Quand on a appris que Greg Daniels et Steve Carell, deux monuments de la comédie — le premier pour avoir showrunné The Office, version US, et le second pour en avoir été la star — joignaient de nouveau leurs forces pour une série Netflix, on était aux anges. Ajoutez à cela un casting trois étoiles composé de John Malkovich, Lisa Kudrow et Ben Schwartz, c’en devenait presque trop beau pour être vrai. Space Force, lancée ce vendredi 29 mai sur la plateforme, n’a hélas pas comblé toutes nos attentes.
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Le général Mark Naird (Steve Carell) est promu à la tête d’une nouvelle branche de l’armée américaine, dernière lubie en date du président : la Space Force. Il a la lourde tâche d’envoyer des Américains sur la Lune, avant que la Chine ne les devance. “Boots on the moon !” est désormais son mantra. En plus de l’équipe de bras cassés qui l’entoure dans son nouveau job, et d’un scientifique en chef, Adrian Mallory (John Malkovich), qui lui met des bâtons dans les roues, il a aussi la responsabilité de sa fille Erin (Diana Silvers), en pleine rébellion, depuis que sa femme Maggie (Lisa Kudrow) est en prison.
Space Force a beaucoup de potentiel, mais a aussi, et c’est le cas pour bon nombre de comédies, un problème d’identité. Une malédiction qui a frappé quelques comédies cultes avant elle, comme Community ou Parks and Recreation (co-créée par Greg Daniels). Personne ne saurait renier leurs immenses qualités aujourd’hui, mais beaucoup ont oublié à quel point leurs saisons 1 respectives étaient en dessous du niveau des suivantes. Car bien souvent, c’est le temps qu’il leur a fallu pour trouver leur ton, leur rythme, bref, pour se trouver. C’est tout le bien qu’on souhaite à Space Force, qui, loin d’être dénuée d’intérêt, reste assez anodine. Drôle par moments, plus ordinaire à d’autres, elle ne semble jamais vouloir aller à fond dans un sens et maintenir son cap.
Elle est, par exemple, parsemée de clins d’œil à l’actuelle administration Trump… sans jamais nommer le 45e président des États-Unis. Tony Scarapiducci (joué par Ben Schwartz, et assez proche de son rôle de Jean-Ralphio dans Parks and Rec), dandy qui tweete plus vite que son ombre et qui fait tâche dans l’univers rigide de l’armée, est un pastiche d’Anthony Scaramucci, l’ancien (et très éphémère) directeur de la communication de la Maison-Blanche. On croise aussi une certaine Anabela Ysidro-Campos (Ginger Gonzaga), qui passe au grill le général Naird lors d’une audition est, elle aussi, la parodie d’une personnalité bien connue de la politique américaine : la congresswoman Alexandria Ocasio-Cortez.
Mais en refusant de nommer Trump — sans qui la série n’aurait jamais existé puisque c’est lui qui a ordonné la création de la Space Force, ce qui est d’abord présenté comme une mauvaise blague dans le premier épisode — la comédie de Greg Daniels se tient à bonne distance de la politique. Un choix curieux puisque, entre critique du patriotisme et bons sentiments, elle s’attache aussi à gentiment dénoncer le système parfois kafkaïen qu’est l’armée américaine et son commandement. Space Force n’ose pas jouer à fond la carte de la satire et cette demi-mesure lui coûte.
© Netflix
Son meilleur atout, c’est le duo formé par Steve Carell et John Malkovich, improbable mais délicieusement efficace (et le seul à pouvoir nous arracher quelques sourires), tant les performances des deux acteurs sont aux antipodes. Space Force se nourrit de ce tandem et n’est jamais aussi drôle que quand elle joue sur le terrain de l’humour absurde et de la “workplace comedy” où tout fout le camp, plutôt que lorsqu’elle prend un ton plus emprunté et cherche à être inspirante. Ce genre bien spécifique, dont les sériephiles connaissent les codes, est le bac à sable privilégié où prospèrent des scénaristes de la trempe de Greg Daniels.
Naird est un père absorbé par son travail et ses responsabilités, et son patriotisme et son sens du devoir passent bien souvent avant le bien-être de sa fille. Mais rassurez-vous, dans une fin cousue de fil blanc, l’amour paternel triomphe ! Ce personnage, que l’on a l’impression d’avoir vu mille fois dans des sitcoms, ne doit son salut qu’à l’interprétation de Steve Carell (pourtant dans la retenue par rapport à ses précédents rôles comiques) et au gigantesque bordel qui l’entoure.
© Netflix
Car la force des “workplace comedy” tient tout entière dans ce concept très simple : un bureau ou un lieu de travail, et des personnes totalement incompétentes qui gravitent autour d’une personne sensée mais pas forcément plus efficace (celle qui sert de produit de contraste, en somme, et à qui on est supposé s’identifier). Greg Daniels n’est certes pas l’inventeur du genre, mais il en est incontestablement le gardien du temple depuis qu’il a showrunné la version américaine de The Office (avec Steve Carell dans le rôle-titre) et cocréé, avec Michael Schur, Parks and Recreation. On a pourtant du mal à retrouver le charme ou l’écriture acérée de ses gloires passées dans Space Force.
Ironiquement, on a pu récemment constater la même baisse de régime chez un autre maître du genre, Armando Iannucci. Ce dernier nous a offert des monuments d’humour avec The Thick of it et Veep, mais nous a récemment livré la sympathique mais tiède Avenue 5. Nos grands showrunners comiques, parmi les meilleurs de leur génération, ont-ils du plomb dans l’aile à une époque où, pourtant, le milieu de la comédie se délecte des frasques présidentielles ? Space Force est drôle (timidement), parfois touchante, mais elle manque aussi de punch là où on espérait, avec l’association Greg Daniels/Steve Carell, un triomphe d’humour caustique. On lui souhaite le même sort que Parks and Rec et Community et, ainsi, de trouver son rythme de croisière en saison 2 si elle est renouvelée.
La première saison de Space Force est disponible dès maintenant sur Netflix.