Si l’on devait lister toutes les choses qui font de Marseille une localité unique en son genre, il faudrait peut-être commencer par les camions à pizza qui quadrillent les différents quartiers de la ville. Et c’est précisément par là qu’Ezéchiel Zérah, journaliste culinaire originaire de Marseille, a débuté l’autopsie culinaire de cette invention marseillaise née dans les années 1960.
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Avec Le Camion Pizza Project, il s’est lancé comme défi de tester, de chroniquer et de raconter l’histoire des cinquante-deux camions à pizza éparpillés à travers les différents quartiers et arrondissements de Marseille. Un challenge de taille qui requiert des jambes bien préparées, et un estomac bien entraîné.
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Club Sandwich | Goûter à l’intégralité des camions à pizza de Marseille, ce n’est pas un projet banal. Comment t’es venue l’idée ?
Ezéchiel Zérah | Je suis né et j’ai grandi à Marseille pendant près de vingt ans. Les camions à pizza, pour moi comme pour les Marseillais, c’est quelque chose qui faisait partie de mon quotidien. Tu en as dans tous les quartiers, tout le monde y va les soirs de match… La pizze, comme on dit ici, c’est quelque chose d’inné.
“La pizze, comme on dit ici, c’est quelque chose d’inné dans la culture marseillaise”
Encore maintenant ?
Quand je reviens à Marseille, souvent, j’en mange systématiquement et j’aime bien tester des camions différents. Cet été, comme j’avais du temps devant moi, je me suis mis en tête de cartographier l’ensemble des camions de la ville et de raconter leur histoire. Car c’est, en réalité, un vivier incroyable d’anecdotes : des histoires familiales, des mecs qui se lancent sur un coup de tête, des hommes, des femmes.
Il a été facile de lister tous les camions à pizza en service à Marseille ?
Les camions sont essentiellement installés dans le centre de Marseille. J’ai habité dans plusieurs quartiers de la ville, alors ça me faisait une bonne base. Je me suis aussi dirigé vers un site spécialisé qui recense tous les camions à pizza actifs en France. Et je les ai tous appelés.
La fédération des camions à pizza, elle, a été un peu frileuse à l’idée de me donner le listing complet. Alors dès que je me rendais dans un camion, je demandais au gérant s’il connaissait un autre camion dans le coin, etc. Ils se connaissent tous, évidemment, mais c’est un travail très manuel.
“Avec les différentes vagues d’immigration italienne, on part souvent du principe que Marseille est le berceau de la pizza en France”
Tu as le ventre assez grand pour tester autant de pizzas ?
La particularité de Marseille, c’est que tu peux manger la pizza à la portion, ou au “morceau”. Je ne prends jamais de pizzas entières, car je suis souvent seul lors de mes tournées. En moyenne, je fais deux camions par soir.
On dit souvent que les Marseillais entretiennent un lien particulier à la pizza.
C’est vrai. Mais ce n’est pas un hasard quand on sait la proximité de la ville avec l’Italie et son histoire migratoire. Les immigrés de Lombardie, venus pour travailler en France dans la première moitié du XXe siècle, ont emporté la pizza avec eux. Avec les différentes vagues d’immigration en provenance d’Italie, on part souvent du principe que Marseille est le berceau de la pizza – pizza blanche d’abord, puis à la tomate – en France.
“Un stewart a créé le premier camion à pizza équipé d’une remorque et d’un four. Au début, les Marseillais pensaient que c’était une machine à goudronner”
Et comment les Marseillais en sont-ils venus à la servir dans des camions plutôt que dans des restaurants ?
Au début des années 1960, un stewart de chez Air France a créé le premier camion à pizza équipé d’une remorque et d’un four. Au début, les Marseillais pensaient que c’était une machine à goudronner. Petit à petit, d’autres camions ont vu le jour de manière quelque peu anarchique. À une époque, on en comptait près de 250 dans la ville.
Mais si les camions sont aussi populaires et toujours aussi présents, c’est aussi parce qu’il existe à Marseille une culture street food unique en France. À Marseille ou dans les alentours, tu trouves encore des cabanons où tu peux acheter panisses et des chichis “frégi”, du jus de raisin fait maison…
Les Marseillais ont donc un lien particulier avec la nourriture de rue…
Voilà. Pour te dire, je n’ai jamais vu autant de gens manger des kebabs en marchant qu’à Marseille. Mais il y a aussi une explication historique et économique à cela. Les morceaux se vendent entre 1,50 et 2,50 euros, ce qui est peu.
À l’époque, les travailleurs en consommaient beaucoup à la fois parce que cela ne coûtait rien et parce qu’ils n’avaient pas le temps de s’asseoir une heure et demie à table. Et si elle est aussi épaisse, c’est parce qu’il fallait que ça cale. Tu manges vite, tu n’as plus faim et tu repars travailler.
“Si la pizze est aussi épaisse, c’est parce qu’il fallait que ça cale. Tu manges vite, tu n’as plus faim et tu repars travailler”
Et, question pas du tout intéressée : tout le monde peut ouvrir son camion à pizza ?
C’est une vraie corporation dans laquelle il est difficile d’entrer. C’est la mairie qui accorde les emplacements, et ils sont très demandés, très jalousés, car il y en a très peu. La plupart des camions sont des anciens, ou des enfants qui ont repris les affaires de leurs aînés. Les rares chanceux qui réussissent à dégoter un emplacement sont des personnes qui viennent du monde de la pizzeria ou de la restauration.
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Les adresses d’Ezéchiel Zerah
- Pizza Dany – près du métro Rond-Point du Prado
“C’est la pizza la moins chère à la portion : 1,50 euro. Et c’est l’une des dernières auxquelles j’ai eu la chance de goûter. Pâte très croustillante.” - Karim – sur le boulevard Baille
“C’est un peu le ‘social pizzaïolo’. C’est un ancien boxeur qui forme des détenus en prison à l’art de la pizza. Il fait une pâte très épaisse, comme on l’aime dans les quartiers populaires.” - Chez Gé – près de la gare de La Blancarde
“Une pizza avec une pâte assez épaisse, très bonne et très généreuse. Gérald, le gérant, est un ancien cuisinier du Petit Nice.”
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