Deux premières places au classement des meilleurs restaurants au monde, des étoiles Michelin à foison… La haute cuisine danoise, encore inexistante il y a deux décennies, atteint des sommets au point de faire de Copenhague une nouvelle Mecque de la gastronomie. Le Noma et son chef-star René Redzepi, de même que le Geranium, commandé par Rasmus Kofoed, ont décroché la première et la deuxième place du classement fraîchement publié des 50 meilleurs restaurants au monde, tenu par le magazine britannique Restaurant.
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“Il y a 20 ans, ils n’étaient rien, quand René Redzepi a commencé à réinventer la cuisine nordique, en se concentrant sur des mets locaux, éthiques”, souligne Szilvia Gyimóthy, professeure de marketing à la Copenhagen Business School. “C’était tout à fait unique et, maintenant, c’est lui qui fixe l’ordre du jour”, juge la spécialiste.
Royaume de la patate balayé par les vents, coincé entre la mer du Nord et la Baltique, hyperdépendant de sa filière porcine, le Danemark n’a, de prime abord, rien pour rivaliser avec les pays du sud de l’Europe baignés de soleil dont les chefs ravissent les papilles depuis des siècles.
La réussite de la cuisine danoise contemporaine est aussi facilitée par l’absence de grand héritage gastronomique, laissant grande ouverte la porte à l’inventivité. “Il y a beaucoup de restaurants dans le monde où les chefs se reposent sur ce qui a été fait, ils ne sont pas si créatifs. René Redzepi et Rasmus Kofoed, eux, ne sont jamais satisfaits. C’est très spécial d’avoir deux personnalités de ce genre dans un si petit pays”, vante Bent Christensen, fondateur du guide gastronomique Den Danske Spiseguide lancé en 1978.
Pour lui, l’exception danoise tient autant à l’ébullition d’une jeune scène gastronomique, portée par la personnalité de deux grands chefs primés, qu’aux insoupçonnés avantages de la géographie locale. “N’importe où au Danemark, vous êtes toujours à 40 kilomètres de la mer ou moins, c’est fantastique pour le poisson, s’émeut-il. Et ce qu’il y a de bien avec notre climat, c’est qu’on a vraiment quatre saisons et les légumes peuvent mûrir lentement.”
Les cartes sont donc de saison et honorent les particularités locales comme le chou, baptisé la “noix de coco du Nord” par Redzepi, et la réputation écolo du pays. Geranium propose de plonger pendant trois heures au moins dans une interprétation de “l’univers de l’automne”, qui voit défiler topinambour, homard grillé argousier et canard. Le Noma vient, lui, de tourner la page de son menu d’été et d’une incroyable bougie de caramel au safran, la mèche de la bougie étant confectionnée en noix râpée trempée dans de l’huile essentielle de cardamome.
Dévot de la fermentation, qui permet par exemple aux pommes de pin de devenir comestibles, et fidèle des produits locaux, René Redzepi réussit sans cesse à se réinventer, note Mme Gyimóthy. “Il continue à s’engager dans le débat sur l’alimentation, le climat, les conditions de travail, la parité. Il utilise vraiment son rôle pour faire avancer un agenda sociétal fort”, avance-t-elle.
Peu après avoir – enfin, disent des critiques – obtenu en septembre sa troisième étoile au Michelin, Noma a raflé mardi la première place du top 50 mondial, détrônant le Mirazur du chef Mauro Colagreco, à Menton (sud-est de la France). Un titre qu’il avait déjà occupé à quatre reprises dans les années 2010.
Leurs appétissantes fantaisies restent réservées à un palais fortuné : le menu coûte 2 800 couronnes (380 euros), sans les boissons. “Cela reste un produit très élitiste, mais son succès se répercute sur la manière dont le Danois moyen pense sa nourriture”, note Mme Gyimóthy.
Il contribue progressivement à un changement de mentalité et, subrepticement, on voit évoluer le panier du Danois lambda, estime la chercheuse. L’impact est aussi évident sur le monde de la restauration. “Les Danois avaient l’habitude de voyager pour la gastronomie, mais maintenant, c’est l’inverse, les gens viennent au Danemark pour étudier”, s’amuse M. Christensen.
Selon VisitDenmark, l’agence danoise de promotion du tourisme, 38 % des touristes étrangers qui ont visité Copenhague en 2019 sont venus pour des raisons gastronomiques.
Konbini avec AFP