Le “véritable” camembert, c’est (bientôt) fini ?

Le “véritable” camembert, c’est (bientôt) fini ?

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Un accord mis en place en 2021 va revoir les modalités de l'AOP.

Le camembert, fromage français par excellence, divise au sein de sa chaîne de production. Depuis 1986, ce symbole de notre pays bénéficie d’une appellation d’origine protégée (AOP) “Camembert de Normandie” – avec un “C” majuscule –, accompagnée d’un cahier des charges strict.

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Mais, depuis le 21 février dernier, les conditions de l’AOP ont été modifiées par l’Institut national de l’origine et de la qualité (INAO), autorisant entre autres la pasteurisation. On vous explique pourquoi cela vient bouleverser le secteur de la production du fromage le plus connu du monde.

Pas un mais des camemberts

Le mot camembert étant un nom commun, il peut être utilisé partout dans le monde, tant que le fromage produit est à pâte molle et à croûte fleurie. L’appellation AOP “Camembert de Normandie” est quant à elle protégée : elle désigne un fromage au lait cru provenant à 50 % de vaches normandes sur une aire géographique précise.

Un autre type de camembert existait jusqu’alors en magasin, affichant la mention “fabriqué en Normandie”. À visée commerciale et non officiel, ce dernier représente 60 000 tonnes de camemberts par an selon Le Figaro, contre 5 500 tonnes pour l’AOP.

Pour limiter la confusion et céder à la demande des industriels, un récent accord a été noué avec l’INAO – qui délivre les AOP – permettant de faire entrer les camemberts non pasteurisés normands dans l’AOP, à condition qu’ils répondent à de nouvelles injonctions qualitatives.

Deux fromages pour une AOP

En vigueur en 2021, cet accord prévoit de scinder en deux catégories les fromages au sein d’une seule AOP. On aura, selon Le Monde, d’un côté le camembert “authentique” ou ” véritable” – l’ancien camembert de Normandie mais en encore plus qualitatif – produit à partir de lait cru provenant à 65 % de vaches normandes qui auront au moins six mois de pâturage par an.

Les OGM devront être bannis de l’alimentation des bovins et le fromage devra passer par l’étape du moulage en cinq louches. De l’autre, il y aura le “cœur de gamme” – anciennement fabriqué en Normandie – qui respectera les mêmes modalités que son concurrent, à l’exception de deux “détails” : le lait pourra provenir de seulement 30 % de vaches normandes et être pasteurisé. Et, c’est ce dernier point qui sème le doute au sein de la filière.

Le camembert de la discorde

Pour Patrice Chassard, président du comité national des AOP fromagères, cet élargissement est positif car il permet une montée en gamme et la fin de “l’usurpation” de la mention “Normandie” par les industriels du lait qui jouaient sur la confusion.

A contrario, pour Véronique Richez-Lerouge – présidente de l’association Fromages de terroirs –, qui s’exprime dans une tribune pour Libération, laisser la porte ouverte à la pasteurisation au sein de l’AOP, c’est aller vers la perte du savoir-faire et vers la mort à moyen terme du camembert au lait cru “en permettant à un machin plâtreux sans goût d’arborer le label au même titre que les véritables camemberts.”

“En 2021, 9 camemberts AOP sur 10 seront pasteurisés tout en faisant croire que les consommateurs auront le choix […] Les grandes surfaces, qui ne référencent généralement qu’une marque en AOP, opteront pour la moins chère, c’est-à-dire celle qui est au lait pasteurisé.”

Pour elle, c’est laisser aux industriels la mainmise sur un marché qu’ils dominent déjà, c’est brouiller les pistes pour le consommateur et c’est surtout la perte d’un goût et d’un savoir-faire. À terme, on peut craindre que le camembert au lait cru finisse dans les fromageries et épiceries spécialisées, et que les producteurs soient lésés, comme ce fut le cas pour le cantal ou le bleu d’Auvergne.