<em>Skam France.</em> (© France TV Slash)
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Quand on évoque la notion de série ado, les premiers exemples qui viennent à l’esprit sont, la plupart du temps, des productions made in USA. Ce sont souvent les mêmes décors (les couloirs labyrinthiques jalonnés de casiers), les mêmes personnages (le geek, le sportif, la mean girl et j’en passe), les mêmes retournements de situation qui n’en sont pas… Aux antipodes de ces fac-similés américains, il y a Skam, la réponse norvégienne à ce genre sériel parfois redondant. On en parlait déjà en décembre 2016, mais on était alors loin d’avoir atteint le point culminant du phénomène.
On rembobine. À l’origine de Skam, il y a sa showrunneuse, Julie Andem, qui, sans en avoir pleinement conscience, a révolutionné le teen drama tel qu’on l’a connu jusqu’ici. Plutôt que de suivre la série de façon épisodique, celle-ci adopte un mode de diffusion atypique. Tout au long de la semaine, des petits clips vidéo sont mis en ligne en temps réel : grosso modo, si un personnage se rend à une fête le samedi à 22 h 34, alors une vidéo sera publiée à cet horaire exact. Chaque protagoniste est, en prime, présent sur les réseaux sociaux, avec photos et stories à l’appui. Un procédé de diffusion immersif, qui brouille volontiers la frontière entre fiction et réalité.
C’est ainsi que, dès le 25 septembre 2015, le public norvégien fait connaissance avec une bande d’ados, tous inscrits au lycée Hartvig Nisssen d’Oslo. On les suit entre deux cours, dans leur chambre ou bien à une soirée, légèrement alcoolisés. D’abord confidentielle, la série prend petit à petit son envol et commence à fédérer une fan base. Cette dernière devient internationale surtout à partir de la saison 3, centrée sur la formation d’un couple homosexuel, et c’est là que tout a pris des proportions incroyables.
Une success-story internationale
Le contenu du Skam norvégien étant géobloqué (pour des raisons de droits sur les musiques utilisées, entre autres), les fans contournent la loi pour suivre les tribulations quotidiennes d’Eva, Noora, Vilde et les autres personnages de la bande. Les clips journaliers sont partagés sur YouTube comme sur Tumblr, et sont bien entendu agrémentés de sous-titres faits maison. Des montages se propagent sur la Toile, les comptes de fans sur les réseaux sociaux prolifèrent. La sentence est irrévocable : Skam est un hit, et pas seulement dans son pays d’origine au vu de son impact à l’échelle globale.
© NRK
Mais alors, au-delà de son mode de diffusion transmédia, comment expliquer ce succès inattendu ? “Skam s’attaque à des thèmes très importants et diversifiés relatifs à l’adolescence d’une façon très simple, facilement compréhensible et sans aucun artifice”, nous explique Greta, 20 ans, d’origine italienne, fan autoproclamée de la série. Et Falee, également 20 ans mais habitant en Indonésie, de surenchérir : “Les personnages sont attachants, et pourtant, ils ont quand même des défauts. Ils disent des choses parfois offensantes et on le leur fait remarquer. Mais bon, ce sont des ados ! Ils font des erreurs et ne comprennent pas tout du premier coup, et ça, c’est réaliste”.
En quatre saisons, la série scandinave n’aura pas fait la timide, parlant aussi bien d’agression sexuelle et d’homosexualité que de santé mentale ou encore de religion. Chacune de ces thématiques est à chaque fois explorée avec beaucoup de bienveillance, une vertu que la franchise Skam brandit en porte-étendard. Car oui, il est bel et bien question de franchise : en juin 2017, le show norvégien s’est éteint, sur décision de sa créatrice, mais une kyrielle de remakes ont commencé à germer un peu partout, sur le continent européen essentiellement mais aussi outre-Atlantique.
