Bryan Elsley et Jamie Brittain ont passé sept ans à renouveler le genre de la série pour ados. Aux antipodes des teenagers friqués de Beverly Hills, Skins mérite d’être reconnue à sa juste valeur.
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En janvier 2007, la chaîne britannique E4 lance Skins, cet ovni sériel qui a initialitement déstabilisé une partie des critiques pour mieux les conquérir par la suite. Entre drame existentiel et humour british, elle s’est frayée son chemin jusqu’au panthéon des séries cultes.
La jeunesse comme on ne l’a jamais vue
Un nombre incalculable de fictions du petit écran s’est adonné au traitement de l’adolescence, avec plus ou moins de justesse. Skins peut indéniablement prétendre au top du classement. Avec sept saisons au compteur, au niveau discutable, Skins nous plonge dans les vies d’un groupe d’ados habitant Bristol. Rythmés par des beuveries qui dégénèrent et la découverte de leur sexualité, les quotidiens de ces jeunes sont à la fois insolites et empreints d’une authenticité qui est encore aujourd’hui dure à égaler.
Chris, le junkie au grand cœur. Cook, le bagarreur solidaire. Mini, la peste en manque de reconnaissance. Avec leurs vertus comme leurs failles, les multiples personnages de la série ne sont jamais unidimensionnels. Le duo gagnant de créateurs, Bryan Elsley et Jamie Brittain, s’est clairement impliqué à fond pour leur accorder une profondeur inédite. A contrario des teen shows à l’américaine, la psychologie des protagonistes est passée au crible avec une subtilité qui fait du bien. Les relations développées tout au long des épisodes sonnent juste, qu’elles soient amicales ou amoureuses. Car c’est aussi ça, Skins : les premiers émois, l’exploration de soi et toutes ces thématiques trop souvent survolées qui demeurent propres à l’adolescence.
Et pour être au plus près de ces sujets, les showrunners ont fait appel à de jeunes scénaristes, tant et si bien que la moyenne d’âge de la writer’s room ne dépassait pas les 21 ans en moyenne. Un des acteurs du show, Daniel Kaluuya (il incarnait Posh Kenneth dans les saisons 1 à 3), a même été scénariste. Skins faisait aussi appel régulièrement à de “jeunes consultants”. Car pour bien écrire sur les jeunes, le mieux c’est encore d’en être un. Jamie Brittain a même organisé des concours d’écriture pour dégoter de nouvelles plumes à la writer’s room de Skins.
Au-delà d’un panel de personnages hauts en couleur, le show se dote d’une atmosphère personnelle, indubitablement associée à son origine britannique. On a beau mettre sur un piédestal les séries américaines, les productions du Royaume-Uni ont ce petit je-ne-sais-quoi qui les distingue de la masse. Skins ne fait pas exception à la règle, avec une réal soignée et des couleurs qui vont de pair avec les émotions des différents protagonistes. Une bande-son hétéroclite vient agrémenter le tout, entre morceaux urbains et musique indie omniprésente.
La série adapte le concept de l’anthologie à sa façon. Toutes les deux saisons (chacune composée d’un nombre d’épisodes variable entre 8 et 10), le casting change et laisse sa place à une nouvelle édition flambant neuve d’ados. Leurs problèmes, eux, restent tout aussi percutants et continuent de nous captiver. Ce système générationnel permet aux créateurs de s’attaquer à une plus grande diversité de sujets. Anorexie, addiction aux drogues, homosexualité, religion, dépression… Skins n’a jamais eu peur de s’attaquer à des problématiques délicates voire taboues.
Ces storylines sont portées à l’écran grâce à des interprètes remarquables. D’ailleurs, pour ces derniers, la série a représenté un tremplin pour leurs carrières. Hollywood a trouvé une place pour une poignée d’entre eux, à l’instar de Jack O’Connell (Cook), vu récemment dans Money Monster aux côtés de George Clooney et Julia Roberts. De leur côté, Kaya Scodelario (Effy) se la joue aventurière dans la saga dystopique Le Labyrinthe et Nicholas Hoult (Tony) campe le Fauve dans les longs-métrages X-Men. D’autres, comme Hannah Murray (Cassie) et Joe Dempsie (Chris), se sont retrouvés dans le hit de HBO, Game of Thrones. Si les teenagers de Skins ont fait du chemin, leurs personnages résonnent encore dans nos cœurs de sériephiles.
