Pour une éducation des enfants à l’intimité et à leurs droits, pour la représentation de toutes les orientations, pour une sexualité libre, joyeuse et toujours consentie, Konbini s’engage pour l’éducation sexuelle.
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Si beaucoup de rappeurs n’ont jamais pris de pincettes pour parler de sexualité dans leurs textes, qu’en est-il des artistes féminines ? Après de nombreuses années où le sujet restait tabou et que les femmes devaient utiliser des métaphores pour rester au top des charts, il est clair que la donne n’est plus la même aujourd’hui. De Missy Elliott à Beyoncé, en passant par Cardi B et Aya Nakamura, les stars se sont réapproprié leur sexualité dans des morceaux dédiés au plaisir féminin.
Malgré le fait que ces artistes soient au sommet des classements, le chemin reste encore long. Paroles évocatrices, fantasmes, rap hardcore, la liberté sexuelle assumée des femmes crée encore la polémique, bien que le sexe soit monnaie courante dans la musique. À l’occasion de notre semaine engagée, retour sur l’évolution de cette parole, qui ne passe plus par quatre chemins pour se faire entendre.
Les pionnières du hardcore
Au début des années 1990 aux États-Unis, la très grande majorité des rappeuses ne parle pas de sexe. Les relations amoureuses hétérosexuelles constituent un thème récurrent dans les paroles de la génération 1980 (à l’exception de Madonna), mais pas encore la sexualité en tant que telle. C’est avec le début du hardcore dans le rap féminin que certaines choisissent l’irrévérence plutôt que le silence.
De nombreuses artistes s’emparent du micro dans un monde réputé macho et cloisonné, où le rap est encore réservé aux hommes. Si les rappeurs peuvent parler ouvertement de sexe et crier au monde l’étendue de leurs conquêtes, elles peuvent le faire aussi. Parmi ces pionnières, Missy Elliott, Lil’ Kim ou encore son ennemie jurée Foxy Brown libèrent la parole sur les plaisirs féminins, sans prendre de pincettes.
Entre les rimes salaces de Lil’ Kim dans “Queen Bitch”, les clips provocateurs de Missy Elliott ou encore les paroles hardcore de Foxy Brown sur “Big Bad Mama”, le combat n’est plus de prouver que les femmes peuvent rapper. Il est temps pour tous de voir qu’elles sont libres d’exprimer leurs désirs, leurs conquêtes et que le sexe, c’est aussi une affaire de femmes.
Les attitudes choquent, dérangent et divisent mais cela n’empêche pas aux stars de grimper au top des classements grâce à leurs hits devenus cultes. Dans les années 1990, le rap féminin enregistre la majeure partie de ses plus importants succès commerciaux. L’heure n’est plus aux baggies mais à la sensualité et l’extravagance.
En libérant la parole sur la sexualité féminine, ces légendes reconfigurent les relations de pouvoir entre hommes et femmes, tout en assumant leurs fantasmes. Cunnilingus, fellations ou encore manque de réciprocité avec les partenaires masculins, elles mettent au clair leurs conditions.
Si les années 1990 marquent une sorte de révolution sexuelle dans le hip-hop, de nombreuses contraintes restent encore présentes. La libération du corps et du discours est en cours, mais il faudra attendre les générations suivantes pour que la lutte continue d’évoluer.
La libération des fantasmes
À partir des années 2000 et 2010, le coup d’envoi est lancé. Si la génération précédente laissait les rappeuses prendre les devants pour parler de sexualité, de plus en plus d’artistes féminines issues de genres musicaux divers osent enfin libérer la parole sur le sujet. Cependant, même si ces femmes prennent de plus en plus de place au sein de l’industrie musicale, elles n’échappent bien souvent pas à la stigmatisation.
Entre la sexualisation des corps, les insultes, les commentaires sexistes sur les réseaux sociaux et la marginalisation au sein des maisons de disques, le combat est encore loin d’être gagné. Au début des années 2000, le plaisir des femmes peine encore à se faire entendre jusqu’à l’arrivée de Khia, qui avec son titre “My Neck, My Back”, fait exploser les records d’écoute.
En 2002, la rappeuse de Philadelphie brise les tabous sur l’existence du clitoris en délivrant un message d’émancipation incitant les femmes à mieux connaître leur corps. À partir de là et grâce à l’héritage de Madonna dans la pop, de nombreuses artistes féminines comme Britney Spears, Lady Gaga ou encore Katy Perry font leur émergence dans l’industrie musicale. Du rap à la pop en passant par le R’n’B, beaucoup s’engagent à assumer leur sexualité, tout en reprenant le contrôle de leurs corps grâce à l’explosion du clip musical.
Si, pour l’opinion publique, l’heure est encore au slut-shaming, la chaîne MTV qui va notamment étendre l’éveil sexuel lancé par Madonna (à l’époque d’Erotica) au niveau mainstream. Le message d’émancipation sexuelle est désormais prêché par les stars de la pop et du R’n’B. Britney Spears avec “If U Seek Amy”, J-Lo, Lady Gaga et son “Sexxx Dreams”, Mariah Carey, Katy Perry dans “I Kissed a Girl”, les Spice Girls, P!nk ou encore Nicki Minaj n’hésitent pas à parler sans détour de sexe et à mettre en scène leurs désirs dans des clips chorégraphiés.
