Westworld : l’Homme en noir est-il en réalité un hôte ?

Westworld : l’Homme en noir est-il en réalité un hôte ?

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Par Adrien Delage

Publié le

“Have you ever questioned the nature of your reality ?” Attention, spoilers.

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Si les parcours respectifs (et contrastés) de Bernard, Maeve et Dolores sont au cœur de Westworld, Lisa Joy et Jonathan Nolan n’oublient pas d’accorder une certaine importance à l’antagoniste principal de la série, William, aka l’Homme en noir. L’actionnaire majoritaire de Delos Inc. vit un jeu grandeur nature comme il l’a toujours rêvé depuis la fin de la saison 1, où les enjeux dans le parc sont devenus réels et vitaux. De nouveau mis au défi par Robert Ford après la révélation du Labyrinthe, qui était destiné aux hôtes et non aux invités, William s’est lancé dans une narration inédite qui le perd autant qu’elle entraîne la confusion du spectateur.

Depuis les prémices de Westworld, la question qui taraude les fans est de différencier les humains des androïdes. Ces répliques parfaitement calquées sur le corps de l’homo sapiens, alliées à la fourberie narrative des showrunners de la série, nous ont causé une sérieuse surchauffe des méninges en saison 1 au moment de la révélation de la nature de Bernard dans l’épisode “Trompe L’Oeil”. Dans ce deuxième chapitre, Lisa Joy et Jonathan Nolan remettent le couvert avec encore plus d’incertitudes, mais cette fois autour du personnage de William.

Dans l’épisode “Vanishing Point”, on apprend que l’Homme en noir est un des pires visiteurs du parc et que son profil de psychopathe doublé d’une certaine cruauté en fait un type de clients très rare. Comme l’indique sa femme Juliet, il passe un temps considérable dans Westworld, quitte à délaisser le monde réel pour vivre ses fantasmes et exprimer ses pulsions refoulées. Mais à force de parcourir les terres sauvages du parc, et chercher l’immortalité à travers le projet James Delos, William est devenu complètement paranoïaque si bien qu’il en vient à douter de sa propre nature.

“Analysis”

Comme aime à le répéter Dolores dans cette deuxième saison, William ne cesse de “questionner la nature de sa réalité”. Le personnage campé par un Ed Harris de gala le souligne visuellement en se triturant l’avant-bras, comme s’il s’attendait à y trouver un fil ou un capteur robotique implanté dans les androïdes. Et à force de nous faire douter, on commence à croire que l’Homme en noir pourrait bien être un hôte. Après tout, rien ne confirme la survie de William après la fusillade de l’épisode “The Bicameral Mind” en saison 1. Et si, depuis le début de la saison 2, le cow-boy qui s’est relevé était une copie bio-organique de l’original ?

Le premier argument en faveur de cette théorie est tout simplement lié à l’œuvre de Michael Crichton, Mondwest, sur laquelle est basée la série de HBO. Dans le film de 1973, l’Homme en noir existe et est incarné par Yul Brynner. Or, il est révélé dans le long-métrage que ce personnage est en réalité un androïde… Vient ensuite le symbolisme des animaux. En effet, au vu de l’importance accordée aux détails dans Westworld, l’apparition d’un loup et d’un vautour auprès de William ne peut être une simple coïncidence.

Si le rapace renvoie évidemment à la Faucheuse et à la folie meurtrière de l’Homme en noir, qui va jusqu’à tuer sa propre fille dans l’épisode 9, le loup n’est pas le signe que Game of Thrones est un parc à part entière de l’univers de Westworld (contrairement à des théories loufoques trouvées sur la Toile). Si l’on prête généralement au canidé des valeurs de loyauté, de vivre ensemble et de courage, il incarne également la renaissance, la soif de liberté ou encore l’idée de cycle. Ces thématiques font clairement écho à la nature des hôtes, qui revivent infiniment, qui sont enfermés dans des narrations redondantes et cherchent inconsciemment le Labyrinthe pour s’en extirper.

Par ailleurs, le loup fait également référence au personnage d’Akecheta, le leader de la Ghost Nation dont le parcours a été sublimé dans l’épisode “Kiksuya”. Dans les cultures amérindiennes, et notamment chez les Sioux (dont font partie les Lakota), le lupus est une force spirituelle qui représente l’apprentissage, ce qu’implique le jeu de Ford pour William et la notion de chercher un sens à sa vie (ou, dans le cas présent, sa vraie nature). Tout comme Maeve et Dolores, Akecheta a trouvé le Labyrinthe et la conscience. Ainsi, sa présence à travers le loup est métaphorique : il montre la voie à l’Homme en noir, qui s’éveille après le massacre d’Escalante pour débuter son voyage initiatique vers sa vraie nature.

