L’acteur sexagénaire incarne le gérant d’un ranch immense dans une série au cadre rêveur mais au sous-texte incertain, oscillant entre naturalisme et conservatisme.
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Notre décennie sérielle est frappée par une recrudescence du western. Après l’indétrônable Deadwood des années 2000, Netflix a tenté sa chance avec la sublime Godless pendant que HBO mélangeait les genres avec l’ambitieuse Westworld. En 2018, c’est au tour de la petite chaîne Paramount Network, à qui l’on doit notamment la mini-série de très bonne facture Waco sur le blocus historique du même nom, de plonger dans les terres profondes de l’Amérique avec Yellowstone.
Le show est un western contemporain qui se déroule dans le Montana. Le grand Kevin Costner y incarne John Dutton, patriarche patibulaire d’une famille aisée de la région qui possède le plus vaste ranch du sol américain. Forcément, des vautours concurrents commencent à s’y intéresser et trois groupes d’individus vont tenter de gratter du terrain : une tribu indienne pour y construire des casinos, un concurrent direct souhaitant y implanter un complexe hôtelier et le gouvernement, qui désire acheter des parts pour attirer des citoyens fortunés.
John Dutton et ses fils ne sont pas du genre à partager équitablement leur butin et vont donc s’élever contre ce trio pour protéger leurs hectares et la faune qui y vit. Mais le jour où un troupeau de bétail franchit les frontières de leur territoire, la famille Dutton va sombrer dans la violence et l’intimidation pour récupérer ce qui leur appartient et envoyer un message fort par la même occasion.
Make America Great Again
Aux États-Unis, Yellowstone a réalisé un record d’audience sur Paramount Network (5 millions de téléspectateurs réunis devant le pilote à J+3). Si les qualités indéniables de la série jouent en sa faveur, on est en droit de se poser une autre question : Yellowstone cible-t-elle les citoyens qui ont voté pour Donald Trump en 2016 ? En effet, plusieurs éléments du show semblent s’adresser aux sympathisants du bord politique du chef de l’État.
Yellowstone est une série ancrée dans l’Amérique pastorale qui met en avant les valeurs conservatrices et puritaines du gouvernement de Trump. John Dutton est un self-made-man ayant parfaitement accompli son rêve américain et bien décidé à le protéger des envahisseurs. Or, une partie d’entre eux sont des étrangers qu’il perçoit immédiatement comme une source de danger, des voleurs de travail, stéréotypes entendus et répétés dans le discours des républicains conservateurs.
Le cadre et le traitement des personnages pointent également dans cette direction. Les montagnes du Montana, gorgées de verdure et qui s’étendent à perte de vue, abritent les électeurs de Donald Trump : il avait en effet remporté une grosse majorité face à Hillary Clinton dans cet État selon les chiffres du New York Times. Quant aux personnages du show, ce sont de vrais cow-boys (Dutton utilise plusieurs fois le terme dans le pilote), littéralement prêts à chasser les Indiens comme dans une époque révolue.
S’il faut de tout pour faire un monde, et qu’après tout Yellowstone a parfaitement le droit de viser une cible de masse (il faut bien manger dans cette rude concurrence sérielle), elle ne sait pas vraiment sur quel pied danser. Parfois, le pilote expose une vraie communion avec la nature : outre les images magnifiques de l’Utah, lieu de tournage de la série, cette dernière défend un retour aux sources et un hommage à Dame Nature. L’épisode “Daybreak” s’ouvre sur un plan poignant avec la mort d’un cheval, réminiscence de L’Homme qui murmurait à l’oreille des chevaux, incarné par le père spirituel de Kevin Costner, j’ai nommé Robert Redford.
Et d’autres fois, on a l’impression que cette hyperbole des clichés de l’Amérique profonde vient glorifier l’individualité de l’homme et une politique protectionniste. Dutton lâche une véritable armée sur les Indiens, avec hélicoptère et Range Rover en soutien comme une milice autoritaire et impitoyable. Ils n’ont pas peur de faire régner la justice par eux-mêmes. Enfin, le traitement catastrophique des du personnage féminin de la série date des années 1960 malgré le talent de Kelly Reilly, uniquement mise en valeur par les formes généreuses de son corps.
Un western efficace plombé par des longueurs
Passé un pilote interminable d’une heure et demie (!!!), Yellowstone nous envoûte assez rapidement dans son paysage naturel à couper le souffle. On assiste à la beauté bucolique des tâches du ranch, entre la mise bas de veaux et les cavalcades dans les vastes plaines du Montana sur des chevaux au galop. On sent une envie de la part du showrunner Taylor Sheridan (Wind River, Comancheria) de partager un retour aux plaisirs simples de la vie, dans une “petite” région bouleversée par la mondialisation et la fuite des populations pour les grandes villes.
Yellowstone puise son inspiration dans les romans-fleuves de Philip Roth et James Ellroy, qui traitent de la psychologie masculine et du poids de l’héritage. La série le fait de manière assez lourde, à travers des dialogues peu inspirés qui ont un aspect soapesque agaçant. En revanche, le rôle de John Dutton sied comme un gant à la mine renfrognée de Kevin Costner, qui apporte une touche d’humanité à ce protagoniste archétypal. Les personnages secondaires, solidement interprétés et dotés d’une vraie personnalité, ont un potentiel d’évolution intéressant dans la suite de l’œuvre.
Comme The Terror y est brillamment parvenu, Yellowstone pourrait redéfinir les comportements du mâle dominant et déstructurer la psyché masculine à travers ce western à la production calibrée. Malheureusement, elle oscille encore trop dans son pilote entre la poursuite de stéréotypes venus d’un autre temps et une véritable envie de raconter l’histoire des derniers fermiers américains. En 10 épisodes, elle aura sûrement l’occasion de nous surprendre, ou au contraire de s’emberlificoter dans son lasso archaïque.
En France, la saison 1 de Yellowstone reste inédite.