La scène culte
En une minute et quelques secondes montre en main, cet extrait complètement épileptique représente bien l’essence même du show. Des groupes éclectiques de gens qui shakent leur booty, verres alcoolisés à la main. Des inconnus qui se galochent sous la lumière bleutée des néons (techniquement, c’est plutôt des guirlandes bon marché). Le tout est filmé dans un style en fish-eye, pour nous immerger dans cette nuit d’ivresse et de débauche.
Cette scène n’est finalement qu’un exemple parmi une multitude d’autres, chaque génération de Skins cumulant des soirées, toutes plus délurées les unes que les autres. La série puise d’ailleurs son titre,“skins”, de papiers de cigarettes à rouler. C’est son petit surnom anglais, mais le mot veut aussi dire “peau” et “écorché”. Un triple sens qui sied parfaitement à l’esprit de la série.
Ces fêtes innombrables et une tendance assumée à y allier alcool et drogues récréatives peuvent amener à se poser la question évidente : où sont les parents ? Qu’importe la saison, père et mère sont relégués au second plan, sans doute pour rester au plus près des jeunes. S’ils apparaissent par-ci par-là, on se souvient de la maman de Mini ou les parents Stonem, ils sont inévitablement dépassés par les événements et en total décalage avec la réalité. Les rares scènes parents-enfants sont souvent sources de rire nerveux. La force de la série s’est aussi imposée sur cet aspect-là, soit sa faculté à faire coïncider des thématiques engagées et osées avec des pointes d’humour bienvenues.
Il serait impensable de parler de Skins sans parler des fameuses “skins parties”. Au fur et à mesure que la série british gagnait en exposition, les ados se sont appropriés ce concept vieux comme le monde (faire la fête jusqu’à plus soif) pour créer un véritable épiphénomène. Se calquant sur les fêtes de Tony, Michelle et toute la clique, une vague de soirées a commencé à déferler en Europe, et aux États-Unis, alertant les médias. Celles-ci suivaient un principe de no limit où braver les interdits était un pré-requis pour réellement s’éclater. La renaissance du fameux “Sex, drugs and Rock and roll” en somme.
Les héritiers
Pas facile facile de succéder à une série de l’envergure de Skins. Ah si, les américains ont essayé de faire un copier-coller et se sont carrément plantés. Avec son nom pourtant si original, le Skins (US) accumulait les clichés et les lourdeurs. Le remake made in USA s’est même permis de remplacer le personnage homosexuel de Maxxie par une version girly, Thea. Elle commence le show par fricoter avec des filles et termine la saison dans les bras du Tony américanisé. Transformer un perso féminin en une hétéro subitement convertie, ce n’est finalement peut-être pas la recette du succès. Fort heureusement, cette erreur de parcours qu’est Skins (US) s’est éteinte presque aussi vite qu’elle est venue au monde.
En revanche, si aucune série n’est encore parvenue à réaliser cette peinture presque poétique de l’âge adolescent, d’autres ont essayé à leur manière. Le teen drama étant un genre de plus en plus difficile à vendre, certains ont décidé de le personnaliser en ajoutant un petit twist. Là où The Aliens et Misfits ont ajouté une touche de fantastique au quotidien des ados britanniques, Glue (écrite par Jack Thorne, un ancien de Skins) a préféré opter pour une ambiance sombre, dans la lignée de thrillers comme Broadchurch.
Ces dernières années, My Mad Fat Diary est restée discrète, bien qu’elle ne manque certainement pas d’ambition dans sa volonté de montrer le quotidien doux-amer d’une ado obèse. Encore plus récemment, la dernière série française d’OCS se positionne comme un Skins édulcoré. Avec des personnages touchants et des thèmes majeurs, sans le côté énervé et no limit de sa grande soeur, Les Grands propose une vision intéressante des collégiens français. Mais pour le moment, pas de souci à se faire : la réputation de Skins reste intacte et n’est pas près de s’estomper.