Les affres d’un petit restaurateur parisien face à la crise sanitaire

Les affres d’un petit restaurateur parisien face à la crise sanitaire

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© Le Temps des Cerises

"Est-ce que je vais tout perdre ? Est-ce que j'ai travaillé dix ans pour rien ?"

“Est-ce que je vais tout perdre ? Est-ce que j’ai travaillé dix ans pour rien ?” Après trois mois de fermeture et un été sans touristes, Gregory Detouy lutte pour la survie de son petit restaurant au charme d’antan, Au temps des cerises, éprouvé par la crise sanitaire. Au mur, une photo en noir et blanc de 1912 montre la devanture de ce petit établissement du Marais, “Café 15 à 20 centimes – Téléphone”, comptoir en zinc et mosaïques, qui fut autrefois une auberge et qu’il a repris en 2010.

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“J’ai tout donné pour ce restaurant, j’ai beaucoup investi pour le remettre aux normes, pendant des années je n’ai pas vu mes enfants le soir. Je commençais tout juste à avoir un soupçon de vie de famille”, dit à l’AFP ce restaurateur âgé de 40 ans, papa de deux garçons de 5 et 8 ans. Puis est arrivée la fermeture administrative de trois mois, décidée par le gouvernement pour combattre la pandémie de Covid-19 et de mars à août, Gregory Detouy ne s’est pas versé de salaire. “Je devais me marier en mars, j’avais pris un crédit pour payer le mariage : depuis six mois, je vis dessus”.

La fermeture des bars à 22 heures dans Paris et dix autres métropoles à partir de samedi – “faudra-t-il demander aux clients de manger s’ils consomment de l’alcool ? Arrêter de servir au zinc ?” – l’inquiète. À Aix-Marseille et en Guadeloupe, placés en “zone d’alerte maximale”, bars et restaurants baisseront le rideau pour deux semaines dès samedi, une mesure radicale face au Covid-19 et un nouveau record de plus de 16 000 contaminations.

“Cela va compliquer notre relance et faire peur aux gens : ils vont avoir l’impression qu’on attrape le Covid dans les restaurants, que ce sont les premières zones à risques”, s’inquiète M. Detouy. Sur 14 employés, trois sont partis et n’ont pas été remplacés car l’avenir est incertain. Si la quinzaine de places perdues en salle pour assurer la distanciation ont été regagnées avec l’extension de terrasse permise par l’État, la carte a dû être réduite et le petit caramel à la cerise offert au moment de l’addition a disparu, pour “limiter toutes les dépenses non nécessaires”.

Face au mur de remboursements à venir dans 6 à 8 mois – les échéances du prêt garanti par l’État qui a servi à payer loyer et fournisseurs, s’ajouteront à celles du crédit souscrit en 2019 pour les travaux et aux charges fixes –, le restaurateur ne dort plus très bien. Mais à la lecture de son contrat d’assurance, début mars, un espoir est né : celui-ci couvrait les fermetures administratives dues à une pandémie. Las ! Son assureur, Axa, n’a rien voulu entendre, dit-il. “Une clause de mon contrat disait que si l’épidémie touchait d’autres établissements du secteur, je n’étais pas couvert. J’ai trouvé que ça n’était pas juste”, relate M. Detouy.

Celui-ci décide alors d’attaquer Axa devant le tribunal de commerce de Paris, épaulé par l’avocat Me Guillaume Aksil : celui-là même qui a, le 17 septembre, fait condamner l’assureur à indemniser les pertes d’exploitation de cinq restaurateurs à hauteur de 240 000 euros au total. Le tribunal de commerce de Paris a jugé la clause d’exclusion de leurs contrats illégale. Axa de son côté a fait appel, ce qui ne suspend pas l’indemnisation.

Interrogé par l’AFP, l’assureur “déplore vivement la confusion juridique instaurée par des jugements divergents” et attend une “clarification en cour d’appel”. Si les tribunaux de Paris, Tarascon et le dernier Rennes, ce jeudi, ont condamné Axa à indemniser des restaurateurs, ceux de Toulouse et Bourg-en-Bresse les ont déboutés.

“Est-ce que je vais tout perdre ? Est-ce que j’ai travaillé dix ans pour rien ?”, demande le restaurateur, “très angoissé” par ce procès, dont l’audience n’est pas encore été fixée. “Je vis dans un ascenseur émotionnel”, dit-il. S’il obtenait le remboursement de 60 % de ses pertes d’exploitation dues à trois mois d’inactivité, “ce serait un soutien financier énorme”, soupire-t-il, en pensant aux “nuits de sommeil” qu’il gagnerait.

Konbini avec AFP