Pourquoi l’épisode 6 de Watchmen est un chef-d’œuvre

Pourquoi l’épisode 6 de Watchmen est un chef-d’œuvre

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Par Adrien Delage

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Damon Lindelof conte l'origin story du Hooded Justice dans un épisode virtuose. Attention, spoilers.

Damon Lindelof est un nom qui inspire autant la crainte que la fascination sur le petit écran. Le showrunner américain, à l’origine de Lost et The Leftovers, défend un style clivant qui a souvent laissé des spectateurs sur la touche. Son écriture sinueuse, cryptique et très axée sur la “mystery box” de J. J. Abrams et le développement des personnages lui a parfois joué des tours, comme sur la fin des aventures de Jack et des rescapés de l’île. Aussi, quand il a finalement décidé (il avait déjà refusé trois ans auparavant) d’adapter Watchmen en série, ses fans et les lecteurs du comics original tremblaient d’excitation et d’inquiétude.

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Six épisodes plus tard, les puristes et les nouveaux venus peuvent se rassurer : oui, Watchmen est une adaptation réussie qui a atteint un nouveau sommet avec l’épisode “This Extraordinary Being”. En plus de rassembler une équipe talentueuse autour de queen Regina King, Damon Lindelof est parvenu à un exploit inconcevable, surpassant au passage le film déjà plutôt fidèle et spectaculaire de Zack Snyder : offrir une suite en harmonie avec la BD d’Alan Moore et Dave Gibbons, tout en repoussant les limites de l’adaptation à travers une narration qui apporte des réponses à l’œuvre d’origine.

Reconstruire le mythe américain

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Avec l’épisode 6, Damon Lindelof et son coscénariste Cord Jefferson plongent au cœur du sujet qui alimente cette adaptation et la rapproche de la réalité : le racisme de l’Amérique de Donald Trump. Pour ce faire, le tandem a décidé de se lancer le pari fou d’écrire une origin story pour Hooded Justice. Ce personnage, qui a lancé le mouvement d’émancipation des justiciers et inspiré le groupe des Minutemen dans les pages de la BD, était pourtant resté complètement mystérieux, par choix d’Alan Moore.

Dans “This Extraordinary Being”, on découvre donc que la série fictive American Hero Story a (involontairement, puisque son identité est toujours restée secrète) whitewashé le Hooded Justice, qui n’était autre qu’un homme noir, Will Reeves. Celui qui n’était qu’un petit garçon lorsqu’il a vu les habitants de son quartier et sa famille mourir pendant les émeutes de Tulsa de 1921, a décidé de se venger des suprémacistes blancs, qu’ils soient indirectement ou non complices des massacres perpétrés contre son peuple, comme le chef de la police Judd Crawford.

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À travers le portait glaçant et émouvant de Will, c’est tout un mythe américain que Damon Lindelof déconstruit pour mieux le rebâtir, avec une dose de vérité en plus. La figure du héros comme Bass Reeves, et plus tard du super-héros avec l’avènement des comics dans les années 1940, est une allégorie de la justice dans la culture américaine. Une icône qui avait déjà été réappropriée par l’Amérique blanche à travers le Lone Ranger, justicier masqué dans des westerns des années 1950.

Le showrunner va encore plus loin dans l’univers uchronique de sa série en réhabilitant Bass Reeves en tant que véritable héros américain originel. Il met en parallèle son destin à celui de son héritier Will Reeves, et transforme ainsi l’origin story du Hooded Justice en un véritable mythe à l’américaine.

Le premier US Marshall noir de l’histoire, qui a véritablement existé et officié en tant que shérif adjoint dans l’Oklahoma du XIXe siècle, est loin de ressurgir comme par magie dans la série. En effet, rappelez-vous : le premier épisode de Watchmen s’ouvrait avec un film muet où le héros venait en aide au peuple. Dans la séquence, il met aux arrêts un shérif blanc en lui passant la corde au cou, annonçant ainsi une histoire vouée à se répéter 100 ans plus tard – dans l’épisode 6 de la série, précisément.

Dans ce dernier, Lindelof transcende son style composé d’intrigues labyrinthiques et d’images symboliques : l’histoire sanglante de Will Reeves, ses raisons de tuer Judd Crawford, tout était là depuis les premières minutes du premier épisode de la série, comme un clin d’œil à Jack qui ouvre et referme ses yeux au début puis à la fin de Lost. Une habile prouesse d’écriture qui impacte le spectateur et qui met la puissance du cinéma au cœur de l’expérience Watchmen, d’abord à travers le film muet d’introduction, puis grâce à l’attaque terroriste dans le cinéma de New York dans l’épisode 6, qui valide définitivement la transformation de Will en défenseur de sa communauté.

Une expérience visuelle vertigineuse

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Damon Lindelof couple son talent d’écriture à une mise en scène tout simplement virtuose. Dans cet épisode sombre, bouleversant et viscéral, lui et le réalisateur Stephen Williams rendent hommage aux films noirs des années 1950 – La Soif du mal en tête, avec ces longs plans et plans-séquences qui montrent les bas-fonds de New York. Avec le monochrome de rigueur et une BO qui fait mouche en alternant soul, gospel et free jazz, l’épisode nous emporte dans un tourbillon de rebondissements et de violences raciales qui marquent au fer rouge.

À plusieurs reprises, on a le sentiment que Stephen Williams immortalise une pièce de théâtre en temps réel voire un ballet parfaitement chorégraphié, sublimé par la fluidité de ses transitions. À travers cette façon de filmer, il rend hommage à la composition des cases de comics, un élément essentiel dans la création d’Alan Moore (en particulier sur Watchmen). Encore une fois, Lindelof travaille respectueusement autour de l’œuvre originale pour mieux l’enrichir de sa patte.

Des personnages interviennent dans des scènes avant d’en sortir avec dix ans de plus, la caméra se déplace comme un fantôme dans les rues en feu de la Grosse Pomme… Impossible de cligner des yeux devant cette peinture en noir et blanc qui prend vie. Techniquement, la séquence la plus époustouflante est celle dans la maison des Reeves, où les années se mélangent dans un plan-séquence d’anthologie qui n’est pas sans rappeler le travail de mise en scène ahurissant de Michel Gondry pour Kidding.

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Avec cet épisode fulgurant, ponctué de moments d’anthologie, servi par une mise en scène stylisée à couper le souffle, et porté par un scénario original qui respecte mais aussi creuse une œuvre mythique, Damon Lindelof et son équipe créative touchent au sublime. Ils ont peint un chef-d’œuvre comme le petit écran nous en livre rarement, du moins ces dernières années.

“This Extraordinary Being” vient réclamer une place confortable au milieu de monuments de la décennie, élégamment installé entre l’expérimental “Part 8” de Twin Peaks: The Return, le déchirant “The Bent-Neck Lady” de The Haunting of Hill House ou encore le cultissime “Ozymandias” de Breaking Bad. Mieux encore, l’épisode confirme que le Watchmen de Lindelof est non seulement une bonne adaptation, mais aussi une grande série.

En France, la première saison de Watchmen est diffusée tous les lundis en US+24 sur OCS City.