Engagé·e·s : enquêtes, pédagogie, témoignages, Konbini se mobilise pour combattre les préjugés qui accompagnent les troubles psy et lutter contre le manque d’accès aux soins, particulièrement auprès des jeunes.
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Adrien a 25 ans. En tant qu’homme non blanc et musulman issu d’un quartier populaire, il retrace aujourd’hui le parcours avec sa santé mentale à travers le prisme de ses identités multiples. Entre acceptation, premiers pas chez le psy, questionnement de son environnement et photographie, il raconte sans tabou comment il a mis les mots sur sa dépression.
J’ai pris conscience de l’importance de ma santé mentale vers mes 22 ans. C’est assez tard, en vrai. Mais, pour moi, ce n’était pas une question qui se posait. À 22 ans, j’étais à la fac, je faisais des sciences sociales et du coup, j’ai commencé à me déconstruire sur pas mal de sujets. En cours, j’avais lu un texte sur les problématiques de santé mentale spécifiques aux quartiers populaires et ça a résonné en moi. Ça m’a fait comprendre à quel point c’était tabou chez nous, ça m’a surtout donné envie de me poser des questions et de me dire que moi aussi je pouvais être concerné par les problématiques de santé mentale et qu’en vrai, moi non plus je n’étais pas au top de ma forme mentalement. Ça m’a fait cogiter dessus, je me suis dit : “OK, j’ai des préoccupations qui sont fondées”.
“J’ai eu le mal du monde”
Et puis le Covid-19 est arrivé. Les cours à la maison aussi et mes notes ont chuté. En plus de ça, j’étudiais les sciences sociales et je pense qu’à un moment donné, ça m’était monté à la tête. Quand tu es plongé dans l’univers des sciences sociales, tu te mets à suranalyser la société et tu te rends compte que justement, en tant que personne musulmane, arabe, noire, de quartier, la vie est dure. Donc j’ai eu le mal du monde.
J’étais perdu. Je me suis rendu compte que ce que je faisais, ça ne m’intéressait plus. J’avais fait des efforts qui, au final, n’ont pas été récompensés et je ne trouvais plus ma place dans mon monde ou dans le paysage français. J’ai commencé à déprimer. Je ne savais pas quoi faire. J’ai fini par intégrer une école de commerce. J’y suis resté un mois parce que l’expérience ne m’a pas plu du tout. C’était encore pire que la fac. À la fac, les gens sont plus ou moins déconstruits mais en école de commerce… C’était LE choc social et je n’ai pas supporté de voir des gens aussi privilégiés et déconnectés de la réalité. Les gens ne se rendent pas compte à quel point c’est dur d’être en minorité dans un environnement, de ce que c’est de mettre un masque du matin au soir, tous les jours, tout le temps, de se forcer à être quelqu’un qu’on n’est pas pour plaire à des gens qui ne nous plaisent pas forcément. C’est trop dur.
Donc je suis parti, je me suis retrouvé avec un crédit sur le dos et je me suis dit : “OK, qu’est-ce que je vais faire de ma vie ?” C’était la chute. J’ai remis toute ma vie en question et je me suis demandé si mon existence avait réellement un sens. Je suis quelqu’un de porté sur mes projets, sur le fait d’en avoir et d’avancer avec, et là je me suis retrouvé étouffé par tout ça. Même amoureusement parlant, je n’arrivais pas à kiffer, je ne me permettais même pas d’avoir une meuf.
“Penser à sa santé mentale, c’est un privilège qu’on n’a pas quand on est constamment en mode survie”
On ne m’a jamais inculqué le fait de prendre du temps pour moi, ça n’a jamais été quelque chose qui m’a été appris ou transmis. Moi, dans ma vie, ça a toujours été la course à la réussite donc je me suis jamais dit : “Là, en vrai, je ne vais pas bien. Je vais juste prendre du temps pour réfléchir et remettre mes idées en place”. C’était une conception qui n’existait tout simplement pas.
Ça vient de mon environnement. Je suis un mec d’un quartier populaire, je suis non blanc, je suis musulman. Avec toutes ces intersections tu te dis simplement que, si tu ne travailles pas, tu meurs. Ça veut dire que tu es obligé d’être constamment dans le jus et les gens, ils ne comprennent pas ça. Ils ne comprennent pas qu’il faut un espace mental de fou pour avoir le temps de penser à la santé mentale et que c’est un privilège qu’on n’a pas nécessairement lorsqu’on est constamment en mode survie.
Culturellement parlant, je pense que pour nous, en tant que personnes issues de la diaspora africaine, c’est compliqué d’aborder ce sujet-là avec nos parents parce qu’ils ont connu pire que nous et donc, d’un côté, je peux comprendre leur courant de pensée qui est de dire : “Tu es en France, tu n’as pas à te plaindre”. Mais la réalité est différente. Oui, je suis en France et je n’ai pas connu les souffrances et le parcours qu’ils ont vécus, mais je souffre aussi.
Je n’ai jamais été quelqu’un de forcément très bavard avec ma famille, je n’ai jamais vraiment parlé avec ma mère avant mes 24 ans sur les questions de santé mentale et même de manière plus globale. Avec mon grand frère, très tôt, on a pris des chemins différents, donc ce n’était pas une source de réconfort et ma sœur est plus petite que moi donc c’est moi qui m’occupe d’elle, c’est plus moi qui vais être à l’écoute que l’inverse. Chez moi, je n’avais donc pas forcément la place pour m’exprimer.
