi au vendredi, des dîners gratuits y sont préparés pour les démunis, sans-abri ou migrants, avec de la nourriture récupérée auprès de partenaires, telle la Banque Alimentaire. Le menu, concocté par une brigade composée d’un chef, Maxime Bonnabry Duval, et de cuisiniers bénévoles d’un soir, plus ou moins connus – les triples étoilés Pascal Barbot, Anne-Sophie Pic ou Alain Passard y ont cuisiné –, varie chaque jour en fonction des arrivages. “Nous privilégions la qualité à la quantité”, affirme Maxime, qui régale une centaine de convives par soir. Dans les assiettes ? Des courgettes farcies au poulet avec une sauce aux haricots beurre ; du daikon braisé avec une sauce à l’oignon et des gnocchis poêlés ; ou encore des bananes rôties avec meringue caramel au beurre salé et espuma de pain de seigle. Digne d’un néobistrot en vogue du 11e arrondissement.
Pour autant, l’ambition est plus forte que celle de “bien nourrir les plus démunis”. Tout a été pensé pour que les “invités” se sentent vraiment accueillis, voire bichonnés. Décor raffiné et chaleureux de l’architecte Nicola Delon et du designer Ramy Fischler, pimpé de nuages sculptés de l’artiste JR, lumières tamisées de Philippe Starck, belle vaisselle en porcelaine de chez Bernardaud, fournisseur qui travaille habituellement dans de grands restaurants, avec service à table… “Ce n’est pas de la charité, c’est un projet culturel pour combattre le gaspillage alimentaire avec la beauté de l’imagination des chefs, des artistes. Une personne qui a tout perdu a besoin de reconstruire à la fois son corps et son âme. C’est d’ailleurs le sens du mot “réfectoire”, du latin reficere, “restaurer” insistait Massimo Bottura lors de l’inauguration. Effectivement, son Refettorio restaure dans tous les sens du terme, le ventre et la dignité de ceux qui viennent y manger. “Les invités nous le disent : ils se sentent différents de ce qu’ils sont quand ils mangent ici !”, révèle Maxime.
Du lien et du liant social
Cette médiatique initiative, partie visible de l’iceberg, cache d’autres projets de secours alimentaire plus ordinaires, mais tout aussi louables. À commencer par l’historique Foyer de la Madeleine, où est d’ailleurs implanté le Refettorio parisien, restaurant qui sert le midi, depuis belle lurette, des menus complets et équilibrés à la fois pour le grand public (9 euros, moyennant une adhésion annuelle), et les personnes en difficulté (à 1 euro symbolique). À Aubervilliers, un autre modèle de cantine solidaire a vu le jour en juin 2018 dans un local mis à disposition par la mairie, le foyer Édouard Funck. Des repas chauds, fournis par l’entreprise d’économie solidaire Excellents Excédents, collectant les surplus de la restauration collective, y sont proposés à prix très modiques (3,50 euros), et offerts aux personnes en situation de précarité.
Un peu à la manière du réfectoire de Bottura, ce Rest’Auber associe lutte contre le gaspillage alimentaire et volet solidaire, tout en encourageant une mixité sociale et générationnelle puisque le lieu demeure ouvert à tous. Cette notion de lien réside au cœur même du projet des Petites Cantines, lancé à Lyon en 2015 et qui a, depuis, essaimé à Lille, Strasbourg, Annecy et Nantes. “Nous n’avons pas pour vocation de donner à manger à ceux qui n’ont rien, explique Étienne Thouvenot, le cofondateur de l’association, nos deux objectifs premiers étaient de développer un lieu de proximité, où les gens d’un même quartier pourraient se rencontrer, et d’y proposer une alimentation durable”.
Dans ces cantines, c’est la fête des voisins tous les jours. Qui veut y passe une tête pour cuisiner et/ou manger ensemble. La participation financière aux repas est libre, de manière à être le plus inclusif possible, et la participation tout court fortement encouragée (couper le pain, débarrasser, remplir la cruche d’eau ou faire la vaisselle). Sociales par nature, solidaires par extension, ces cantines offrent à chacun ce qu’il est venu y chercher : bien manger, aider son prochain, pratiquer une activité manuelle, rencontrer de nouvelles personnes ou simplement se sentir moins seul. En tout cas, une bienveillance certaine.