Si on fouille dans le passé de William, on découvre un autre indice majeur quant à son identité d’hôte. Après avoir bordé sa femme Juliet, il dissimule sa carte contenant sa base de données dans un livre. Cette décision n’a rien d’anodine. En effet, le roman en question est Abattoir 5 ou la Croisade des enfants, un récit de science-fiction imaginé par Kurt Vonnegut Jr. Il raconte l’histoire de Billy (qui est au passage le diminutif de William), un homme capable de voyager dans le temps et de mener ainsi plusieurs vies à la fois, embrouillant ses souvenirs entre futur déjà vécu et passé oublié.

Cette idée de vivre de multiples existences rappelle évidemment les narrations des hôtes, qui changent d’identité selon les envies scénaristiques de Robert Ford et Lee Sizemore. Mais ce n’est pas tout. Billy et William partagent également une mémoire défaillante, comme dans l’épisode 4 où l’Homme en noir confond sa femme et sa fille par rapport à leur phobie des éléphants.

De plus, dans ce même épisode, on aperçoit des flashs de la mort de Juliet. Or, ces derniers font écho aux flash-back de “Vanishing Point”, où certaines scènes sont modifiées dans l’esprit de William (les perles du lustre, l’eau qui s’écoule du bain et la position des mains de Juliet sont différentes) comme si son plan cognitif refusait d’accepter la dualité qui l’oppose, soit la même anomalie qui expliquait le dysfonctionnement de James Delos version hybride.

En effet, l’Homme en noir est un milliardaire philanthrope et hypocrite. Il maîtrise la manipulation comme personne et s’invente un personnage dans la vie réelle. Cet individu se situe à l’opposé du tueur de sang-froid qu’il incarne dans le parc. Dans l’épisode 9, cette divergence est exprimée à travers ses gestes tendres avec sa femme en comparaison avec la froideur dont il fait preuve en assassinant sa fille. Enfin, cette opposition est symbolisée par sa bise sur le front de Juliet, un geste d’amour qui paradoxalement se transforme en baiser de la mort quand elle décide de se suicider.

Amour > réalité ?

Malgré tout, les créateurs de Westworld continuent de nous faire croire que William est bel et bien humain. En témoigne le détecteur des gardes, qui s’allume au vert quand ils le passent à la base de son cou. Cela dit, Maeve était parvenue à tromper la machine plus tôt dans la saison… En fin de compte, la porte que cherche l’Homme en noir d’après le défi de Ford est une métaphore filée : dans le season finale, elle le mènera certainement sur les traces de sa vérité, à savoir sa véritable nature.

La question est donc de déterminer ce qui se cache derrière cette porte. Tout comme Damon Lindelof dans Lost et The Leftovers, Lisa Joy et Jonathan Nolan sont portés sur la notion de l’amour. Un amour plus fort et plus grand que n’importe quel high concept, qui surpasse le temps, l’espace et la condition d’une personne. Derrière cette porte se dissimule peut-être le corps quasi humain de William jeune. Ainsi, l’Homme en noir serait bien un androïde qui pourrait transplanter sa conscience dans un autre corps, faisant de lui un véritable hybride.

De cette manière, William serait enfin capable de vivre la quintessence de son existence, à savoir son amour pour Dolores. C’est pour la fille Abernathy qu’il n’a cessé de s’aventurer dans le parc, quitte à y perdre la raison et outrepasser ses limites morales et physiques. Cette “tâche” de ténèbres dont nous parle l’Homme en noir dans “Vanishing Point”, qui grandit en lui mais a toujours été là, est peut-être une fausse piste. Et s’il s’agissait en réalité de l’amour qu’il porte à Dolores ?

Ainsi, Westworld dévoilerait que l’amour ne connaît aucune frontière dans son univers, tout en assistant à la naissance d’une nouvelle humanité faite d’êtres hybrides et donc parfaits selon le point de vue de Ford, allégorie de la figure divine dans la série. D’antagoniste principal, William deviendrait alors le fils spirituel du créateur du parc et par symbolisme religieux le messie d’une nouvelle civilisation. Oui, ça va loin, mais après tout, c’est là toute la beauté, le mysticisme et la poésie d’une série qui confirme son statut d’œuvre ambitieuse avec cette saison 2 magistrale.

En France, la saison 2 de Westworld est diffusée en simultané avec les US sur OCS City.