“Un métier du passé ? Non. Un métier plein d’avenir” : Mathieu Sabbagh, un ancien directeur de Pernod Ricard, a repris un alambic ambulant menacé de disparition en Bourgogne, misant sur la vogue de l’artisanal pour perpétuer la tradition. L’alambic Müller au cuivre rutilant gargouille de bruits caverneux, laissant échapper des flatulences de vapeurs délicieusement fruitées et caramélisées. Au bout d’un long parcours aux tuyaux justement alambiqués, coule un liquide cristallin au nez de raisin frais et de fruits mûrs : c’est le marc de Bourgogne, tel qu’il a bien failli disparaître du paysage de France.
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“On n’a rien changé”, lance Mathieu Sabbagh, plein de fierté d’avoir racheté en 2018 une activité commencée dès 1941 par les frères Pigneret. Cette famille faisait le tour des villages bourguignons pour recueillir les résidus de raisins des vignerons et les transformer en eau-de-vie. Mais, faute de repreneurs, c’est la disparition qui guettait le dernier des ambulants de Côte-d’Or, comme beaucoup en France.
© Alambic Bourguignon
“Il y a maintenant autour de 600 à 700 bouilleurs ambulants en France. Leur nombre a été divisé par deux en dix ans”, calcule Christian Paris, président du Syndicat national des bouilleurs ambulants et presseurs à façon. Pour Mathieu Sabbagh, élevé au biberon du spiritueux français, cette situation était intolérable : “J’avais envie de faire revivre ce patrimoine.” Chez Pernod Ricard, le directeur du développement international des marques françaises s’était fait le défenseur des alcools tricolores, ayant été par exemple à l’origine du come-back de l’absinthe.
Le cadre supérieur, aujourd’hui âgé de 47 ans, troque alors son costume-cravate pour le bleu de chauffe, et rachète l’affaire des Pigneret. Le bien nommé “Alambic Bourguignon” est né et le bon vieux Müller reprend la route, de Gevrey-Chambertin à Pommard. “Ça fait partie de nos racines. C’est l’ADN de la Bourgogne”, estime Xavier Monnot, un des quelque 300 vignerons qui apportent leurs résidus à Mathieu Sabbagh.
“Mathieu donne un petit coup de jeune à une activité très ancienne”, renchérit son collègue Charles Van Canneyt (domaine Hudelot-Noëllat). “Il faut un pied dans la tradition et un dans l’innovation”, explique Mathieu Sabbagh, qui fut barman à Londres et créa The Liquor Club, la société de consultants à l’origine du succès fulgurant des gins français Citadelle.
“Ce n’est pas un métier du passé mais un métier plein d’avenir. Aux USA, les distilleries artisanales sont passées en dix ans de 400 à 1 500. On est au début de cette vague : la volonté de consommer des produits authentiques”, assure-t-il.
© Alambic Bourguignon
“Oui, on est dans la mouvance de ces consommateurs qui vont chez le producteur bio”, se félicite Christian Paris, pour qui les bouilleurs ambulants bénéficient aussi du retour des bouilleurs de cru. Contrairement à une confusion courante, ces derniers ne sont pas des distillateurs mais des récoltants de fruits, souvent des particuliers qui ont quelques arbres et font distiller leurs produits. “Il y en a de plus en plus. Beaucoup de jeunes femmes nous amènent 25-35 kg de fruits pour faire de l’alcool pour la cuisine ou les cocktails. Elles veulent des produits authentiques”, explique M. Paris, disant ne “pas être inquiet pour l’avenir” de sa profession. “Ça a repris”, se félicite-t-il.
Pour l’instant, Mathieu Sabbagh ne dégage qu’un “faible bénéfice”. Mais plus que l’argent, le distillateur trouve sa récompense dans ce “moment unique de partage et de convivialité”, cette fête au village qui se crée quand l’alambic s’installe sur la place d’une église ou d’une mairie.
Les curieux accourent ; les grands-parents viennent montrer à leurs petits-enfants la drôle de machine qui crache du feu et, quand midi sonne, les tables en bois sont dépliées pour accueillir les vignerons. On fait sauter les bouchons des bouteilles de bourgogne et on sort les saucisses de Morteau encore fumantes d’à même un vase de l’alambic.
“C’est un endroit où nous retrouver pour un p’tit mâchon [casse-croûte]“, se réjouit Alexis Brazey, du domaine Brazey. “Ça met de la vie, de la convivialité. En ces temps de Covid, ça fait du bien.”
Konbini avec AFP