“Ce n’est pas juste.” C’est en ces termes que le président américain Donald Trump a résumé son sentiment sur la politique française d’exportation et d’importation du vin sur son territoire. “Le problème, c’est que la France rend la vente de vins américains très compliquée en France, et impose de lourdes taxes, alors que les États-Unis facilitent [l’export] des vins français avec de faibles taxes. C’est injuste, cela doit changer !”, a-t-il regretté dans un tweet posté le 13 novembre.
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On Trade, France makes excellent wine, but so does the U.S. The problem is that France makes it very hard for the U.S. to sell its wines into France, and charges big Tariffs, whereas the U.S. makes it easy for French wines, and charges very small Tariffs. Not fair, must change!
— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) November 13, 2018
Mais le constat de Donald Trump est-il juste ? Oui et non. Dans son analyse lapidaire, le président américain a omis quelques détails : non seulement la France – en tant que membre de l’Union européenne – n’est pas la seule à décider de ces tarifs douaniers, mais les vins français et européens sont surtout beaucoup plus plébiscités aux États-Unis que les vins américains ne le sont en France. Et il semble également oublier que l’accès au marché américain n’est pas aussi facile qu’il le prétend.
Nous avons essayé de mieux comprendre les liens historiques et culturels qui lient les Américains aux vins français et, à l’inverse, le timide engouement des Européens pour les vins issus des exploitations viticoles américaines, avis d’experts à l’appui.
- Eric Asimov : journaliste et critique de vin du New York Times
- Fabien Humbert : journaliste spécialisé dans l’univers des vins
- Régine Le Coz : œnologue et fondatrice du concours Femmes et vins du monde
- Marjolaine Leteurtre : responsable commerciale de la société VignolExport
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Club Sandwich | La France exporte beaucoup aux États-Unis – on parle de 1,6 milliard en export. Comment peut-on expliquer un tel attrait pour le vin français ?
Fabien Humbert | Parce que c’est le meilleur, bien sûr. J’exagère un peu, mais c’est vrai que, dans le monde entier, les vins hexagonaux ont une très belle réputation. Il y a cette réputation de qualité, ce côté classe… Cependant, les États-Unis importent beaucoup de vins des autres pays aussi. En particulier les vins italiens, très présents dans la restauration américaine.
Eric Asimov | La France produit une grande diversité de vins merveilleux qui plaît non seulement aux États-Unis, mais dans le monde entier. Et dans sa forme optimale, il s’agit d’une expression de la culture, même si tout le monde ne perçoit pas nécessairement le vin de cette façon.
Régine Le Coz | Ainsi, les vins français, grands crus bordelais ou champagnes en tête, sont des vins que l’on va retrouver dans de grands événements, car ils sont depuis toujours liés au prestige, au raffinement.
Donald Trump estime que le vin américain est très difficile à exporter en France, est-ce un constat qui se vérifie ?
Eric Asimov | Non, c’était une déclaration ridicule.
Fabien Humbert | En fait, je pense que ce qui énerve le président Trump, c’est que les vins américains ont beaucoup de mal à s’implanter en France. Mais ce n’est pas par anti-américanisme primaire, c’est juste que les Français ne consomment que très peu de vins étrangers. Ces derniers représentent seulement 3 % des ventes. On peut dire qu’ici, en France, on préfère consommer local et qu’on donne une prime au made in France. Donald Trump est un peu mauvais perdant pour le coup.
“Donald Trump est un peu mauvais perdant pour le coup”
Depuis quand observe-t-on cet engouement aux États-Unis pour le vin français ?
Fabien Humbert | Difficile à dire. Les États-Unis ont longtemps été anglais, or les Britanniques étaient, dès le XVIIe siècle, de grands clients du vin français. Cela a dû rester même après l’indépendance. Le vin français a, par la suite, particulièrement explosé outre-Atlantique. Cela correspond à la montée en puissance du duo Robert Parker-Michel Rolland dans les années 1980.
Robert Parker est un critique de vins, aujourd’hui retraité, qui a eu un impact énorme sur le goût de ses compatriotes pour le vin. Les crus les mieux notés par ses soins s’arrachaient aux États-Unis. Et Michel Rolland était l’œnologue qui parvenait à dégoter des vins qui plairaient au célèbre critique. Ce sont surtout les vins de Bordeaux qui ont profité de ce boom et qui se sont très bien vendus aux États-Unis à partir de cette époque.
Eric Asimov | Je pense qu’engouement n’est pas le bon mot. Le vin français est consommé avec enthousiasme aux États-Unis depuis l’époque de Thomas Jefferson, et probablement même avant cela.
Aujourd’hui, quels sont les vins français les plus prisés aux États-Unis ?
Eric Asimov | C’est une question compliquée. Parmi les personnes qui apprécient le vin, le bourgogne est particulièrement demandé, comme partout dans le monde. Cela tient en partie au fait que le romantisme autour de la Bourgogne a bien pris aux États-Unis. On le doit notamment aux efforts de certaines personnes, comme Daniel Johnnes, qui a exprimé son amour de la Bourgogne par le biais de restaurants ou d’événements à New York.
