“On va ficher là, ce n’est pas bon.” À peine entrés avec leur escorte policière dans un kebab douteux à la sortie de la gare d’Arnouville (Val-d’Oise), les agents du contrôle d’hygiène comprennent qu’ils ont du pain sur la planche. Il est bientôt midi, avant le coup de feu du déjeuner. Une blouse jetable enfilée par-dessus leur manteau, trois inspecteurs de la Direction départementale de la protection des populations (DDPP) ouvrent les réfrigérateurs, sortent le seau de sauce blanche et plongent un thermomètre dans les préparations de viande en devanture.
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Au lieu des 4 °C imposés par la réglementation alimentaire, le poulet au curry végète sur le meuble froid à 7,6 °C, la brochette de poulet à 8,3, la brochette d’agneau à 9. “Pas mal, hein”, commentent-ils. Aucune traçabilité n’est indiquée sur les produits, la température des aliments n’est jamais vérifiée. De la viande hachée est conservée dans un sac plastique de supermarché. Des couteaux à enduire d’ouvriers du bâtiment font office de racloirs à viande.
Sous les protestations impuissantes d’un des associés du restaurant, qui déboule furieux, plusieurs kilos de viande partent à la poubelle. Pendant que la broche de kebab tourne dans le vide et que les frites prennent froid, les policiers rassemblent les quatre employés turcs présents. Un seul est en règle, les trois autres sont non déclarés et sans titre de séjour. Ils prennent la direction du commissariat.
Depuis plusieurs mois, les autorités du Val-d’Oise multiplient les opérations conjointes de la DDPP et de la police pour des actions coups de poing alliant contrôles sanitaires et lutte contre le travail dissimulé. Sont visés par alternance des marchés et des lieux passants. Les résultats sont ensuite publiés sur les réseaux sociaux, photos chocs à l’appui. Assumant pratiquer le “name and shame” (“clouer au pilori”), la préfecture affiche même sur ses comptes officiels les noms des restaurants coupables des infractions les plus graves et qui font l’objet d’une fermeture administrative.
Restauration rapide
Dans ce département populaire francilien qui affiche une moyenne d’âge parmi les plus jeunes de France, la restauration rapide et la vente à emporter sont omniprésentes dans les zones urbaines. Une alimentation sur le pouce qui est parfois préparée au détriment des règles d’hygiène.
“Quand vous êtes dans un endroit bourgeois, les gens savent se défendre. Quand vous êtes dans un milieu populaire, il faut protéger, et nous avons besoin d’être très présents ici”, explique le préfet Philippe Court, qui suit cette opération mobilisant une trentaine de fonctionnaires. En face du kebab, d’autres inspecteurs de la DDPP s’affairent dans une petite épicerie familiale où les prix sont écrits à la main sur des étiquettes. Examinant le rayon des produits blanchissants qui y sont vendus, ils saisissent ceux qui contiennent des substances interdites en France.
“On est dans du circuit secondaire, voire tertiaire, donc des produits qui sont retirés de la vente dans la grande distribution classique se retrouvent parfois dans ce genre de boutique, dans des bazars ou des marchés forains”, indique Viviane Dardel, cheffe de service à la DDPP. En mai 2022, le gouvernement a annoncé la création d’une “police unique” qui fera passer les contrôles de la sécurité alimentaire de la houlette de Bercy à celle du ministère de l’Agriculture. Mais le flou demeure sur ses prérogatives et ses effectifs.
Sur la petite dizaine de commerces contrôlés ce jour-là, les autorités distribuent six avertissements et engagent cinq procédures de fermeture pour non-respect des règles d’hygiène ou travail dissimulé, notamment à l’encontre du kebab. Sauf danger imminent, ces fermetures mettent une quinzaine de jours pour être effectives. Il est 13 heures. Leur tournée achevée, les agents de la DDPP sont repartis. Mais dans le kebab tenu par les Turcs, les clients défilent. Le déjeuner est servi…