Le futur proche n’a jamais été aussi flippant et bouleversant que dans Years and Years

Le futur proche n’a jamais été aussi flippant et bouleversant que dans Years and Years

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Une nouvelle pépite anglaise à ne pas rater.

Exit Black Mirror et sa saison 5 officiellement dépassée par les événements. Si vous avez envie de découvrir ce que l’avenir peut éventuellement nous réserver dans un futur pas trop lointain, ce n’est plus sur Charlie Brooker qu’il faut compter, mais sur un autre scénariste anglais, Russel T. Davies. Loin d’être inconnu au bataillon, il est le créateur de Queer as folk, du triptyque Cucumber, Tofu, and Banana ou encore l’instigateur du revival de Doctor Who en 2005. Avec Years and Years, sa nouvelle série, lancée sur la BBC le 14 mai dernier, il nous prouve sa capacité à prendre le pouls d’une société à bout de souffle.

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Fresque familiale se déroulant sur une quinzaine d’années, Years and Years suit les aventures de la famille Lyons, basée à Manchester. L’histoire débute en 2019, dans une Angleterre engluée dans les conséquences de son Brexit. En moins de 10 minutes chrono, on fait la connaissance de la tribu : les frères et sœurs Daniel, Stephen, Rosie, Edith, leurs enfants et moitiés, et leur grand-mère, Muriel Deacon. Ils suivent, chacun de chez eux mais tous connectés, l’interview télévisée de Vivienne Rook (géniale Emma Thompson), charismatique entrepreneuse en passe de devenir une politicienne populiste, mélange terriblement réaliste de nombreuses personnalités politiques.

En France, elle serait un savant mélange entre Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen et Emmanuel Macron. “Je ne comprends plus le monde dans lequel nous vivons”, lance-t-elle. Avant de provoquer son monde en utilisant des mots interdits à la télé (“fuck”) et autres sorties politiquement incorrectes du genre “je me fous de la crise israélo-palestinienne”.

“Le monde est déjà un foutoir, mais à quoi va-t-il ressembler dans cinq ans ?” se demande Daniel (Russell Tovey) alors qu’il tient dans ses bras le bébé de sa sœur, Rosie. Qu’à cela ne tienne. Le temps s’accélère : sur une musique épique, les plans enchaînent les moments importants de la tribu (mariages, anniversaires…), ainsi que la vie politique mondiale (réélection de Trump, conflit nucléaire qui menace autour de l’île Hong Sha Dao, mort d’Angela Merkel…) et anglaise évidemment. Vivienne Rook subit ses premiers échecs politiques et prévient : “je reviendrai” ! Le montage, extrêmement maîtrisé, prend le temps de laisser une scène ou un dialogue quelques secondes, avant d’enchaîner dans sa folle danse, pour nous emmener en 2024.

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Tout au long de la série, ces avancées dans le temps ont lieu à intervalles réguliers, mais n’empêchent en rien de s’attacher aux membres de la famille Lyons. Et c’est là tout le génie de Russel T. Davies : réussir à nous raconter le destin d’une petite dizaine de protagonistes, à nous bouleverser, à nous faire rire, tout en gardant en tête la “big picture”. La grande histoire dans la petite, ou vice-versa.

Quand les banques et les pays d’Europe tombent en banqueroute les uns après les autres, les conséquences sont terribles pour Stephen et sa famille, qui perdent tout ce qu’ils ont, et se retrouvent dans l’obligation de partir vivre chez grand-mère Muriel (Anne Reid). Quand une bombe nucléaire lancée par les États-Unis sur l’île de Hong Sha Dao manque de provoquer la fin du monde, Edith l’activiste est en première ligne. Ou encore quand, en tombant sous le charme d’un réfugié politique ukrainien, Viktor, menacé de mort dans son pays parce qu’homosexuel, Daniel va se heurter à un système inhumain.

Une série d’anticipation avec un supplément d’âme

Le futur proche imaginé par Russel T. Davies fait flipper, parce qu’il est du genre crédible. Entre la montée inexorable de Marine Le Pen (qui a surpassé Macron au premier tour des élections européennes cette année) en France, les lois régressives qui passent actuellement aux États-Unis (notamment les lois anti-avortement), la menace nucléaire agitée pour un oui ou pour un non, les catastrophes écologiques qui surviennent aux quatre coins du monde, la chute lente mais inexorable du système capitalisme, le désintérêt des jeunes pour la politique, il semblerait bien que la fin du monde soit proche, ou du moins la fin d’un monde.

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Comment continuer à vivre ensemble et combien de temps encore allons-nous assister, inconscients ou impuissants, au délitement d’un système que nous avons contribué à créer et à détruire se demande Russel T. Davies ? Qu’est-ce qui nous relie encore les uns aux autres ? L’histoire commune, les souvenirs, les liens d’amour, la conscience de la vie et de la mort. Même si là aussi, les rêves de transhumanisme de la jeune Bethany (Lydia West), qui veut devenir une pure conscience, volant dans “le cloud” à sa guise, pose la question existentielle de l’immortalité.

La réflexion autour des avancées technologiques infuse la série. Dans les foyers, tout le monde utilise une intelligence artificielle aux fonctionnalités proches d’un Siri, capable de rechercher n’importe quelle info, de gérer l’électronique et l’électroménager, d’appeler plusieurs personnes en simultané… Rosie largue un potentiel boyfriend après avoir découvert que son robot domestique avait une option en plus, sexuelle. Years and Years imagine des développements crédibles de la high-tech, ce qui donne lieu à des scènes drôles, existentielles ou carrément flippantes, à la limite de la SF.

Et nos petits humains dans tout ça ? Sublimés par l’écriture empathique du vétéran Russel T. Davies, on ne les perd pas de vue au milieu de ses turbulences politiques, alors que les années et les tragédies s’enchaînent. Bourrés de défauts, de convictions, drôles, déprimés, cyniques… Ils sont tous terriblement attachants.

Les décrochements narratifs, quand tout à coup le temps s’accélère, aident aussi à visionner l’unité de cette famille faite d’individualités qui se rassemblent autour de rituels symboliques. Les prises de tête, les naissances et les mariages émouvants, les moments de joie quand une proche refait surface (la grande sœur Edith), les secrets de famille (papa qui s’est tiré pour fonder un autre foyer)… Les Lyons sont particuliers et universels. Leurs expériences sont les nôtres. Sans eux, Years and Years ne serait qu’une coquille vide, comme tant de séries qui veulent nous parler de l’état du monde mais oublient d’y créer des personnages dont on a envie de suivre l’histoire.

En France, Years and Years sera diffusée sur Canal+.