Derrière le verre opaque des fenêtres d’Allard, bistrot à l’ancienne en plein cœur de Saint-Germain-des-Prés, les ombres s’activent, signe que le service approche à grands pas. Mais, ce soir, ce n’est pas vraiment un service comme les autres. Dans les cuisines d’Allard, une nouvelle tête masquée a fait son apparition, invitée par le patron des lieux, Alain Ducasse, à reprendre les fourneaux jusqu’à la fin de l’année : Alexia Duchêne.
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Si, ce soir, le moment est rare, c’est parce qu’Alain Ducasse n’est pas du genre à confier ses fourneaux à n’importe qui. Ces dernières années, on pourrait compter sur les doigts d’une main les chefs extérieurs à la grande famille Ducasse à avoir eu l’opportunité et l’honneur de venir emprunter les casseroles de la maison. Mais à la voir trôner entre les casseroles en cuivre et le décor années 1930 de ce bistrot parisien emblématique, il y a comme quelque chose d’évident à retrouver Alexia Duchêne dans ce nouvel apparat.
Si elle a dû adapter ses ambitions aux contraintes du lieu et à la forte identité du restaurant, Alexia Duchêne démontre ici quelque chose d’important et propre à sa génération : une approche polyvalente, intrépide et touche-à-tout de la cuisine. Après la bistronomie chez Passerini, le challenge à Top Chef, la gastronomie à Datsha, la street-food au Wanderlust ou French Bastards et une approche davantage bistrotière et nourricière chez Allard, la cheffe assied ainsi l’idée qu’elle sait (et peut) tout faire.
Au départ, la rencontre entre Alain Ducasse et Alexia Duchêne tient presque de la coïncidence. Après avoir longtemps traîné des pieds et décliné les invitations, Alain Ducasse accepte pour la première fois, en 2019, de participer à l’émission Top Chef. Lors d’une épreuve sur son bateau croisière, Ducasse sur Seine, la cuisine d’Alexia Duchêne retient toute son attention. “J’avais préparé un bouillon végétal, légumes racines et condiment kaki-sarrasin”, se souvient-elle. Et, ce jour-là, il lui fait une promesse : “Nous serons amenés à nous revoir”.
Grâce à un savant alignement des planètes, nous avons eu la chance d’assister à ces retrouvailles et de goûter ainsi aux créations de la cheffe lors de l’un de ses tous premiers services chez Allard. Une soirée étrange, alors que des rumeurs de reconfinement et de couvre-feu continuent de refaire surface, mais qui ne l’empêcheront de réciter une partition déjà très bien rodée. Au menu : une pissaladière aux oignons doux des Cévennes et fenouil et un assortiment de radis ronds au beurre, d’œufs de truite et menthe aquatique.
© Konbini food
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À suivre, une truite de Banka à la crème crue, raifort et betterave. Le tout surplombé de graines de sarrasin et d’un verre de riesling du domaine Hugel, issu des précieuses et prestigieuses marnes de Riquewihr en Alsace. Au programme, aussi : une courge en vapeur d’herbes, cuite dans sa peau, servie avec un fin yaourt de brebis.
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Pour ce dîner d’inauguration, un invité surprise s’est également glissé à la carte : un pithiviers de canard et son jus d’olives et noix, ce dernier ayant tellement plu à Ducasse qu’il s’en est resservi à plusieurs reprises – c’est bon signe, en général. Un plat qui résonne comme un écho réussi et déjà abouti à son “plat signature” de Datsha, le pithiviers anguille fumé, pomme de terre et condiment betterave, dont on garde un souvenir ému.
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Pour clôturer le dîner, le menu suggère un ingénieux “sorbet digestion” de cresson et mandarine avant le clou du spectacle : une tarte Bourdaloue aux saveurs de langue-de-chat et une glace aux topinambours. Brut, simple et efficace.
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À la fin du repas, Alain Ducasse s’est laissé aller à un petit mot pour la cheffe : “Le talent n’attend pas le nombre d’années”. Désormais, si Alexia Duchêne ne sait pas encore ce qu’elle cuisinera le lendemain, ou le surlendemain, chez Allard, elle ne sait encore moins ce que l’avenir lui réserve à la fin de cette résidence. Et cette inconnue, justement, est la meilleure chose qui puisse lui arriver.
Quoi ? Alexia Duchêne chez Allard.
Quand ? Jusqu’à fin 2020.
Où ? 41, rue Saint-André des Arts (6e)
Combien ? Le midi, formule à 26 ou 32 euros. Le soir, menu dégustation (60 euros) ou plats à partager en petites (6-20 euros) ou grandes assiettes (32-38 euros).