Konbini et France.tv Slash s’engagent pour une sexualité libre, joyeuse et toujours consentie.
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Si la première mission des séries est bien sûr de divertir, ce qui est déjà en soi très noble, ce serait grandement sous-estimer la portée de leurs contributions à nos sociétés modernes que de les réduire à ça. Les questions de genre, de sexualités ou d’identités ne sont plus un tabou pour beaucoup d’entre elles – en particulier les Anglo-Saxonnes, mais la France commence timidement à rattraper son retard, comme nous allons le voir. Les séries ont un impact sur la façon dont le reste du monde perçoit les membres de ces communautés, mais aussi sur la manière dont elles et eux-mêmes se voient.
“J’ai compris qu’on pouvait être une femme et aimer les femmes”
Parce qu’elles entrent dans nos foyers et nous accompagnent parfois durant des années, et provoquent l’identification ou l’empathie, elles sont des vecteurs de progrès et d’ouverture en ce sens. Les plus populaires d’entre elles, celles que l’on partage avec sa famille et qui transcendent les générations, les origines sociales et les opinions politiques, ne s’arrêtent d’ailleurs pas là.
Outre le fait de mettre en scène des personnages LGBTQ+, ou de baliser les contours d’une sexualité épanouie auprès des adultes en devenir, elles provoquent aussi, parfois, des discussions que l’on aurait crues impossibles avec ses proches, comme nous le raconte Paul, 25 ans :
“J’ai fait mon coming out l’an dernier à mes parents, ils l’ont tous les deux bien pris mais sont très pudiques et je sais qu’il y a des questions qu’ils n’oseront jamais poser. Avec mon père, ça reste délicat, mais je vois que ma mère se sert très souvent de ‘Grey’s Anatomy’ pour amener des discussions : elle me répète tout le temps qu’elle adore le personnage de Schmidt, qu’elle trouve qu’il me ressemble (il est gay dans la série) et, sans utiliser de mots très précis, on se sert de lui pour parler de l’homosexualité en général, la vie de couple… Elle utilise aussi exclusivement la série pour essayer de savoir quel est mon style d’homme en me demandant : ‘Tu préfères Link ou Hayes ?’ Je pense que ça l’aide à poser des questions subtilement.”
Et puis il y a ces séries que l’on garde pour soi, ou presque. Celles qui provoquent des réflexions intimes, qui chamboulent notre perception et nous font avancer. The L Word est culte pour toute une génération, mais elle est loin d’être aussi grand public que Grey’s Anatomy puisque, comme l’indique son titre, son prisme est essentiellement celui de l’homosexualité féminine. Anne, 40 ans, nous explique comment la série a changé sa vie :
“Je viens de province, d’une famille d’agriculteurs, dans laquelle l’homosexualité n’existe pas. Il a fallu six saisons de ‘The L Word’ pour comprendre que ma fascination pour cette série allait plus loin que le simple divertissement. Elle ouvrait pour moi un monde complètement inconnu. Oui, j’ai compris mon homosexualité à ce moment-là, mais c’est plus que cela. J’ai compris qu’on pouvait être une femme et aimer les femmes, car je l’ai vu non pas dans un film de deux heures mais dans la vie de personnages que j’ai vu évoluer pendant des années. J’ai compris que c’était possible.”
“Dans mon village d’enfance, l’hétérosexualité est partout et l’homosexualité reste un impensé”
Pour beaucoup, les séries sont une fenêtre sur un monde extérieur à leur milieu, où les identités LGBTQ+ sont un tabou, un non-dit total, et où seule l’hétérosexualité existe (en surface seulement). Les fictions mettant en scène des personnages queers, en particulier dans des représentations positives, deviennent une oasis, un refuge où la différence n’en est plus une, comme nous l’a confié Marine, 32 ans :
“‘Skins’ m’a fait prendre conscience qu’il existait d’autres sexualités que l’hétérosexualité, et de mon attirance pour les femmes. Et puis c’est ‘Glee’, et spécifiquement le coming out de Santana, qui m’a donné le courage nécessaire de faire le mien auprès de ma famille. Je matais ‘Skins’, ‘Glee’ et ‘The L Word’… ça normalisait clairement l’homosexualité pour moi. Le fait d’y être exposée m’a enlevé cette peur panique de ne pas être normale.”
Clément, 28 ans, a surtout trouvé sa planche de salut avec Glee, qu’il revoit de façon régulière. La série musicale a fait de la différence un étendard, en érigeant les losers du lycée au rang de cool kids et, cerise sur le gâteau, en offrant au public quelques personnages queers devenus cultes.
“Quand je reviens dans mon village d’enfance, du côté de Marseille, l’hétérosexualité est partout, et l’homosexualité, on sait que ça existe, mais ça reste un impensé. Ma mère a beaucoup regardé ‘Plus belle la vie’, et c’était la première fois qu’elle voyait des homosexuels à la télé. Moi qui m’identifie comme bisexuel, j’ai surtout été très fan de ‘Glee’. Je le suis toujours d’ailleurs. Et même s’il y a pas mal de clichés sur les personnages queers, ce sont des représentations assez positives et ça, c’est vraiment réconfortant.”
