La nouvelle mini-série de Hulu a démarré ce mercredi 26 avril, en dévoilant ses trois premiers épisodes. Aussi puissante que l’anthologie Black Mirror, mais sans l’aspect technologique, cette œuvre dystopique imagine un futur glaçant. Attention, spoilers.
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Nouvelle venue sur la plateforme Hulu, The Handmaid’s Tale est une série adaptée du roman La Servante écarlate de Margaret Atwood. Pourtant écrite en 1985, l’histoire offre un regard plus que jamais terrifiant sur notre société contemporaine. Située dans un futur proche, cette dystopie nous ramène toutefois 50 ans en arrière.
L’intrigue de The Handmaid’s Tale fait froid dans le dos puisqu’elle nous situe dans un régime totalitaire aux États-Unis, où le taux de natalité a fortement diminué, à la suite d’une catastrophe biologique (une pollution sans précédent). Pour palier cette situation de faible fertilité, de nouvelles lois sur les relations hommes/femmes régissent le pays, réduisant ces dernières à des esclaves sexuelles et les soumettant au joug patriarcal. La série fait le choix de se concentrer sur l’une d’elles, désignée en tant que “Servante” et affectée au sein d’une famille afin de lui donner un enfant.
Emprise masculine et obscurantisme religieux
Le contexte politique dépeint dans la série fait terriblement écho à la politique américaine actuelle. Depuis l’arrivée de Donald Trump au pouvoir, il y a de ça 100 jours, ses politiques suscitent de nombreuses contestations. Avec ses décrets anti-immigration et ses déclarations plus que misogynes, le président américain divise la nation et adopte une posture autoritariste. Gardant cette image en tête, la série se place dans un futur pessimiste et pourtant si proche puisque même si le roman date d’il y a 30 ans, son message reste universel et n’a malheureusement pas pris une seule ride. De ce fait, adapter cette fiction aujourd’hui est un acte fort et fait de cette mini-série une œuvre engagée. On peut le constater lors d’un flashback présentant une manifestation musclée, opposant des femmes qui militent pour récupérer leurs droits à la force armée du pouvoir mis en place. Impossible de ne pas faire le lien avec notre actualité.
Plongés dans une guerre civile, les États-Unis, rebaptisés Gilead, sombrent dans le chaos et basculent dans un régime autoritaire dans lequel les hommes prennent totalement le pouvoir et soumettent les femmes à une pleine obéissance. Régie par une puissance pour l’instant inconnue, la population est envahie par la peur et n’a d’autres choix que d’obtempérer. Une force armée quadrille le pays, surveille la population et traque ceux qui essayent de résister. La pollution a servi de prétexte au pouvoir en place pour établir une dictature oppressante, où les libertés de pensée et d’expression sont définitivement bannies. Par ailleurs, sous couvert d’une menace terroriste (existe-t-elle vraiment ?), les autorités répandent leurs idées par un bourrage de crâne intensif.
Au fil des trois premiers épisodes, on en apprend un peu plus sur la manière dont le pays a basculé dans l’oppression patriarcale, le point d’ancrage de la montée en puissance de cette dictature concernant le taux de natalité. Celui-ci ayant chuté, la priorité pour le pays est désormais de s’assurer une descendance. Et tous les moyens sont bons pour y arriver. Peu à peu, les femmes sont privées de leur liberté et de leur indépendance – on leur retire notamment le droit d’être propriétaires, ainsi que celui de travailler ou d’avoir un compte en banque. Plus encore, toute femme fertile devient “Servante” et sera utilisée pour donner des enfants aux femmes stériles, selon une nouvelle logique religieuse. En effet, la pollution est vue comme une épreuve de Dieu et chaque personne doit jouer son rôle pour éviter une catastrophe plus grave encore.
Dès le début, on enseigne aux femmes que les avancées progressistes de notre société ont conduit à la perte de notre civilisation, plus encore que la pollution. Tante Lydia, considérée comme une sorte de marâtre gérant les Servantes, bannit de facto la pilule, les interruptions volontaires de grossesses et tout comportement considéré comme “déviant”. Des purges ont lieu à l’encontre des homosexuels, des médecins et des hommes de foi ne respectant pas les nouveaux principes mis en place. De nombreuses prières ponctuent la vie en communauté désormais établie. Régulièrement, les protagonistes s’échangent des formules comme “Que Dieu soit loué” ou “Il veille sur nous”, au milieu de banales conversations sur la pluie et le beau temps. Par ailleurs, dans un quasi-retour au Moyen Âge, les femmes sont habillées de longues robes qui recouvrent leurs attributs, et voient leur féminité anéantie par un couvre-chef blanc qu’elles doivent arborer.
