Annoncée de longue date sur Disney+ avant de changer de diffuseur, la série dérivée du film Love, Simon (lui-même basé sur le roman Simon vs. the Homo Sapiens Agenda écrit par Becky Albertalli) a finalement été mise en ligne par Hulu le 17 juin dernier. Love, Victor se situe dans la continuité du long-métrage de Greg Berlanti, sorti en 2018 et qui mettait en scène les aventures de Simon Spier, lycéen au placard, dont la relation épistolaire par mail avec un certain Blue allait l’aider à faire son coming out auprès de sa famille et de ses amis. Voire même de vivre une grande histoire d’amour. Cette première romance ado gay soutenue par un studio hollywoodien majeur (20th Century Fox) fut un vrai succès critique et public, le film ayant coûté environ 10 millions de dollars pour des recettes s’élevant au global à 66 millions de dollars. La société était enfin prête pour une comédie romantique queer, saluée pour son inclusivité et son message important sur l’acceptation de son orientation sexuelle. Pas étonnant donc qu’un projet sériel ait été mis en chantier, d’autant que son réalisateur, Greg Berlanti, lui-même gay, vient du monde des séries et a bossé notamment sur Dawson.
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Showrunnée par les scénaristes du film, Isaac Aptaker et Elizabeth Berger, la série reprend après les événements du film, dans la même banlieue d’Atlanta, en Georgie. Simon a pris son envol et vit désormais à New York : il commence à échanger par Instagram avec un nouveau lycéen, Victor Salazar, qui a visiblement besoin de ses conseils. Venu tout droit du Texas, notre nouveau héros vient d’emménager avec sa famille – des parents qui s’engueulent un peu trop souvent, une sœur ado au bout de sa vie et un petit frère adorable. Il débute sa scolarité à Creekwood High School, et se retrouve tiraillé entre une famille d’origine latinx plutôt conservatrice et portée sur la religion, un crush instantané pour un jeune lycéen rencontré dans un café, une envie désespérée de s’intégrer à son nouvel univers, et un questionnement sur son orientation sexuelle. Est-il gay, bi, pansexuel ?
©Hulu
Tout en se plaçant dans le même univers que le film et en gardant son essence (une ouverture d’esprit, un filtre chaleureux, un peu cheesy mais si réconfortant), Love, Victor se différencie d’emblée de son modèle en choisissant de se centrer sur un personnage racisé, pour lequel il est plus dur encore de sortir du placard. Si Simon avait peur de la réaction de ses parents, imaginez un peu Victor, dont le papa fait régulièrement des réflexions homophobes sans en avoir vraiment conscience. Mais le message est clair pour le jeune homme : dans sa famille, si l’homosexualité est éventuellement acceptée, ce sera chez les autres. Ajoutez à cela un besoin de s’intégrer dans son lycée, sentiment normal pour un ado, mais qui peut devenir obsessionnel pour un ado racisé et potentiellement queer (à qui l’on fait comprendre de mille façons différentes qu’il ne correspond pas à la normalité) et vous obtenez un jeune homme dont le sourire constant et l’humeur en apparence égale masquent tout ce qu’il ressent, devenu maître dans l’art de refouler ses sentiments.
Ainsi, la série aborde la question de l’orientation sexuelle de façon un peu différente du film. Victor veut tellement être normal qu’il se persuade pendant une bonne partie de la saison d’une potentielle bisexualité, débutant une relation avec une jeune femme, Mia (Rachel Naomi Hilson), qui tombe sous son charme. Impossible de ne pas penser à la relation entre Joey et Jack dans la saison 2 de Dawson’s Creek. Dans les deux cas, Jack et Victor accrochent avec une jeune fille sensible, avec laquelle ils se sentent bien, mais finissent par réaliser qu’ils n’ont aucune attirance physique pour elle. Et nos deux jeunes hommes en quête d’eux-mêmes passent aussi par la case bisexualité avant de comprendre qu’ils sont homosexuels. Voilà un parcours qui ne va pas faire avancer la cause des personnes bi, mais qui n’en est pas moins le reflet d’une partie de la réalité. Beaucoup de jeunes hommes passent en effet par cette éventualité moins effrayante, avant d’assumer complètement leur orientation sexuelle. Pour éviter d’invalider la bisexualité, une scène montre Victor effectuant des recherches et réalisant que “la sexualité est un spectre”.
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La sexualité a beau être un spectre, dans la banlieue de Creekwood, on est apparement soit gay, soit hétéro. Et c’est un peu ce qu’on peut reprocher à la série, qui se situe à mi-chemin entre Dawson – ce petit côté feel good, la justesse des émotions, ses épisodes formatés pour un network, cette impression d’être malgré tout dans un cocon où les cœurs ne sont jamais vraiment brisés – mais n’atteint pas la modernité et la queerness d’un Sex Education. À part peut-être dans l’un des meilleurs épisodes de cette première saison, ironiquement appelé “Boys’ Trip”, dans lequel Victor rejoint Simon, Bram et leurs colocataires queer à New York, découvrant ce à quoi une vie hors du placard peut ressembler (et pour nous, ce à quoi une saison 3 ou 4 de Love, Victor pourrait ressembler).
D’un autre côté, si la série reste timorée sur la représentation des sexualités et ne réinvente pas la roue du genre ado (on retrouve les archétypes du pote weirdo amoureux d’une fille en apparence superficielle, le sportif bully ou encore la petite sœur insupportable), elle a en revanche le grand mérite de proposer des personnages racisés dans des rôles principaux, là où l’écrasante majorité des teen shows (coucou Riverdale) s’obstine encore à en faire des sidekicks ou des protagonistes de seconde zone. Et cela change le ton de la série et ses enjeux : on évolue dans les baskets d’un Victor, qui s’accroche à ses mensonges car sa famille fonctionne aussi ainsi. Qui est terrorisé à l’idée d’effectuer son coming out face à un père qui reproduit les comportements homophobes du grand-père.
Sa correspondance numérique avec Simon ne fonctionne plus, comme dans le film, sur un terrain amoureux, mais amical. Elle nous permet de comprendre les prises de tête de notre jeune héros, qui tente tant bien que mal de justifier ses choix (pour le coup, un peu comme Simon) : celui d’explorer sa relation avec Mia, de repousser son coming out, de continuer à mentir quitte à blesser ses proches… Avant que finalement, son château de cartes intérieur ne s’écroule dans une fin de saison plutôt cool et de bon augure pour la suite, la série prouvant qu’elle ne veut pas jouer avec le coming out de Victor pendant plusieurs saisons. Destinée d’abord à Disney+, cette première saison reste un peu trop formatée et prévisible, mais globalement réussie pour les amateur·ice·s de teen shows bienveillants, et on en a besoin ! La deuxième saison (que l’on appelle de nos vœux) devra, à l’image d’un Victor en pleine acceptation de lui-même, se montrer un peu moins lisse pour remporter une totale adhésion.
Pour le moment, Love, Victor n’est malheureusement pas disponible en France.