Pour Claire, 40 ans, des séries comme Buffy, Grey’s Anatomy (encore elle) ou Orange Is the New Black lui ont ouvert les yeux sur des parcours de vie qui lui étaient totalement étrangers : “Je pense que les séries, en intégrant des couples homosexuels, des acteurs et actrices trans, ont normalisé ces sujets pour moi. Ça m’a aussi donné envie d’en savoir plus, et j’ai commencé à m’éduquer. J’ai réalisé à quel point j’étais imprégnée d’homophobie ou de transphobie ordinaires. J’ai déconstruit tout ça petit à petit, et je n’ai pas fini je pense. Dans ma vie personnelle, je pense que ça m’a permis d’être à l’écoute quand un membre de ma famille m’a dit être polyamoureux, puis non-binaire, puis finalement trans.”
“Eric Effiong, de ‘Sex Education’, m’a permis de plus m’affirmer”
Et puis, au milieu de tous ces parcours, il y a celles et ceux qui se trouvent à l’intersection de ces histoires de représentations. Celles et ceux dont le parcours et l’expérience ne se reflétaient qu’à moitié dans la fiction, grappillant toutefois ici et là quelques miettes du vécu des personnages pour s’en nourrir. C’était le cas de Carl, 26 ans, jusqu’à ce qu’il fasse la connaissance d’un personnage de Sex Education dont la vie résonnait étrangement avec la sienne :
“C’est d’abord Ian Gallagher de ‘Shameless’ qui a été le premier personnage gay complexe, humain et multi-dimensionnel que j’ai vu dans une série qui m’a beaucoup aidé à m’accepter. Ensuite, ça s’est complexifié avec Lionel Higgins de ‘Dear White People’, qui a réussi à mettre en lumière mes problèmes liés à la masculinité noire, à ses injonctions et à ses contraintes, surtout en étant gay. Et puis il y a eu Eric Effiong, de ‘Sex Education’. Le personnage se rapproche beaucoup de mon expérience, étant quelqu’un issu d’une famille africaine comme moi, l’identification a été d’autant plus forte. Sa positivité, son énergie, m’ont également permis de plus m’affirmer.
Un personnage comme Eric a été salutaire pour mes relations avec mes amis. Ils me disent souvent que je lui ressemble, physiquement et au niveau de sa personnalité, mais il a pu aussi donner corps aux problématiques que les personnes issues de la diaspora africaine, comme moi, vivent. Nous sommes entre deux mondes, notre pays d’appartenance européen où l’on peut être ‘out’, malgré une homophobie existante, et l’Afrique, un peu considérée comme notre terre promise par nos parents, et où nous sommes en danger de mort. L’épisode d’Eric au Nigeria m’a permis de discuter de ce paradoxe malheureux avec mes amis, et de leur montrer toute la complexité d’être un Européen d’origine africaine. C’est une triple identité (européen, africain et LGBTQ+) qui peut être très difficile à appréhender et à faire comprendre, et Eric m’a permis de le faire plus simplement.”
“Il y a des séries qui sauvent la vie. ‘Skam France’ a sauvé la mienne”
Après avoir longtemps été à la traîne sur ces questions, les fictions made in France commencent à écrire d’autres personnages, plus variés, moins stéréotypés… L’idée d’écrire un héros ou une héroïne universelle pour satisfaire le plus grand nombre n’a plus de sens, et des diffuseurs ont enfin intégré que la diversité – en plus d’être une source inépuisable d’inspirations pour leurs histoires – est une sacrée richesse.
Du côté de France.tv Slash, la plateforme de France Télévision qui s’adresse avant tout aux jeunes, on a compris depuis bien longtemps la puissance pédagogique et libératrice des séries. Ses programmes parlent d’amour, de politique, d’écologie, de sexualité… Si les réseaux sociaux restent l’outil privilégié de son public pour débriefer leur dernière obsession sérielle, les discussions que certains épisodes peuvent provoquer dépassent largement le cadre du virtuel.
Récemment, Skam France a consacré sa saison 10 à la thématique du viol conjugal, mettant ainsi un coup de projecteur sur une situation bien trop commune : dans 90 % des cas, la victime connaît son violeur. Dans l’entourage des acteurs et actrices, les discussions ont émergé sur les notions de consentement, de zone grise, etc, comme nous l’a témoigné Nathan Japy, qui joue Hugo dans la saison 10, de passage dans notre studio pour une interview : “Je savais que ça existait, bien sûr, mais je ne me rendais pas compte à quel point c’était fréquent avant de faire la série. J’en ai parlé à des ami·e·s qui m’ont dit ‘ah mais bien sûr, ça m’est arrivé’ ou ‘c’est arrivé à une pote’.” Zoé Garcia, l’interprète d’Anaïs, nous a aussi parlé des premiers retours des fans sur cette douloureuse question : “J’ai reçu des messages très positifs qui me disaient ‘merci de parler de ça, et surtout, merci d’en parler dans ce contexte-là’.”