Alt er love
En 2018, pas moins de sept adaptations ont vu le jour, que ce soit en Italie (avec Skam Italia), aux States (avec Skam Austin) ou encore chez nos voisins germaniques (avec Druck). Dans notre Hexagone, on a misé sur Skam France, réalisée par David Hourrègue et dont la troisième saison est actuellement à mi-parcours. À peu de choses près, chaque mouture étrangère garde une trame similaire à l’original. Il en est de même pour les personnages, qui ne varient que légèrement. Pour autant, la fan base de Skam n’a pas rechigné devant ces remakes et les a accueillis à bras ouverts.
“Certains peuvent dire que je regarde la même chose encore et encore, mais je ne pense pas que ça soit le cas, avance Mariana, 17 ans, vivant en Argentine. Dans chaque version, tu apprends quelque chose sur la culture du pays.” En effet, les nuances existent au sein de chaque remake, qui s’adapte aux mœurs du pays associé. Un exemple ? Dans la version francophone, Imane, le personnage musulman de la série, enlève son voile dans l’enceinte du lycée, comme l’exige la loi relative au respect de la laïcité dans le milieu scolaire.
<em>Skam Italia</em> (© TIMvision)
“Mais si on met toutes ces différences culturelles de côté, je pense que ce qu’on ressent et ce qu’on traverse à cet âge-là est universel”, précise Martina, 24 ans, elle aussi originaire d’Argentine et mordue de Skam et ses multiples versions. Tous les sujets, des plus anecdotiques aux plus délicats, que la série aborde, elle le fait avec une grosse dose de bienveillance. Ici, les différences rassemblent plus qu’elles ne divisent. L’acceptation de soi mais aussi d’autrui sont les valeurs prônées par la franchise Skam, et ce sont elles qui ont indéniablement contribué au succès planétaire de la série.
C’est un constat d’autant plus valable dans certaines zones du globe, où ces valeurs-là ne sont pas aussi démocratisées que ce qu’on aimerait. Victoria, 20 ans, se confie :
“Dans mon pays, les séries ne communiquent pas avec les adolescents sur des sujets socialement importants, et surtout pas sur l’acceptation relative à l’orientation sexuelle. On n’aura jamais de Skam Russia parce que, malheureusement, on a une loi qui interdit la propagande LGBT. Si tu es gay et né·e en Russie, ça risque de mettre en colère tes parents.
Être un ado LGBT dans mon pays est difficile. Et quand tu tombes sur une série où le personnage principal te ressemble beaucoup, tu t’identifies à lui. Tu comprends que tu n’es pas seul·e. Tu comprends que ton orientation ne fait pas de toi quelqu’un d’étrange. C’est pour ça que Skam fonctionne si bien, je pense.”
Toujours très active sur les réseaux sociaux, la communauté Skam est, en quelque sorte, le prolongement des valeurs positives promues par la série originale et ses émules. “C’est comme une petite zone protégée où personne ne va te juger”, atteste Jojo, 18 ans. Les fans se soutiennent, s’écoutent, se conseillent et s’entraident.
<em>Druck.</em> (© ZDF)
Dans le cas de Skam France, les plus bilingues prennent soin de sous-titrer les séquences vidéo disponibles sur YouTube afin que leur contenu soit accessible pour celles et ceux ne comprenant pas la langue de Molière. Dans la section commentaires, c’est l’effervescence à chaque nouveau clip où l’on croise Lucas et Elliot, les protagonistes de la saison 3. Leurs interprètes, Axel Auriant et Maxence Danet-Fauvel, reçoivent en permanence des pluies de messages. D’encouragements, de félicitations, mais aussi de remerciements pour porter un message de tolérance aussi fort.
Le Skam norvégien s’est retiré après quatre saisons à l’antenne de la NRK sans demander son reste. Pour l’heure, les chances pour que ses remakes aillent au-delà en termes de storytelling sont maigres. Pourtant, la franchise mérite de perdurer, un peu comme Degrassi a pu le faire chez nos amis canadiens, bravant les années pour toujours se renouveler et parler de la société à un public adolescent. On s’arrêtera volontiers sur le mantra de Skam : “Alt er love”, soit “tout n’est qu’amour”. Une façon simple et efficace de résumer les valeurs véhiculées par cette série à la puissance inattendue.