J’ai quand même eu de la chance d’avoir des potes qui font preuve d’une certaine ouverture d’esprit. On a quand même eu très vite ce truc où on parlait de nos sentiments. Quand on n’allait pas bien, on était là les uns pour les autres. On est tous des hommes musulmans de quartiers issus de la diaspora africaine, on a des problématiques en commun et ça aide. Ça aide à se comprendre, à s’ouvrir et à se sentir moins seul mais ça a ses limites. Moi, je me suis rendu compte que la solution pour aller mieux ne viendra pas toujours de mes amis, de mes proches parce que l’avis d’un proche est toujours un peu biaisé.
Même si on est les meilleurs amis du monde et que je les aime profondément. Un ami, ça reste un ami et il y a des choses que tu ne diras jamais.
Le psy, pourquoi pas moi ?
Donc je me suis retrouvé dans une situation où il fallait que je trouve un moyen de m’exprimer sans retenue. J’ai cogité, j’ai cogité puis je me suis dit : “OK, peut-être qu’aller chez le psy, c’est la bonne solution parce qu’on ne se connaît pas et c’est son travail de m’écouter”. Mais d’un côté, c’est un cap difficile à franchir. Encore une fois, je suis un mec de quartier avec une culture africaine et musulmane, donc le psy, quand tu y vas, on te voit comme un fou. Ce sont mes potes qui m’ont aidé à franchir ce cap.
J’ai consulté pour la première fois un psychologue en 2022, l’année de mes 24 ans et ça s’est bien passé. C’était un psy non blanc et c’était un choix à 100 %. Il m’avait été conseillé car c’est un psy qui était sensibilisé sur certaines problématiques sociales. En plus de ça, le tarif m’arrangeait parce que c’était sur un financement participatif et qu’à l’époque j’étais pauvre. Je le suis toujours. *rires*
La santé mentale, c’est un luxe. Mais du coup, c’est grâce à ce genre de financement qu’il y a des gens comme moi qui peuvent aller mieux et en vrai, même si ça ne me convenait pas à 100 %, ça m’a beaucoup, beaucoup aidé. Quand j’ai pris l’initiative de consulter, dans ma tête, je me suis très vite dit que j’allais jouer le jeu et que j’allais jouer cartes sur table, que j’allais tout dire, sans retenue sur mes pensées. J’en ai profité pour explorer pas mal de troubles et c’était une belle expérience. J’ai fait un peu moins de dix séances, ça passe vite.
Le psy m’a déclaré en état de dépression. On m’a proposé un traitement que j’ai accepté, mais que je n’ai jamais vraiment pris. J’ai testé mais j’ai vu très vite que ce n’était pas un truc qui me convenait le fait de prendre des pilules qui te fatiguent. J’ai arrêté le psy parce que je trouvais que j’avais appris pas mal de choses. J’ai déconstruit plein de choses sur mes relations familiales, etc. donc disons que j’ai pris mon envol.
L’autre thérapie : la photographie
J’ai découvert la photographie au printemps 2022. J’étais tellement meurtri de l’intérieur qu’il fallait que j’aille chercher de la vitalité ailleurs. Je prenais grand plaisir à aller à des concerts, à les prendre en photo et à faire vivre ces événements que j’avais vécus à des gens qui n’ont pas pu les voir. Je pense que c’est réellement ça qui m’a fait kiffer.
Je pense aussi que j’avais ce besoin d’approbation de mon travail. Avec la photo, ça m’a soulagé de voir qu’en fait, je n’étais pas un bon à rien. Je pense que le fait de voir des gens kiffer ce que je fais m’a grandement aidé.
La photographie aura vraiment été un exutoire. Dedans, je pouvais envoyer toutes mes émotions négatives. C’était ma nouvelle voie. Mais pourtant, ça restait très passionnel et je ne l’ai pas vu comme une charge. C’est là où tout a pu s’assembler. La photo, c’est un travail mais en même temps c’était quelque chose dans lequel je pouvais me guider.
Aujourd’hui, à travers mes photos et mes réseaux, j’arrive mieux à m’exprimer et notamment sur la santé mentale. En fin d’année 2022, ça allait beaucoup mieux. Je ne broyais plus du noir tous les jours et ça faisait plusieurs mois que ça allait mieux, donc il fallait que je parle du moment où tout était noir. La santé mentale, il faut des couilles pour en parler en vrai, et je trouve ça noble. C’est important d’être vrai. Alors en décembre, j’ai fait un petit récap de mon année en photographie et c’est là où j’ai parlé de manière explicite, pour la première fois, de ma dépression.
Aujourd’hui, si j’étais face de mon moi de 22 ans, qui était perdu et qui ne voyait pas la lumière au bout du tunnel, je lui ferais juste un câlin en lui disant : “T’inquiète, ça va aller, tu es quelqu’un qui est plein de ressources”. Et concernant la santé mentale, je lui dirais : “S’il te manque des informations, si tu as des questions : pose-les”.