Terminer une série en beauté, c’est une sacrée pression. Mais il y a pire encore : terminer une série, ressuscitée par deux fois, dont la fin était déjà prévue avant d’être renouvelée pour une saison de plus (vous suivez ?). Une véritable purge, vous en conviendrez. L’exigence ultime étant de ne pas décevoir les fans de la première heure qui ont permis à Lucifer, puisque c’est d’elle qu’on parle, de durer aussi longtemps. Bref, on pensait qu’elle s’arrêterait après 5 saisons, on a eu du rab, et maintenant ? Maintenant on donne tout, on se lâche. C’est notre interprétation de ce qu’ont pu se dire les scénaristes lors de ces dix derniers épisodes. La saison 5 nous avait fait perdre la foi. La saison 6, imparfaite mais assez jouissive par moments, nous a réconcilié·e·s avec le Diable.
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Attention, si vous n’avez pas terminé la série, spoilers droits devant !
Lucifer, ayant vaincu son adversaire et jumeau Michael, était donc sur le point de devenir Dieu. Avant de commencer son nouveau job à responsabilités, il s’offre une dernière soirée (et enquête) sur Terre avec Chloe. Pour l’occasion, et vu que leur couple est plus officiel que jamais (enfin !), il se permet d’ailleurs de l’appeler par son nom plutôt que par son grade de “Detective”. On imagine aisément le casse-tête des personnes en charge des sous-titres qui appliquaient jusqu’ici le vouvoiement entre ces deux-là et ont dû passer brutalement au tutoiement en saison 6. Mais on s’égare… Au même moment, Maze et Eve préparent leur mariage, non sans passer par une petite phase de doutes bien légitimes, Dan est coincé en enfer et Ella commence à soupçonner que ses ami·e·s et collègues lui ont caché pas mal de trucs.
Amenadiel vient rappeler à son frère qu’il est attendu au Paradis, mais Lucifer n’est plus très sûr de vouloir du trône céleste. Il va donc s’efforcer de se prouver à lui-même et aux autres qu’il a changé, et qu’il est désormais un être plein de compassion pour son prochain. Il rend donc visite à l’un de ses suppliciés, Jimmy, le meurtrier d’une de ses amies (un gros clin d’œil au tout premier épisode) qu’il a condamné pour l’éternité. À son contact — et après un passage aussi gratuit que ridicule au format cartoon — il va découvrir que, non seulement il comprend pourquoi il est devenu ainsi, mais aussi qu’il a envie de l’aider dans sa rédemption. Et ça, c’est important pour la suite !
This is the end…
Le plus grand twist de cette saison, c’est l’arrivée de Rory dans la vie de Lucifer et Chloe. La jeune femme âgée d’une vingtaine d’années, mi-ange mi-humaine, est en fait la fille du couple… venue du futur pour engueuler son père qui les aurait abandonnées. Alors certes, l’affaire est carrément tirée par les cheveux — elle explique son voyage dans le temps par une soudaine décharge émotionnelle, mouais — mais elle a le mérite d’arriver à point nommé et de permettre à la série de boucler la boucle. Une grande question se pose alors : peut-on contourner le destin ? Lucifer va-t-il faire subir à Rory ce qu’il a toujours reproché à son père ? Peut-il devenir autre chose que ce qu’il a toujours été (adieu les orgies, bébé !) ? Cette saison apporte une réponse douce-amère à toutes ces interrogations mais, en chemin, nous martèle avec la subtilité qu’on reconnaît que tout le monde a droit à une seconde chance.
© Netflix
On a toutefois une confession à vous faire : ce n’est pas la fin que l’on retiendra de ces dix épisodes. Cette conclusion ultra-convenue qui établit Amenadiel en Dieu plein de miséricorde visitant les mortel·le·s de temps à autre, et Lucifer, de retour aux enfers, en thérapeute des âmes perdues, réuni avec Chloe après la mort de cette dernière, était un peu tiède. En revanche, on a aimé que la série joue son va-tout pour ce dernier baroud d’honneur, se lâche, tente des choses, se plante aussi parfois (vraiment, le cartoon, c’était gênant) bref, qu’elle s’amuse. Lucifer ne s’est jamais vraiment prise au sérieux durant ses cinq années d’existence, mais elle ne prenait que très rarement des risques.
