À l’occasion de cette rentrée des séries 2016, Cinemax vient de diffuser une petite pépite intitulée Quarry, une série aux qualités indéniables.
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Dans l’univers des séries actuelles, il y a des mastodontes qui conquièrent toute la planète à dos de dragons ou de démons d’un autre monde. Il y en d’autres plus intimistes, qui visent un public de niche et s’intéressent à des thématiques aussi sensibles que le post-humain ou la transidentité. Quarry fait partie de la seconde catégorie.
Nouvelle série de la rentrée sur Cinemax (la petite du groupe HBO qui vise un public masculin), Quarry a créé la surprise chez les sériephiles avertis. Annoncée (à tort) comme la nouvelle Banshee, elle est surtout une preuve éclatante de la qualité de certains diamants bruts en cette époque de Peak TV.
Si jamais vous êtes passés à côté de cette belle surprise sérielle, qui n’échappe pas à une comparaison avec Breaking Bad, voici cinq points pour vous convaincre de regarder le drama de la rentrée.
#1. Des personnages complexes
Conway et Jodi
Quarry peut compter sur un tandem renversant pour porter son intrigue : Logan Marshall-Green aka Mac Conway, et Jodi Balfour aka Joni, sa femme. Le premier se présente comme un personnage torturé, un vétéran de la guerre du Vietnam, qui souffre du trouble de stress post-traumatique. Il est en proie à de nombreuses hallucinations et à des crises de démence que Logan Marshall-Green extériorise de manière stupéfiante. Doté d’un physique à la Tom Hardy, en plus frêle, l’acteur est transcendant dans ce rôle d’anti-héros.
Conway est un paria au grand cœur qui a consacré une bonne partie de sa vie à se donner corps et âme pour défendre son pays. En guise de remerciements, il recevra seulement des insultes et une forme de stigmatisation de la part du peuple qu’il souhaitait protéger. Ce dernier ressent maintenant les effets pervers d’une guerre surmédiatisée. Pour les Américains, Conway symbolise l’esprit belliqueux qui rongeait les États-Unis dans les seventies, quand le pays commençait à se prendre pour les gendarmes du monde afin d’éradiquer le communisme.
L’anti-héros incarne le paradoxe d’une époque en pleine effervescence, marquée par des bouleversements culturels et politiques. S’il représente le yang, sa femme Jodi est le yin. Douce et fragile mais dissimulant un caractère bien trempé, Jodi est la parfaite opposition à Conway. Les deux forment un couple fort et complémentaire, qui s’aime autant qu’il se détruit. Au final, c’est leur relation qui est au centre de l’intrigue, puisque Conway commence à prendre conscience de son mal-être lorsque la vie de Jodi devient menacée.
C’est à travers leur vie de couple compliquée qu’on comprend au mieux les enjeux socio-économiques des années 1970 : la ségrégation raciale, le manque d’argent, la cruelle désillusion de la guerre du Vietnam, la victoire de Nixon qui approche… On vit ces événements avec eux, dans la plus grande intimité d’un ménage de l’époque.
Les personnages secondaires
Difficile de parler de personnages secondaires quand on voit à quel point les scénaristes de Quarry ont travaillé leur psyché. Deux d’entre eux sortent clairement du lot. Il s’agit de l’Agent (Peter Mullan, sobre mais charismatique), l’énigmatique leader qui engage Conway comme tueur à gages. Glacial, tordu mais d’une élégance à toute épreuve, il reste un mystère pour Mac et le spectateur.
Le second est Buddy, un personnage indescriptible et complètement déjanté. Impossible de savoir s’il est mentalement dérangé ou en pleine crise existentielle. Aussi stigmatisé que Conway, mais pour son orientation sexuelle, Buddy inspire la compassion. Il cherche continuellement à faire ses preuves auprès de l’Agent, tout en cherchant à s’en défaire. Au fond, il ressemble énormément à Conway : fragile et émouvant, mais capable de tuer de sang-froid quiconque se mettra en travers de son chemin. Ce combat intérieur entre le bien et le mal n’est pas sans rappeler celui qui animait Jesse Pinkman dans Breaking Bad. Le tandem Buddy/Conway nous évoque d’ailleurs celui formé par Walter et Jesse.
De nombreux personnages mineurs jouent un rôle prépondérant dans Quarry : le détective Olsen, la famille afro-américaine de Ruth, ou encore le très flippant Moses. La plupart du temps, ils bénéficient de sous-intrigues qui viennent s’intégrer judicieusement à l’arc principal. Ils symbolisent tous des paradoxes à leur manière. Celui de la désolation de la guerre mais de l’espoir d’un changement rapide via les nouvelles élections. Celui d’une époque souffrant toujours du racisme et de conflits géopolitiques mais qui voit éclore de nouvelles cultures et philosophies de vie, qui ouvriront l’esprit humain à plus de diversité. Finalement, on n’est pas si loin du monde contemporain.
#2. Une sublime photographie
À la manière de la première saison de True Detective, la réalisation de Quarry a été confiée à un seul homme : Greg Yaitanes. Un réalisateur qui a fait ses premières armes dans les séries les plus marquantes du début du XXIe siècle (Alias, Prison Break, Heroes, Lost, Dr House). Il était également à l’œuvre sur Banshee, en tant que producteur et réalisateur sur certains épisodes. Mais il faut bien reconnaître qu’avec Quarry, où il est le seul maître à bord en ce qui concerne la cinématographie, il s’est surpassé.
Ses plans oscillent aisément entre la sauvagerie des scènes d’action (cf. la scène d’intro et la scène finale près du Mississippi, d’une beauté mystique) et le calme de l’intimité de la vie de couple de Jodi et Conway. La caméra prend un malin plaisir à jouer avec l’émotion du spectateur, s’éloignant d’une séquence de fusillade pour brusquement suivre un des personnages au plus près, et capturer la tension.