En véhiculant l’image de la “bitch” sûre d’elle, conquérante et sans complexe, les revendications de leur droit au plaisir (avant celui de l’homme) s’imposent. De la sexualité brutale de Missy Elliott à la déclaration de Miley Cyrus sur sa pansexualité, les femmes imposent leurs désirs et inversent les rôles pour mieux combattre les schémas patriarcaux encore tenaces.
Parmi toutes ces héritières des légendes de la pop, n’oublions pas Beyoncé et Rihanna. En laissant libre cours à de nombreux fantasmes comme ceux sadomaso exposés dans “S&M”, Riri crée, de son côté, la polémique à travers ses provocations. Chansons vantardes (“Sex With Me”), censures ou encore controverse autour du clip de “Man Down” où la chanteuse met en scène l’assassinat du violeur de son héroïne, les années 2010 façonnent le regard des fans sur la sexualité, qui, de plus en plus, reste ouvertement assumée.
Si l’éducation se fait principalement via YouTube et le streaming, Queen B s’impose aussi de son côté comme une institutrice du sexe. Pionnière du girl power déjà à l’époque des Destiny’s Child, Beyoncé s’élève comme reine incontestée du féminisme pop. Entre “Blow” et “Rocket”, la star continue de délivrer des leçons de sensualité. Outre la musique, toutes ces pop stars libèrent la parole sur la sexualité féminine dans les journaux, les plateaux TV ou encore en public. Prônant la féminité en minishort, Beyoncé avait notamment mis les choses au clair en 2014 dans le magazine Out :
“Il y a deux idées qui persistent quand on parle de sexualité. D’un côté, les hommes sont libres et, d’un autre, les femmes, pas du tout. Cet état de fait est révoltant […]. C’est fou. Tu peux être une businesswoman, une mère, une artiste, une féministe, ce que tu veux, mais toujours être vue comme un objet du désir.”
Aujourd’hui, ce message semble avoir été passé auprès des rappeuses et chanteuses actuelles. En façonnant les regards par les clips, les paroles ou encore à travers leurs personnages où l’image sexy et complètement assumée, les perceptions du grand public sur la sexualité ont tout de même bien réussi à évoluer.
L’égalité des sexes, pas encore une réalité
Entre Nicki Minaj devenue la première rappeuse de l’Histoire à atteindre le milliard de vues sur YouTube grâce à son tube “Anaconda”, FKA Twigs et ses plaisirs en solitaire, Lizzo et son body-positivisme ou encore le succès de nos chanteuses francophones, comme Angèle et ses aventures lesbiennes dans “Ta Reine” ou Aya Nakamura qui s’exprime sur ses positions préférées, toutes continuent de faire le top des classements et de gagner en popularité.
Ces dernières années marquent tant l’exposition de la parole sur la sexualité féminine que de nombreuses polémiques suites à la sortie de tubes atteignant malgré tout des millions de streams. Femme de l’année 2020 selon le Billboard, Cardi B est arrivée comme une bombe dans l’industrie et a su bouleverser l’hégémonie de Nicki Minaj sur le rap game. En plus d’enchaîner les sorties de succès planétaires qui parlent explicitement de plaisir féminin (“Motorsport”, “Bodak Yellow”, “WAP”), son engagement politique et son féminisme revendiqué ont fait d’elle l’une des premières figures de la lutte pour l’égalité des sexes.
Malgré toutes ces avancées, le combat est pourtant loin d’être gagné, encore moins dans l’industrie musicale. Si Shay s’était exprimée en interview en disant qu’à la différence des rappeuses US, elle n’était pas vraiment sûre de pouvoir exprimer complètement sa sexualité aujourd’hui, ce sentiment d’incertitude reste largement présent chez beaucoup d’artistes féminines francophones.
Entre les injustices sur la reconnaissance dans le travail artistique, les inégalités et les discriminations, des femmes comme Aya Nakamura sont encore victimes de l’hégémonie masculine et du sexisme dans le domaine musical. De la polémique autour du morceau “Djadja” aux critiques de ses paroles explicites sur ces positions sexuelles favorites dans “Préféré”, la liberté d’exprimer ouvertement les plaisirs n’est pas encore totale.
Au sein de cette nouvelle génération de chanteuses, d’autres assument complètement leur sexualité mais l’expriment à leur public de manière moins explicite comme Lala &ce.
“Il y a eu des rappeuses qui parlaient de sexe comme Lil’ Kim et Missy Elliott, mais c’est vrai qu’elles parlaient de relations hétéros. Moi, ce n’est pas ça. Je parle de sexe mais pas de manière frontale. J’aime quand il faut deviner ce que je raconte… D’ailleurs, au tout début, quand ma famille ne connaissait pas encore mon orientation sexuelle, je tournais autour du pot. J’évitais les pronoms il ou elle. Mais ça, c’est fini.”
D’année en année, la liberté de parole sur la sexualité des artistes féminines s’est largement répandue dans le monde. Si de nombreuses rappeuses, pop stars et chanteuses restent au sommet des classements malgré les combats comme la réappropriation du corps, l’égalité des sexes et l’expression des plaisirs, les polémiques et les censures n’empêche pas moins l’évolution de leur popularité.
En parlant de sexualité, les stars influencent la jeunesse féminine actuelle. Entre fascination et puissance, toutes restent avant tout des femmes, ayant une sexualité propre à elles, et n’hésitant pas à la faire entendre pour montrer que les droits sont accessibles à toutes. Même si certains n’acceptent pas encore l’éclosion de ces libertés, la lutte se poursuit et continue d’évoluer.