L’approche pédagogique de la série a déjà porté ses fruits par le passé, comme le démontrent les témoignages anonymes de spectateur·rice·s recueillis par France.tv Slash lors de la saison 3 : “Étant fan de Skam, j’ai montré la saison 3 à mes parents très fermés d’esprit juste après avoir fait mon coming out. À chaque fois qu’il y avait des moments de dialogue entre Lucas et ses parents, ma mère avait les larmes aux yeux. Ça les a aidés à m’accepter comme je suis et à me comprendre.”
Pour cette autre spectatrice, il est carrément question de sauvetage : “La série m’a énormément aidée dans ma vie. À mieux me comprendre, à savoir qui je suis, à me convaincre que non, ce n’est pas grave d’être différent. Ça m’a aussi aidée à comprendre que moi aussi j’ai le droit d’être aimée. Même si je suis différente. Il y a bel et bien des films, des livres, des séries, qui sauvent la vie. Skam France a sauvé la mienne.”
Loin de son image de série “pour ados”, Skam parle en fait à toutes les générations, bâtissant des passerelles entre les plus jeunes et leurs parents, ouvrant un canal de communication que l’on croyait fermé. Elle est de ces grandes séries populaires qui entrent chaque semaine ou chaque soir dans les foyers des Français·es, sans distinction d’âge, de classe sociale, de bord politique et dont les effets sur la société sont, à n’en pas douter, très positifs.
“Ma mère m’a dit qu’elle m’accompagnerait quoi que je fasse, je suis en larmes”
Si certaines, plus “prestigieuses”, ont provoqué une mini-révolution – à l’instar de la sublime Pose, qui a mis un nombre record d’actrices trans de couleur à l’écran –, elles sont aussi plus confidentielles et s’adressent, a priori, à un public déjà acquis à leur cause. Les séries populaires, elles, s’invitent chez le plus grand nombre. Certaines n’ont peut-être pas la délicatesse de Pose, ni la folie créatrice de Sense8, mais elles mêlent grosses ficelles dramatiques héritées du soap et sujets d’actualité : un mélange parfait pour provoquer des discussions en famille au moment du dîner.
Ainsi, en 2018, Plus belle la vie, au sommet de son succès, est la première fiction quotidienne à mettre en scène un personnage d’homme trans, joué par un homme trans. Jonas Ben Ahmed incarne Dimitri, un responsable d’association qui va aider le jeune Antoine (interprété par l’actrice cisgenre Enola Righi) dans sa transition. À la lecture de l’annonce de casting, l’acteur a d’abord hésité à se lancer, comme il le confiait alors à Libération :
“Il y était notamment question d’un acteur ayant ‘fini sa transformation’, ce qui ne se dit absolument pas. […] Les termes maladroits de l’annonce m’ont agacé… Et puis je me suis dit : ‘Passe ce casting et va informer les gens au lieu de râler dans ton coin !’ […] Il y a des gens dans mon cas qui se sentent complètement isolés, peut-être qu’ils pourront s’identifier.”
Les réactions suite à l’introduction de cette intrigue ne se sont pas fait attendre, attestant, s’il le fallait encore, de la porosité entre les grandes fictions populaires et le quotidien de celles et ceux qui les regardent :
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Face au succès de Plus belle la vie sur France 3 et son monopole depuis près de quinze ans, TF1 lance sa riposte en 2017 avec Demain nous appartient, puis Ici tout commence trois ans plus tard. Sur le même registre, les deux s’attaquent, sous couvert d’intrigues soapesques, à des questions de société, et en particulier de sexualité, de genre ou de transidentité. La première introduit Morgane, une infirmière et mère de famille transgenre, incarnée par l’actrice cisgenre Marie Catrix, et la seconde met notamment en scène Eliott, un personnage non binaire et asexuel campé par l’acteur queer Nicolas Anselmo.
Ce dernier marque une avancée non négligeable dans les représentations queers à la télévision française : la non-binarité, et encore plus l’asexualité, étant deux sujets parfaitement invisibilisés à l’écran. Eliott change la donne. Il permet à certain·e·s téléspectateur·rice·s qui ne s’étaient jamais vu·e·s à l’écran de s’identifier et, dans quelques cas, d’en parler à leurs proches, comme en témoignait cette personne sur Twitter :
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Finalement, qu’importe le budget de leur production, le prestige de leur cast ou leurs qualités artistiques, tant que les séries continueront de divertir, d’inspirer, d’émouvoir, de rassurer et de provoquer des conversations… leurs effets sur nos sociétés se feront sentir. Elles sont l’espace de tous les possibles où chacun et chacune peut se projeter.