© Le RECHO
Cuisine et humanité
Servir la soupe populaire n’a jamais été non plus l’ambition du RECHO (contraction de REfuge, CHaleur et Optimisme), vaste projet solidaire imaginé en mai 2016 par Vanessa Krycève. L’histoire d’un couple de réfugiés syriens qui faisait la manche pour pouvoir acheter un dîner approprié, après s’être vu servir de la soupe au porc dans un centre d’accueil à Cologne, en Allemagne, la pousse à réparer, à sa façon, cette crise de l’accueil. Six mots suffisent à en définir l’action : “Cuisinons ensemble pour restaurer le monde”. Avec un food truck financé grâce au crowdfunding et le soutien de quelques toques bien senties (Florent Ladeyn, Akrame Benallal), les ateliers cuisine sont lancés sur le camp de la Linière à Grande-Synthe, commune collée à Dunkerque, puis dans différents centres d’accueil, et invitent réfugiés et populations locales à popoter puis manger ensemble ces frichtis préparés à plusieurs mains.
Extension naturelle du projet, un premier “vrai” restaurant solidaire éphémère a vu le jour à Arras en octobre 2018, sous le nom de Grand RECHO. Pendant deux semaines, une brigade iconoclaste mêlant réfugiés et locaux, à laquelle de grands chefs engagés étaient venus prêter main-forte (Michel Troisgros, Amandine Chaignot, Yves Camdeborde…), était chargée de préparer le buffet. Le résultat – surprise – était au menu chaque soir, dans une salle prêtée par la ville transformée en réfectoire solidaire, où avaient été dressées de grandes tables propices au partage et aux rencontres.
La danse du ventre n’est-elle pas le meilleur langage universel ? Celle qui fait tomber les barrières, peu importe son origine, sa langue ou sa couleur. “Notre volonté ? Mixité et horizontalité !, appuie Laura Duret, porte-parole de l’asso. On oublie trop souvent que derrière un réfugié ou un SDF, il y a une personne qui a tout autant à apporter que n’importe quelle autre personne. Par la cuisine, nous cherchons à remettre l’humain au cœur !” Avec 160 couverts servis par soir et, surtout, autant de personnes exceptionnelles mises en relation, cette première édition a dépassé toutes leurs espérances.
Je mange donc je donne
“En allant au restaurant, vous aidez quelqu’un à côté à se nourrir” : voici le postulat de départ d’Ernest. Ou comment manger peut être un vecteur de solidarité. Depuis 2015, l’action de cette association se déploie dans bon nombre de restaurants de l’Est parisien, où une petite participation, inspirée du traditionnel pourboire, est prélevée sur les repas faits sur place. L’argent collecté ainsi, ou par le biais d’événements éphémères – soirée street food, brunch etc. –, est réinvesti à chaque fois dans le même secteur et a déjà permis de financer du matériel de cuisine pour des associations ou des paniers de fruits et légumes bio une fois par semaine pendant un an à 60 familles dans le besoin.
“Nous sommes fiers d’allier aide et qualité de l’alimentation, ce qui n’est pas souvent le cas”, soutient Eva Jaurena, fondatrice. Et c’est vrai que cette vision de l’aide alimentaire, souple, simple et concrète se révèle séduisante. Exactement comme celle mise en œuvre par Va faire cuire un œuf, dont les dîners caritatifs à la cool organisés ponctuellement ont permis de récolter de l’argent en soutien aux réfugiés en situation de précarité en France. Ce n’est finalement pas un hasard si la solidarité alimentaire affectionne tout particulièrement la forme du réfectoire, lieu par essence où petits, riches, roux, boutonneux, minces ou lunetteux se partagent tables et plats.
Texte : Julie Gerbet
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