Chacun de ses plans transpire d’un faux rythme qui fait tout le sel de Quarry. La caméra est tantôt nerveuse, tantôt d’une douceur extrême quand elle observe les ébats passionnés de Conway et Joni. C’est surprenant, beau et si réaliste qu’on se demande parfois si Yaitanes n’a pas remonté le temps pour capturer l’atmosphère du Memphis des 70’s. Bien sûr, il faut également mettre à l’honneur Pepe Avila del Pino, le directeur de la photographie, ainsi que le département des décors et des costumes, qui ont abattu un travail colossal de reconstitution de l’époque.
#3. Le plan-séquence du season finale
Difficile de passer à côté de cette incroyable scène non coupée de plus de huit minutes, insérée au cœur du season finale. Greg Yaitanes a recréé une scène de guerre ultra-violente et réaliste, qui évoque les plans malaise de Full Metal Jacket ou des films de Quentin Tarantino (le corps déchiqueté d’un enfant risque de vous marquer à tout jamais).
Une scène remplie d’action, de coups de feu, d’explosions au napalm, de corps mutilés et enflammés. Une scène qui vaut bien le plan-séquence pourtant impressionnant de la saison 1 de True Detective. Selon Greg Yaitanes, cette séquence a pris quatre jours de tournage et de montage pour être bouclée. Le réalisateur a d’ailleurs avoué à Hitfix qu’il y avait deux coupures, presque imperceptibles à l’œil nu.
Face à autant de réalisme, d’énergie et de puissance, on se dit que même les combats de super-héros font piètre figure. En somme, Greg Yaitanes a tué le game du plan-séquence dans les séries, dans la plus grande discrétion.
#4. Une musique rock so 70’s
Pour appréhender un univers, une période de l’histoire, il faut utiliser tous les sens à la disposition du spectateur. Michael D. Fuller et Graham Gordy, les créateurs de Quarry, l’ont bien compris. Ainsi, ils ont fait de Conway un fan absolu du rock des seventies. Ensuite, ils ont intégré à la BO de la série les styles phares (hard rock, rock progressif, power rock, rock fusion…) des années 1970. Quarry est jalonnée de superbes morceaux qui nous plongent dans l’atmosphère vintage, frissonnante et mouvementée de l’époque.
Kris Dirksen, l’homme en charge de la musique sur la série, a fait appel aux rock stars des seventies. On écoutera les reposantes balades de Van Morrison et d’Otis Redding, le glam rock sexy de T. Rex porté par Marc Bolan ou encore le riff de guitare légendaire de “Cities on Flame with Rock and Roll” des Blue Öyster Cult. Chaque morceau est placé au meilleur moment (Roxy Music pour accompagner les frasques de Buddy dans l’épisode 3, un sacré coup de génie) et permet de mieux comprendre les facettes des personnages (l’homosexualité dans le cas de Buddy).
Kris Dirksen en a aussi profité pour glisser des petites pépites méconnues. Du genre de celles qui s’écoutent au soleil couchant, un verre de whisky à la main. Parmi ces découvertes, on citera notamment le groupe Big Star, réellement originaire de Memphis. Ce groupe de power rock a connu une carrière très brève au début des années 1970, avant de se reformer deux décennies plus tard.
Si ce groupe reste inconnu au bataillon pour les oreilles du grand public, coincé dans sa campagne du Tennessee, il a influencé des artistes internationaux contemporains et émergents dans les années 1980 et 1990. Les Rolling Stones, R.E.M. ou encore le Velvet Underground le citent tous comme une influence importante. “Lie to Me” est le premier morceau qu’achète Conway à son retour du Vietnam. Il l’écoute pour se défouler après avoir découvert l’adultère de Joni et détruit la moitié de l’appartement. La musique adoucit les mœurs mais dans Quarry, elle les déchaîne aussi.
#5. Le slow burner à la Breaking Bad
Le slow burner, littéralement “à combustion lente”, est une série qui prend son temps avant d’exploser subitement comme un baril de poudre. Dans le cas de Quarry, qui ne s’étale pour le moment que sur une seule saison, elle atteint son paroxysme lors du season finale. Tout au long des sept épisodes précédents, la tension monte crescendo, le rythme reste assez lent, même si des twists et des cliffhangers relancent régulièrement l’intrigue. La série prend son temps pour ensuite donner un grand coup d’accélérateur.
Comme dans Breaking Bad, l’ambiance de Quarry est sombre. Conway subit une longue descente aux enfers qui entraîne avec lui sa femme ou ses proches comme Arthur, son compagnon de bataillon. C’est d’ailleurs sa mort, son cadavre, les mensonges qui s’ensuivent pour protéger sa famille, qui déclencheront les événements de l’histoire, tout comme Walter White et Jesse devaient faire disparaître un corps dès le 2e épisode. Quarry s’inscrit également dans la lignée de True Detective ou de The Night Of plus récemment, avec une réalisation travaillée et inventive.
Graham Gordy et Michael D. Fuller ont réellement apporté à Cinemax LA série de qualité qui pourrait lui permettre de rivaliser avec sa grande sœur HBO. Toutefois, Quarry n’a toujours pas été renouvelée pour une deuxième saison à l’heure actuelle. L’atmosphère musicale, la qualité de l’écriture des personnages et de leur interprétation ou encore la magnifique cinématographie de la série sont autant de raisons pour renouveler la série. À moins que les créateurs ne préfèrent en rester là, pour ne pas entacher une œuvre quasi-parfaite.
En France, Quarry est diffusée sur OCS Choc.