Coup d’essai, coup de maître pour Jonathan Entwistle.
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“Je m’appelle James. J’ai 17 ans. Et je suis presque sûr d’être un psychopathe.” Dès la première minute du pilote, qui résume par un montage rapide et bien foutu pourquoi cet ado chelou pense être un tueur en puissance, The End of the F***ing World a toute notre attention. Voix off à la Dexter, musique rétro ironique (le prophétique morceau “Laughing on the Outside”), rencontre d’une fille, Alyssa, aussi inadaptée que lui… En bonne amatrice de séries anglaises déjantées, je sens que je suis au bon endroit. James pense à tuer sa nouvelle pote, avant de se raviser et de s’embarquer avec elle dans un road trip tragicomique.
Les premiers épisodes, rondement menés, peuvent donner l’impression de verser trop facilement dans une sorte de cynisme tendance. L’inspiration du Quentin Tarantino des années 1990 apparaît comme une évidence, du look des deux amants, très proche des héros de True Romance, à ce meurtre bien sanglant commis à l’arrache qui les oblige à se lancer dans un nettoyage de l’extrême (comme Vincent et Jules dans Pulp Fiction), cette danse d’Alyssa qui rappelle celle de Mia Wallace, les discussions dans les diners américains, la séquence hystérique à la station essence (Une nuit en enfer)…
Toute l’esthétique de la série nous renvoie au cool tarantinesque, sans parler de l’utilisation décalée d’une playlist rétro-rock parfaite (les plus attentifs y entendront la frenchie Françoise Hardy) et des références à la pop culture moderne (“Pourquoi tu me parles comme si on était dans Downton Abbey ?“, lance Alyssa à son inutile de mère). Mais The End of the F***ing World n’est pas juste un plagiat rajeuni (les héros n’ont plus la trentaine bien tassée mais moins de 20 ans) de l’univers du cinéaste américain. On s’attache rapidement aux deux tourtereaux névrosés, Alyssa et James, interprétés avec une fraîcheur désarmante par Jessica Barden (The Lobster) et Alex Lawther (Black Mirror).
True Romance
Adaptée du roman graphique de Charles S. Forsman par Jonathan Entwistle, nouveau venu dans le monde des séries, End met aussi brillamment en scène le mal-être adolescent, les relations conflictuelles avec les parents et la quête identitaire, qui passera par le sentiment amoureux. Au fil des épisodes, on s’éloigne du cynisme de façade pour creuser la psychologie de personnages pas épargnés par la vie malgré leur âge : James a subi un traumatisme enfant qui l’a coupé de ses émotions quand Alyssa vit avec un beau-père au comportement inapproprié et une mère dépassée, qui ne la protège pas. Si la rencontre de ces deux solitudes tourne en surface à la catastrophe, c’est parce qu’ils grandissent ensemble et comprennent ce qu’ils ne veulent pas être au fur et à mesure de leurs erreurs expériences.
Au bout de ces 8 épisodes d’une vingtaine de minutes, on est tombés autant amoureux de cette série que James d’Alyssa. Car The End of the F***ing World, c’est aussi ça, une improbable et touchante histoire d’amour. Désespérés au début de la série, les deux ados vont mine de rien construire une véritable relation, basée sur la confiance, une notion qu’ils avaient chacun abandonnée. Voilà longtemps qu’on n’avait pas vu une romance entre deux jeunes aussi déglinguée que positive, puisqu’ils se rendent meilleurs l’un l’autre. À contre-courant de la plupart des séries mettant en scène des adolescents, la connexion entre James et Alyssa n’est pas basée sur une attirance physique irrésistible (même si le désir est là), mais sur le fait d’être à l’écoute et de prendre soin l’un de l’autre. D’ailleurs, au moment de passer à l’acte sexuel, la jeune femme se ravisera, venant de subir un traumatisme récent qui l’empêche de prendre un plaisir total. James accepte sans broncher de remettre ça à plus tard. Car là n’est pas l’important. La maladresse des baisers mi-fougueux mi-malaise entre les deux est aussi là pour le rappeler.
Le road trip de nos deux tourtereaux en plein chamboulement émotionnel est pavé de rencontres pittoresques, et donc de personnages secondaires hauts en couleur, à commencer par le père biologique d’Alyssa, un redneck truculent, mi-bobo mi-dealer, incarné par Barry Ward. On pense aussi au duo de détectives, incarnées par Gemma Whelan (coucou Yara de Game of Thrones !) et Wunmi Mosaku, dont la relation est assez creusée pour être intéressante et déjouer les clichés.
On ne voit pas le temps passer durant ces huit épisodes d’une vingtaine de minutes. Et pour une fois, il faut bien avouer que ce format en mini-série est un peu une arnaque. Un poil resserré, The End of the F***ing World aurait fait un super film de 2 h 30 sur Netflix, comme l’explique très bien AV Club. Le découpage en épisodes n’apporte en effet rien de plus. Et puis, quitte à jouer les avocats du diable, je pense qu’End aurait eu de plus grandes chances de rester ce one shot miraculeux sous forme de film. Format sériel et succès obligent, il se murmure qu’une saison 2 pourrait voir le jour. J’espère très fortement qu’il n’en sera rien et que la fin de ce Thelma et Louise adolescent restera cette ultime scène du huitième épisode, aussi bordélique et sujette à interprétation qu’incroyablement libre et poétique.
Les huit épisodes de The End of the F***ing World sont disponibles sur Netflix (coproduction avec Channel 4).