Tous les matins, c’est la même chose. Alors que le petit village alsacien de Kaysersberg dort encore à poings fermés, le chef Olivier Nasti, deux étoiles au compteur, chausse ses chaussures de randonnée, enfile son ensemble kaki et s’enfonce dans les massifs vosgiens à bord de son 4 × 4. Afin de familiariser les jeunes de sa brigade avec l’environnement et les différentes richesses naturelles de la région, il n’est pas rare que l’un d’entre eux vienne l’accompagner sur les hauteurs.
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(© Club Sandwich)
Mais, ce matin, c’est moi qui ai le privilège de partager avec le chef cette balade du crépuscule. “C’est peut-être le métier que j’exerce qui me pousse à décompresser de la sorte. Cela aurait pu être un footing ou autre chose, mais moi, c’est cette balade qui me donne de la force le matin”, dit-il, alors que la voiture approche prudemment de sa crête de montagne préférée.
“Vous l’avez vu ? Ils ne sont pas loin…”
Amoureux de la nature, Olivier Nasti, sacré meilleur ouvrier de France en 2007, n’aime pas parler de “communion”. Et pourtant, cette nature, on la retrouve partout – dans ses assiettes, dans ses lubies et ses obsessions. Le chef est ainsi un des rares qui parvient à lire la montagne comme nul autre. Ni solitaire, ni vraiment adepte des sorties groupées en montagne, il préfère se dire “concentré”.
Lui, l’amoureux de la nature, sait par exemple repérer la présence d’un chevreuil en un coup d’œil, un arbuste dévoré la nuit passée ou repérer un crottin qui indiquerait le passage de tel ou tel animal. “Ils étaient là cette nuit”, chuchote-t-il. Olivier Nasti sait aussi, et surtout, sentir les choses. Alors que nous marchons au-dessus d’une incroyable mer de nuages, il s’arrête net et exige le silence. D’un coup de jumelles, il repère, au loin, la course furtive d’un chamois. “Vous l’avez vu ? Ils ne sont pas loin”.
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Ce sens de l’observation, il le tient de sa longue expérience de pêcheur. “J’ai parcouru les quatre coins de la planète avec ma canne.” Aujourd’hui, il pêche moins, mais chasse, souvent en solitaire. Mais pas n’importe quelle chasse, prévient-il. “Je pratique une chasse d’approche. Vous approchez doucement, vous observez les animaux, vous ne vous précipitez pas.” Le tir ne survient que si l’observation est suffisamment précise et réfléchie.
“C’est la pêche qui m’a amené à ce mode de chasse. Quand vous êtes au milieu d’une rivière, il faut savoir la lire, l’observer. Il faut voir ce qui vole dans la nature, quel type de mouches, comprendre le courant, la place et le mouvement des cailloux. Si vous ne savez pas lire une rivière, vous n’aurez jamais de poisson.”
À rebours des idées reçues, Olivier Nasti préfère cuisiner le gibier en été. Celui-ci d’ailleurs tient une grande place dans sa cuisine. “Des bêtes des massifs, jamais des plaines. La chair d’un cerf ou d’un chevreuil chassé en été, qui se sera nourri d’herbes grasses et fraîches, sera exceptionnelle.”
Chasse, pêche et tradition
Alors que la marche se poursuit – et que le jour se lève –, nous arrivons sur une petite avancée au-dessus du lac Blanc. Là encore, il nous fait signe de rester discret. En nous confiant ses jumelles, il nous livre là toute son expertise. “Regarde, en bas, tu as plusieurs chamois”. Ils sont quatre, cinq peut-être, à brouter tranquillement.
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Sur le chemin du retour, Olivier Nasti prévient que les chances de trouver des champignons avec un froid pareil sont proches de zéro. Après la chasse, la cueillette est son autre passe-temps de prédilection dans ce massif vosgien. Bourgeons de pin, ail des ours et oxalis : “La disponibilité des produits, on ne la décide pas. La cuisine doit correspondre au temps qu’il fait dehors, alors il faut savoir aller cueillir ce que la nature nous donne.”
La rencontre des hommes
De jour comme de nuit, en été comme en hiver, Olivier Nasti chasse, pêche et cueille. Mais le chef s’est aussi construit un solide réseau de producteurs, cueilleurs et chasseurs autour de lui. Un travail de groupe, dit-il. “C’est la rencontre des hommes.”
À ce sujet, le chef a une anecdote qu’il ne manque jamais de rappeler. C’est l’histoire d’un cueilleur de la région qui parvenait à trouver des cèpes à des moments où personne dans la vallée ne parvenait à en trouver ne serait-ce qu’un seul. Vieillissant et ayant du mal à marcher, il n’a accepté de dévoiler son coin qu’à Olivier Nasti. “Ce genre de cadeau, de confidence, n’arrive pas du jour au lendemain.”
À 9 heures et quelques, il jette un œil à sa montre et accélère le pas. En bas, dans la vallée, son équipe l’attend pour le service du midi. Avant d’arriver à son véhicule, le chef se penche et ramasse une branche de conifère, tombée avec le vent, encore humide de la rosée du matin. La même branche que l’on retrouvera, en ornement, dans notre assiette le midi qui suit.
(© Club Sandwich)
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