Libérée de la pression d’un éventuel renouvellement, elle a regagné en audace. Même les moments de comédies, les petites répliques bien senties, frappent plus fort cette saison. Sans doute parce qu’ils n’ont plus rien à perdre ? Ou peut-être parce que nous n’attendions rien d’autre que de profiter de chaque instant qu’il nous reste en sa compagnie. L’humour semble en tout cas mieux fonctionner, sauf, peut-être, celui qui vise encore à ridiculiser ce pauvre Dan. On n’a, décidément, jamais ressenti l’amour des scénaristes pour ce personnage dont ils ont fait un bouffon niais et cible constante d’humiliations en tous genres. La seule exception à la règle fut ses adieux à sa fille, Trixie : un vrai moment de tendresse et une belle fin pour un personnage qui a tant morflé de la main de ses créateur·rice·s.
Sympathy for the Devil
Lucifer avait aussi des accents, très légers mais bien présents, un peu plus politiques qu’à l’accoutumée cette saison. On a ainsi eu droit à un épisode Black Lives Matter dans lequel Amenadiel, qui faisait son premier jour de patrouille dans la police en tant que bleu, découvrait que le système était pourri de l’intérieur. Ce remake de Training Day arrive tellement comme un cheveu sur la soupe qu’on a cru s’être trompé de série. Était-ce le backdoor pilot pour une série centrée sur Amenadiel, mi-ange mi-flic, qui résout des enquêtes ? Ou les scénaristes se sont-ils/elles soudain souvenu·e·s que ce dernier avait déjà eu affaire à un policier raciste par le passé ? Quoi qu’il en soit, cet épisode, en complet décrochage avec le reste de l’intrigue, n’était pas du meilleur effet et aurait pu être bien mieux intégré. Mais on sait que Lucifer rime rarement avec subtilité d’écriture.
Dans le même genre, la série a sorti de son chapeau un nouveau personnage, aussi vite arrivé que reparti, histoire de provoquer un peu de remous juste avant le mariage de Maze et Eve : Adam. Et il s’avère que le type est un méga beauf qui croit encore que sa promise lui appartient et roule des yeux quand celle-ci lui annonce qu’elle aime une femme. Les mots “masculinité toxique” sont lâchés, la case est cochée, et les scénaristes ont dû se faire une petite tape dans le dos pour célébrer un travail vite fait bien fait. Ce positionnement ultra-audacieux — “il y a un flic raciste et il est méchant et c’est aux flics noir·e·s de régler le problème, mais sans faire de vague” et “les mecs qui pensent que les femmes sont leur propriété, bouh c’est nul, les filles peuvent faire tout pareil que les garçons” — ce n’est, de toute façon, pas ce qu’on attend d’une série comme Lucifer.
© Netflix
Il est aussi un peu amer de constater que les scénaristes ont dû attendre la saison 6 pour qu’à la remarque d’Amenadiel “J’ai toujours supposé qu’à chaque fois que tu venais sur Terre tu faisais l’amour à une femme…”, notre diable lui réponde “Pas toujours avec une femme, mon frère” avec un sourire coquin. Lucifer est bi, ou pan, mais ça n’a jamais été verbalisé plus clairement que ça et c’est fort dommage. Ce n’est pourtant pas la faute de son interprète, Tom Ellis, qui jouait clairement la carte de l’ambiguïté depuis le début. À défaut de mieux, ce dialogue arrive comme une confirmation trop longtemps espérée mais comme on dit, mieux vaut tard que jamais.
Après tout, c’est la fin, on oublie les errances, les scripts mal ficelés, le manque total d’alchimie sexuelle entre Chloe et notre héros (excusez-nous mais les dernières heures que le couple vit ensemble, elle passe son temps à lui faire des bisous sur le nez et à ne pas savoir où mettre ses mains !), la frustration de savoir que cette série aurait pu aller tellement plus loin… On retiendra de ces cinq années le fun, les beaux sentiments (même s’ils ont souvent été délivrés à la truelle), les super personnages féminins et le très sexy Lucifer. Un vrai plaisir coupable comme on les aime !
Les six saisons de Lucifer sont disponible sur Netflix.