Régine Le Coz | On ne peut pas vendre en direct et on doit passer par des importateurs, et ce sont eux qui font le marché. Si l’on remarque un attrait des Américains pour le bordeaux et s’il est aujourd’hui le plus exporté, c’est parce que la région est basée sur le négoce depuis le XIIIe siècle. On remarque aussi l’émergence d’un outsider de taille : les vins de Provence.
Fabien Humbert | Beaucoup de crus classés de Bordeaux sont très prisés aux États-Unis. Mais aujourd’hui, les bourgognes sont, eux aussi, très demandés outre-Atlantique. Ce sont des vins très chers, produits en quantité limitée – surtout les grands bourgognes –, à tel point que les Français ne peuvent plus trop se les payer. Les Chinois sont aujourd’hui eux aussi fanas de ces vins. Sinon, en effet, les vins rosés font aussi de très bons scores, tout comme les bulles (crémants et champagnes).
Observe-t-on un engouement pour le vin naturel également ?
Eric Asimov | Le vin naturel est clairement devenu tendance dans les grandes villes des États-Unis. Je pense que les jeunes sont plus ouverts et très attirés par l’idée d’un vin cultivé sans pesticides et transformé en vin avec une intervention humaine minimale. Ce qui aide aussi, c’est que les vins naturels puissent être si bons – bien qu’il faille reconnaître que le genre, comme tous les vins, a ses défauts. Il est également utile que le vin naturel ait de puissants défenseurs aux États-Unis, mais il reste encore beaucoup de désinformation à ce sujet.
Fabien Humbert | J’ai l’impression que dans les grandes villes cosmopolites comme New York ou San Francisco, comme ailleurs sur la planète, le vin naturel est très demandé. Notamment chez les nouveaux cavistes, les lieux branchés… Ailleurs, je ne pense pas, du moins pour le moment.
“La capsule à vis, qui est la norme aux États-Unis, fait référence en France à un vin de mauvaise qualité”
Trump dit que les États-Unis aussi ont du vin “excellent”. Est-ce, là aussi, un constat qui se vérifie ?
Eric Asimov | Oui, les États-Unis produisent un excellent vin. Il y a beaucoup de grands producteurs. La Napa Valley est la région la plus célèbre mais, à quelques exceptions près, elle est coincée dans une chaîne temporelle stylistique. Mais on retrouve de grands vins dans de nombreuses autres régions, notamment les montagnes de Santa Cruz, la côte de Sonoma, les collines de Santa Rita et Mendocino en Californie, la vallée de Willamette en Oregon et les lacs Finger de New York, pour ne citer qu’eux.
Alors, pourquoi la France n’a-t-elle pas encore embrassé les vins américains ? On a observé un début de tendance pour le vin californien… Qu’en est-il vraiment ?
Fabien Humbert | En France, pour ce qui est du vin, on consomme français. On a tellement de bons crus, et on est tellement persuadés qu’on fait les meilleurs vins du monde, qu’on ne pense pas trop à aller voir ce qui se fait ailleurs.
Marjolaine Leteurtre | Les Français sont très chauvins, notamment en matière de vin. Ne serait-ce que vis-à-vis du bouchon, la capsule à vis, qui est la norme aux États-Unis, fait référence en France à un vin de mauvaise qualité.
Eric Asimov | La France, à l’instar d’autres pays producteurs de vin historiques, a une tradition séculaire dans le fait de boire du vin local. Il y avait des exceptions parmi l’aristocratie et les classes les plus aisées, mais la plupart des gens ne faisaient que boire ce que leur région produisait. Cela évolue lentement, mais vous ne voyez toujours pas beaucoup de vins italiens ou espagnols en France, encore moins américains. Les vins américains – les bons – sont également relativement chers.
Régine Le Coz | C’est aussi le problème de la distribution. On retrouve dans les rayons les mêmes classiques, les mêmes vins assez basiques. Mais ce n’est pas vraiment représentatif de ce qui se fait là-bas.
Est-ce que ça pourrait changer à l’avenir ?
Eric Asimov | Oui, cela pourrait changer. Mais je ne retiendrais pas mon souffle en attendant que cela se produise…
Régine Le Coz | Il y a un véritable bouleversement logistique. Vous pouvez aujourd’hui envoyer une bouteille à un ami aux États-Unis pour une vingtaine d’euros, ce qui n’était pas le cas quelques années en arrière.
Fabien Humbert | Avec une nouvelle génération plus ouverte et la généralisation des voyages, les choses sont en train de changer. Les vins du monde ont un peu meilleure réputation. Les restaurateurs, les sommeliers, les cavistes et même la grande distribution font de plus en plus confiance aux vins étrangers… et donc américains. Cependant, c’est un frémissement, pas plus.