Manger green est la tendance alimentaire phare de ce début de siècle, en particulier chez les jeunes générations. Mais en devenant un produit de consommation in, cette alimentation soucieuse de la planète ne perdrait-elle pas un peu de vue son éthique de base ?
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Je suis pour ma part devenue végétarienne il y a quatre ans, après la lecture de plusieurs livres (en particulier No Steak d’Aymeric Caron, Faut-il manger les animaux ? de Jonathan Safran Foer et Le Livre noir de l’agriculture d’Isabelle Saporta). J’en ai avant tout tiré des enseignements philosophiques, économiques et sociologiques sur notre rapport à la nature, l’exploitation des ressources, la société de consommation et sur la souffrance des bêtes, mais aussi celle des hommes. Devenir végétarienne m’est apparu comme une forme de contestation, un refus de participer à un système non durable qui exploite la planète et ceux qui y vivent.
Une façon de reconsidérer ma place dans le monde et une manière (parmi tant d’autres) de contester un système qui fonctionne sur l’exploitation, la consommation et la pollution… Derrière l’alimentation veggie il y a une idéologie politique, souvent liée à la préservation de l’environnement. Si son sujet me semble être à l’origine altruiste, égalitariste voire antispéciste, il m’apparaît devenir petit à petit un objet égotiste : se faire du bien, penser à soi, à sa santé, se valoriser pour se donner bonne conscience, se donner l’air cool mais aussi faire de l’argent. Aussi, je m’interroge : la pensée liée au végétarisme ou au véganisme, à l’origine anticonformiste, ne perdrait-elle pas de son essence ?
Une culture cool mais sans enjeu
Depuis quelque temps, manger sainement est devenu cool. Si avant t’avais l’air ridicule avec ta salade et tes graines, ces produits sont devenus à la mode et les consommer c’est renvoyer une bonne image de soi (saine, soucieuse de l’environnement, sportive, bref respectable). Mettre des baies de goji qui coûtent une blinde dans son bol au petit-déj c’est stylé, c’est “instagramable” et ça fait des likes. Mais une fois de plus, il s’agit d’un rapport à son image, une sorte de posture dénuée de convictions. On consomme veggie comme on porterait une fringue à la mode : pour renvoyer une image de soi qui nous flatte.
Si devenir végétarien était il y a plusieurs décennies un truc de hippies perchés, en dehors du système et altermondialistes, c’est aujourd’hui un étendard du cool qui permet de se situer socialement (“Eh regarde mon bol de quinoa à 20 balles !” hashtag machin). (Note : mon propre compte Instagram est lui-même une caricature). Qui croit sérieusement changer le monde en mangeant un brunch “sain” à 35 euros, sur la rive droite de Paris ?
Je discutais récemment avec Maria, une amie végane berlinoise ayant fait ses valises pour aller vivre à Lyon. Je rigolais de son choix : “Pourtant Berlin c’est la ville la plus végane du monde ! Tu ne vas pas avoir autant de choix en France !”, m’exclamais-je. Sauf que, à ma grande surprise, Maria n’appréciait pas la tournure végane que prend Berlin : “Non mais c’est ridicule, tout est végan, c’est devenu un truc de hipsters. Même les kebabs et les currywursts proposent des options véganes pour attirer plus de gens, c’est du business tout ça!”
Est-ce vraiment sain de manger des substituts de viande bourrés d’additifs, achetés en grande surface et produits par des multinationales ? Est-ce vraiment éthique de manger une salade pleine d’oléagineux qui ont fait 15 fois le tour de la planète avant d’arriver dans l’assiette ? Est-ce vraiment écolo de se faire livrer de la nourriture dite “healthy” dans un conteneur en plastique qui finira à la poubelle 15 minutes après ? En plaçant des étiquettes “healthy”, “veggie”, “bio” sur des produits ou au menu des restaurants, on vend aux gens de la bonne conscience prête à la consommation, mais on ne les encourage pas à s’interroger. Ce qui permet à notre génération “d’être altermondialiste la semaine et de taper de la coke le week-end”, comme le résumait avec sarcasme le blog Mon amie journaliste.
La victoire du marketing sur l’esprit de révolte ?
Ainsi, il me semble que l’esprit contestataire qui se nichait à l’origine dans ces modes d’alimentation perd de plus en en plus de terrain face aux impératifs de la santé, du bien-être et de la satisfaction personnelle. Une démarche un peu égoïste, qui se situe aux antipodes d’un combat global pour un autre modèle de société.
Actuellement, manger dans un resto “healthy” coûte souvent plus cher que de se faire un gueuleton dans une brasserie. Le fast food s’est emparé de ça, avec la folie des burgers et des wraps soi-disant sains, à 15 euros (on oublie que ça reste du fast food et donc, non, ce n’est pas sain par définition). Dans les pays anglo-saxons, on ne compte plus les marques de céréales (industrielles évidemment) à 10 dollars le paquet car estampillé “superfood”.
Comme si, soudainement, l’objet se retournait contre lui-même. L’alimentation “veggie” serait devenue un bien de consommation, avec pour objectif de nous glorifier sans avoir besoin de porter des convictions puisque le produit fait tout le boulot : “Je mange veggie donc je suis écolo/altruiste/engagé…” En d’autres termes, le marketing semble bien avoir gagné une bataille en nous faisant croire que consommer veggie c’est porter des valeurs, alors qu’il continue à faire de nous des consommateurs. Voici pourquoi, la démocratisation de la culture veggie – qui est malgré tout une bonne nouvelle – ne doit pas perdre de sa substance pour devenir un étendard à la mode qui déculpabilise les gens, en flattant leur ego et en leur faisant oublier de penser.