Déshumanisation des femmes
Les femmes sont réparties en trois catégories : les Épouses (femmes des “commandants” qui dirigent la société), les Martha (condamnées aux tâches ménagères), et les Servantes (femmes fertiles servant à la reproduction). La série se concentre sur l’une d’entre elles, Offred (Elisabeth Moss), qui a été placée dans la famille du commandant Fred Waterford. On apprend, grâce à des flashbacks, que son mari a été tué et que sa fille lui a été enlevée. Ce sont les Servantes qui sont, évidemment, les premières touchées par l’oppression masculine. Dès leur assignation, elles perdent toute identité et prennent le nom de leur commandant. On a donc attribué le nom de Fred Waterford à Offred (Of Fred = de Fred). Après une cérémonie de “purification”, chaque Servante est violée par son commandant, afin de donner un enfant à son épouse stérile.
Les Martha gèrent la maisonnée en s’occupant des tâches ménagères, et veillent à ce que la Servante “vive” dans les meilleures conditions pour enfanter. Elles subissent les mêmes traitements que n’importe quelle autre femme et doivent obéir aux règles. Tout manquement à la loi les conduit à d’horrifiantes punitions. Par exemple, lorsqu’une Servante essaye de se rebeller, on lui crève un œil car elle n’a pas besoin de voir pour enfanter. Par ailleurs, une Martha sera condamnée à mort si son commandant découvre qu’elle est homosexuelle. Toutes les femmes, malgré la hiérarchie établie, subissent le même traitement en cas de manquement aux règles.
On pourrait penser que les Épouses sont épargnées par la situation, mais elles aussi perdent tous leurs droits. À cause de leur infertilité, elles n’ont d’autre choix que de se soumettre à leur mari et de vivre leur existence par procuration. À travers les Servantes, elles expérimentent un ersatz de sexualité et de maternité. Par exemple, lorsqu’un mari viole une Servante pour la mettre enceinte, l’Épouse se tient derrière elle et regarde son époux, comme s’ils n’étaient que tous les deux dans la chambre. D’autre part, lorsqu’une Servante est en train d’accoucher, l’Épouse se tient toujours derrière elle et reproduit les expressions faciales et gémissements d’un accouchement. Toute action de la vie quotidienne d’une femme est mise en scène de manière très théâtrale, afin que l’Épouse puisse “ressentir” ce que traverse la Servante.
Malgré des scènes éprouvantes, une lueur d’espoir apparaît dans ce chaos incertain, à travers le destin brisé d’Offred. Dès la fin du premier épisode, même si elle accepte sa condition, elle ne lâchera pas son identité première (elle s’appelle en réalité June) et affichera un regard combatif dans l’espoir de retrouver un jour sa fille. Par son récit, on traverse les épreuves avec elle, grâce à sa narration en voix off, dure et teintée d’ironie, qui nous fait découvrir cette société dictatoriale. Même si elle est apparentée à une femme-objet et que son corps ne lui appartient plus, la coquille n’est pas vide et sa force mentale lui permet de tenir le coup.
Une réalisation appliquée et un casting trois étoiles
Après avoir vu ces trois premiers épisodes, on peut déjà considérer la série comme une réussite. Véritable pamphlet pour les droits des femmes, The Handmaid’s Tale est aussi un bijou de réalisation. Celle-ci est à l’image de son ambiance, oscillant entre l’obscurité et la lumière, entre les moments de profonde désillusion et les instants d’espoir. La réalisatrice Reed Morano joue avec les éléments sombres et clairs pour apporter la nuance nécessaire à son message. Le cadrage, parfaitement étudié, renforce aussi cette distinction entre le bien et le mal, grâce à des plans symétriques et contrastés, jouant sur les couleurs ternes de l’environnement et la couleur rouge des robes des Servantes. Les gros plans, très présents, amènent aussi une parfaite opposition entre la dureté des scènes et l’émotion qui s’en dégage.
Par ailleurs, la série de Bruce Miller a su attirer un casting fort et impeccable, pas inconnu du monde des séries. En effet, on retrouve Elisabeth Moss (Mad Men, Top of the Lake), Alexis Bledel (Gilmore Girls), Samira Wiley (Orange Is the New Black), Yvonne Strahovski (Dexter) et Ann Dowd (The Leftovers). Rien que ça. Ce casting féminin est définitivement puissant, porté par des actrices époustouflantes, dont l’interprétation d’une grande justesse nous ramène à nos plus profondes émotions, entre tristesse et colère. Du côté du casting masculin, moins fourni pour l’instant, Joseph Fiennes livre une interprétation toute en retenue du commandant Fred Waterford. Pour couronner le tout, la série s’est vue attribuer une BO à la fois mélancolique, électrisante et inquiétante.
The Handmaid’s Tale porte un regard terrible sur notre société contemporaine à travers les notions de genre et de mœurs. Elle pose aussi beaucoup de questions quant à l’avenir de notre civilisation, menacée par des idéologies toujours plus sombres et dangereuses. L’esthétique de la réalisation et le sujet fort de la série font qu’il est impossible de détourner le regard de cette histoire. Il reste encore beaucoup de choses à apprendre sur l’intrigue passionnante mais effrayante de cette mini-série, à l’image des “Yeux”, menace pour l’instant fantôme, observant la population opprimée. À découvrir d’urgence.
En France, la première saison de The Handmaid’s Tale débute le 27 juin sur OCS Max.