La nouvelle série de CBS All Access retrace la vie insolite de Jack Parsons, un chimiste américain qui rêvait d’envoyer une fusée dans l’espace dans les années 1940.
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La plateforme CBS All Access a réussi son entrée dans le game des séries avec le spin-off de The Good Wife et le retour de la saga Star Trek sur le petit écran. Cet été, elle lance un programme original qui l’est aussi dans son pitch : un biopic sur John Whiteside Parsons, aka Jack Parsons, un chimiste et ingénieur spatial qui avait pour ambition de propulser une fusée dans l’espace et pourquoi pas faire marcher l’homme sur la Lune.
La série s’ouvre dans le Los Angeles des années 1940 où Jack bosse en tant qu’intérimaire dans une entreprise de produits chimiques. Issu d’un milieu très modeste, embarqué dans une relation amoureuse qui bat de l’aile, le jeune homme passe la majeure partie de son temps à rêver des étoiles et de la Voie lactée. Auprès de son ami mathématicien Richard Onsted, il cherche à révolutionner l’aérospatiale en créant une fusée capable de s’élever au-dessus de l’atmosphère.
Ses petits projets sont mis à mal lorsqu’un étranger s’installe dans la maison d’à côté. Solitaire, renfrogné, mystérieux et sûrement dangereux, Ernest Donovan fascine pourtant Jack. Son voisin réveille en lui de vieux fantasmes refoulés, alors que le chimiste rêvait de sciences occultes, de rituels magiques et sexuels et même de sacrifice humain pendant son enfance… Petit à petit, Jack va quitter la galaxie pour la religion de Thelema fondée par Aleister Crowley.
It’s not rocket science
Singulière et authentique, la narration de Strange Angel joue un jeu constant d’équilibriste. Pour être plus précis, le découpage de l’intrigue se divise en deux grandes parties : la vie de Jack à Caltech, où il forme une équipe pour construire sa fusée, et ses pulsions intérieures qui remontent au contact d’Ernest. Dès le début de la saison, on s’attend à ce que l’une prenne le pas sur l’autre, quitte à enfermer Jack dans une spirale infernale. Il en découle une intrigue prenante, entraînante et rythmée, même si une forme inavouée de voyeurisme nous pousse à nous fasciner davantage pour les orgies sexuelles de la secte de Thelema.
Il faut dire que les génies comme Jack Parsons, et leurs vies extraordinaires, fascinent le petit écran actuellement. Il n’y a qu’à voir l’anthologie Genius de National Geographic qui décrypte le talent mais aussi les faiblesses intérieures d’Albert Einstein et Pablo Picasso. Le jeune ingénieur spatial de Strange Angel n’échappe pas à la règle : on prend plaisir à découvrir ses ratés et ses réussites, le tout bien aidé par l’interprétation enjouée de Jack Reynor (Macbeth), même si sa partition est parfois parasitée par quelques gimmicks de jeu agaçants (on met les mains sur les hanches et on fronce les sourcils quand on n’est pas content).
Dans ces séquences de voyage initiatique, la narration semble suivre le schéma progressif du super-héros : la découverte de son talent, l’entraînement, la formation d’une équipe, l’échec puis la consécration qui arrivera bien plus tard. Le showrunner Mark Heyman (Black Swan) et ses scénaristes en tirent un récit très classique dans sa forme, mais dynamique et haletant. Ces passages traînent parfois en longueur (il faut encore se coltiner des épisodes de 50 minutes, sale habitude la Peak TV) et génèrent quelques scènes soapesques laborieuses, plus captivantes quand elles virent au drame érotique où Jack révèle sa personnalité duelle.
Et justement, les passages en lien avec la religion de Thelema sont un peu plus flamboyants. La raison de ce succès réside principalement dans l’interprétation habitée et passive-agressive de Rupert Friend (Peter Quinn dans Homeland), qui a tendance à cabotiner mais se révèle excellent dans son rôle de mentor diabolique. Par ailleurs, on trouve dans ces séquences mystiques quelques fulgurances visuelles, de belles trouvailles esthétiques (notamment la scène du pilote sur les samouraïs japonais, d’un rouge aussi sensuel que menaçant) qui font immédiatement penser aux indétrônables Bryan Fuller (American Gods) et Noah Hawley (Legion), rois du weird de cette décennie télévisuelle.
L’autre belle surprise de Strange Angel, c’est sa qualité de production et de reconstitution. La série nous replonge dans l’atmosphère industrielle et mécanique des années 1940, période d’après-guerre marquée par ses horreurs mais aussi d’importantes innovations technologiques. Les maquettes de fusées sont époustouflantes, les explosions très réalistes et une attention particulière a été accordée aux costumes, en particulier lors des scènes occultes où le clin d’œil à Eyes Wide Shut est assumé.
On retrouve d’ailleurs derrière la caméra le réalisateur David Lowery, fort de son expérience avec A Ghost Story, qui apporte sa patte à l’ensemble de la mise en scène. Son style visuel très feutré et ses influences piochées de manière flagrante dans l’univers des comics font de Strange Angel une sorte de rêverie, comme une trace palpable des fantasmes de Jack Parsons. Le monde entier est contre lui (ça se ressent visuellement donc), mais son optimisme sans borne lui permettra de dépasser les mœurs et l’angoisse d’après-guerre de l’époque. Le tout est délicieusement enveloppé dans les compositions de Daniel Hart (SMILF, L’Exorciste), complètement lunaires, avec une touche de folk et des sons stridents pour les séquences plus horrifiques.
Au fond, Strange Angel est un slow burner qui retrace une “success-story américaine” comme on l’a déjà vu des milliers de fois, mais son twist occulte rend l’intrigue captivante. Après quelques épisodes, on peut lui reprocher de seulement toucher du doigt certaines problématiques de l’époque (la répression, l’arrivée des baby-boomers, le retour de la religion au centre du foyer…), sans jamais vraiment s’attaquer au vif du sujet, mais le spectateur peut aussi se laisser porter par cette chronique de la vie qui parle finalement d’optimiste et de dépassement de soi.
En France, la saison 1 de Strange Angel reste inédite.