En mars 2017, la chaîne Adult Swim créait la surprise avec le retour d’un dessin animé culte du début des années 2000 : Samurai Jack. Dans cette cinquième saison, notre guerrier taiseux affrontait une dernière fois le démon Aku pour le renvoyer en enfer. Ce chapitre plus violent était toujours sous la direction de Genndy Tartakovsky, génie de l’animation américano-russe qui a bercé notre enfance sur Cartoon Network, avec Le Laboratoire de Dexter, Star Wars : Clone Wars, Les Supers Nanas ou encore la trilogie Hôtel Transylvanie au cinéma.
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Forcément, c’est avec une certaine excitation qu’on attendait Primal, son nouveau projet animé, cette fois à destination d’Adult Swim, connue pour ses programmes plus adultes tels que Rick and Morty et Metalocalypse. Comme le personnage de Jack, Genndy Tartakovsky nous fait voyager dans le temps. Cette fois, il nous emmène dans une préhistoire où les humains auraient côtoyé les dinosaures. Une époque sauvage et hostile, où un homme des cavernes et un T-rex vont se lier d’amitié suite à la mort de leur famille, bouffée par des créatures féroces et fantastiques qui auraient pu peupler la Terre auparavant.
La violence dans le silence
Ⓒ Adult Swim
Hormis ses dessins animés à destination des plus jeunes comme Le Laboratoire de Dexter, les œuvres de Genndy Tartakovsky n’ont jamais été très verbeuses. L’animateur et réalisateur originaire de Russie a toujours préféré les scènes d’action aux longs dialogues. Dans le cas de Primal, il a carrément opté pour un choix des plus audacieux : le mutisme. En effet, les personnages humains, qui sont déjà relativement peu présents à l’écran, ne parlent pas, puisqu’ils n’ont pas encore atteint le stade d’évolution leur permettant d’apprendre le langage.
Dès son premier épisode, la série animée est particulièrement contemplative. Les décors du Crétacé sont sublimes et tendent vers des couleurs rouges et chaudes, marque de fabrique du créateur. Celui-ci a confié la direction artistique à son partenaire de toujours, Scott Wills, déjà à l’œuvre sur Samurai Jack, Star Wars : Clone Wars et Hôtel Transylvanie. L’effet madeleine de Proust fonctionne donc à plein régime pour toutes celles et ceux qui ont grandi devant Cartoon Network.
Évidemment, l’omniprésence de ces couleurs n’est pas due au hasard. Primal est sanglante, brutale et parfois dure à regarder. L’homme des cavernes et son compagnon théropode voient littéralement leurs enfants se faire dévorer par de plus grands dinosaures. Dans cet univers, les humains sont le maillon faible de la chaîne alimentaire, aussi musclé et intrépide soit notre héros.
L’absence de paroles laisse donc place à des scènes d’action dantesques qui baignent dans l’hémoglobine, où des monstres d’un monde oublié (voire parfois imaginaires) surgissent pour transformer ce tandem improvisé en casse-croûte. Pas de doute, Genndy Tartakovsky a toujours ce talent inné pour imposer un rythme haletant à ses productions, si bien qu’on prend une claque à chaque confrontation musclée avec un alligator gigantesque ou un ptéranodon affamé.
Ⓒ Adult Swim
Rapidement, on se rend compte que Primal est un patchwork de plusieurs influences et genres : un buddy movie animalier, mélangé avec une dose de road movie, une pincée de survival et une touche de post-apo, même si la comète funeste n’a pas encore frappé la planète. À travers toutes ces influences, Tartakovsky continue toutefois d’explorer son thème préféré : la vengeance, qui était déjà au cœur de Samurai Jack. Il joue également beaucoup sur la famille et l’amitié, représentées par cette relation impossible et pourtant bénéfique entre l’homme des cavernes et le T-rex, qui leur permet d’ailleurs de triompher de tous les dangers en combattant en équipe.
Malgré l’expression parfois stoïque de nos héros, et la brutalité qui se dégage des combats, Primal est une ode à l’aventure pleine d’émotion. Cette dernière passe à travers les visages détaillés de ces personnages qui n’existent que pour survivre, mais aussi l’absurdité de ce monde voué à disparaître. C’est une poésie macabre mais délicieusement touchante, ponctuée par les rares sourires optimistes de notre homme des cavernes et la douceur de son compagnon tyrannosaure.
Faute de dialogues, Genndy Tartakovsky savait qu’il ne pouvait se permettre de rater la BO de sa série animée. Il a donc fait appel à Tyler Bates, un spécialiste des œuvres bourrines (Les Gardiens de la Galaxie, John Wick), pour façonner une ambiance sonore sauvage et dramatique. Le compositeur américain multiplie les percussions et les mélodies sombres, comme une métaphore de l’adrénaline et de la tension qui coulent constamment dans les veines de notre duo. C’est une grande réussite, qui colle parfaitement avec les grognements, rugissements et autres reniflements qui animent ce monde primaire.
Primal, le titre de la série, peut être interprété de deux façons : il renvoie autant à l’univers où évoluent l’homme des cavernes et son T-rex qu’à la méthode ultra épurée avec laquelle travaille Genndy Tartakovsky. En supprimant les dialogues, l’homme s’est mis au défi de sublimer son écriture, sa créativité et sa mise en scène pour insuffler de l’émotion sans le moindre mot. Il mélange judicieusement techniques d’animation à l’ancienne et modernité narrative pour un résultat tout bonnement splendide et jouissif, toujours au service d’une histoire simple mais loin d’être banale.
En France, la première saison de Primal est diffusée sur Adult Swim, du 8 au 12 octobre à 23 h 45.