Moins de 30 minutes de la commande à l’assiette. Le boom de la livraison de repas, accéléré par la crise sanitaire, a entraîné la multiplication en banlieue parisienne des dark kitchens, ces cuisines hyper-rationalisées conçues pour préparer montre en main des plats à livrer.
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Service de midi sur le site “Editions” de Deliveroo à Aubervilliers, commune populaire limitrophe de la capitale. Au rez-de-chaussée du bâtiment d’un quartier ouvrier, des brigades de cuisiniers poussent les feux dans de grands box entièrement équipés, agencés autour d’un couloir central. Dans leurs marmites, les “bibimbaps” du chef franco-coréen Pierre Sang, les “bo bun” du Petit Cambodge, les burgers de PNY… Les six enseignes présentes ici détiennent des restaurants physiques, souvent dans les arrondissements parisiens branchés des 10e et 11e, mais détachent des employés sur ce site d’environ 500 m2 pour fabriquer et vendre leurs plats au-delà de leur zone d’implantation historique.
Une nouvelle commande s’affiche sur la tablette en cuisine. Le cycle recommence, rodé et cadencé comme une chaîne d’usine. Les gestes des cuistots sont nets, rapides. Les ingrédients sont disposés à portée de main, la carte pensée pour être préparée en un temps réduit et supporter le transport. Sitôt fini, le plat est posé sur un chariot dans le couloir. Averti sur son écran, un “runner” placé au début du corridor fonce chercher le sac et l’apporte au comptoir donnant sur la cour. Là, un livreur assigné par l’algorithme s’en empare, enfourche son scooter et démarre aussitôt. Le tout a pris moins d’un quart d’heure.
Opérationnelle depuis avril, cette dark kitchen sauce Deliveroo est la troisième en France pour la plateforme de livraison et renforce ses deux sites déjà en activité autour de Paris, à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) et Courbevoie (Hauts-de-Seine). L’entreprise met ces cuisines à disposition de restaurateurs sans prélever de loyer, mais contre une commission plus élevée sur les commandes qui en partent.
“Nous n’allons pas nous implanter dans le cœur de ville où il y a une densité incroyable de restaurants, nous allons chercher la dent creuse, la zone où il y a des lacunes” en termes d’offre de restauration, explique Damien Stéffan, porte-parole de Deliveroo. Donc particulièrement en banlieue, où les restaurants sont moins nombreux et diversifiés.
La cuisine d’Aubervilliers permet ainsi à Deliveroo de mieux desservir cette ville de 86 000 habitants, mais aussi de couvrir des parties de Pantin, Saint-Denis ou Bobigny. Rien que pour 2021, la société britannique compte ouvrir quatre ou cinq sites “Editions” supplémentaires en France, notamment en banlieue sud pour achever de “ceinturer” la capitale.
L’idée de cette stratégie “est de permettre à des habitants de banlieue d’accéder à de la restauration de street food de centre-ville”, décrypte Matthieu Vincent, du cabinet de conseil DigitalFoodLab. De sa cuisine de 350 m2 à Romainville (Seine-Saint-Denis), la start-up Click&Savour sert quatre “restaurants virtuels” qui n’existent qu’en commande par Internet. En fonction de la marque, le menu propose sandwiches, focaccia, risottos, nourriture de rue taïwanaise ou thaïlandaise.
Pour son cofondateur Jérôme Malot, les dark kitchens permettent de faire coexister les restaurations traditionnelle et virtuelle. Pour un restaurant, “c’est compliqué quand vous avez des clients de voir la porte s’ouvrir toutes les cinq minutes avec un livreur qui vient récupérer la commande”, décrit cet ancien d’Uber Eats. Si tous les observateurs constatent que ce modèle de cuisines 100 % livraison est en plein essor en France, nul ne connaît leur nombre exact tant le secteur est jeune et hétéroclite.
Sur les 20 000 restaurants référencés dans l’Hexagone par son site Internet, Deliveroo estime que les dark kitchens en représentent “quelques centaines”. Dirigeant de la pizzeria Tripletta, originaire de Belleville et présente dans les trois dark kitchens de Deliveroo, Valentin Bauer envisage aussi ces dernières comme un moyen de tester le marché pour ouvrir des restaurants “en dur”.
La marque réfléchit ainsi déjà à ouvrir une enseigne à Saint-Ouen, y ayant constaté une forte demande pour ses pizzas napolitaines. Car pour l’entrepreneur, l’ordre de priorité est clair : “La base, c’est le physique. La livraison, c’est ce qui vient en plus.”
Konbini food avec AFP