Après quatre saisons, 13 Reasons Why a finalement tiré sa révérence sur Netflix le 5 juin dernier. Si les fans étaient au rendez-vous pour dire adieu à Clay, Justin, Jessica et les autres, les critiques (dont Biiinge) ont quasi unanimement pointé du doigt une saison 4 encore plus poussive que les précédentes.
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Après une première saison coup de poing, la série ado a pris une tournure résolument thriller et soap tout en continuant, mais de plus en plus maladroitement, à évoquer des sujets sensibles. Un peu comme si Pretty Little Liars voulait fusionner avec Euphoria. Ce qui a fini par donner un résultat de plus en plus incohérent. Si on la juge sur sa globalité, impossible donc d’affirmer que 13 Reasons Why est une grande série. Pourtant, elle restera dans l’histoire du genre teen drama, pour plusieurs raisons (non pas 13).
Revenons en 2017 : sept mois avant la naissance du Mouvement #MeToo (en octobre 2017, à la suite de l’affaire Weinstein), Netflix met en ligne le 31 mars sa toute première série ado, adaptée du best-seller éponyme de Jay Asher. Elle arrive donc à la fois dans un contexte sociétal fort et à un moment où l’industrie des séries a quelque peu abandonné l’essence de la série ado, l’expérience adolescente. Ces dernières années, seule Skam (2015-2017) a proposé une peinture forte et juste de la condition ado. Aux États-Unis règnent les teen soaps (Gossip Girl, Pretty Little Liars) ou les séries à tonalité fantastique (Teen Wolf, Vampire Diaries) plus divertissants que s’attachant véritablement à dépeindre les vicissitudes de ce moment charnière de l’existence.
Le réel est sur le point de revenir sur le devant de la scène. En 2017, plusieurs séries – de Big Little Lies à The Handmaid’s Tale, en passant par The Bold Type – annoncent avec quelques mois d’avance la nouvelle vague féministe. 13 Reasons Why s’inscrit dans ces discussions et prises de conscience, en mettant en scène dans sa première saison des sujets tabous, comme les agressions sexuelles, viols et harcèlement sur les réseaux sociaux, dont sont victimes en premier lieu les jeunes femmes au lycée.
L’histoire tragique d’Hannah Baker, qui raconte sur 13 cassettes audio envoyées à différentes personnes qu’elle juge responsable de sa dépression, pourquoi elle pense que la seule issue possible à ses problèmes est le suicide, trouve un écho international. Les jeunes s’identifient à son mal-être. Les critiques sont très positives. Si dès Beverly Hills (1990-2000), ces questions sont abordées en filigrane, c’est la première fois qu’une série adolescente les évoque aussi frontalement, adoptant le point de vue d’Hannah (elle est en voix off) et surtout, les filme.
Montrer ou ne pas montrer ?
© Netflix
Les associations de parents d’élèves conservatrices s’offusquent de la série de Brian Yorkey, l’accusant notamment de glamouriser le suicide, à travers la scène de celui d’Hannah. Sans porter de jugement moral, des professionnels de la santé mentale s’inquiètent des répercussions que 13 Reasons Why peut avoir sur de jeunes ados influençables et psychologiquement fragiles.
Les saisons suivantes bénéficieront d’un message d’avertissement et de pastilles indépendantes sur le sujet de la dépression, du harcèlement etc., où interviennent des psys et docteur·e·s. La scène même du suicide d’Hannah (Katherine Langford, nommée aux Golden Globes pour son rôle), extrêmement dure à regarder, ne cachait rien. On y voit la jeune femme se faire couler un bain, prendre des lames de rasoir et se taillader les veines. Quelques années plus tard, elle sera coupée par Netflix, avec l’assentiment de ses créateurs.
Au-delà de la polémique, la question que pose la série reste d’actualité : où se situe la limite entre montrer des scènes choquantes (le suicide, plusieurs viols d’ados) pour des raisons artistiques (rester jusqu’au bout dans la psyché du personnage) et les montrer pour des raisons mercantiles (s’assurer une belle couverture presse, du buzz, attirer une audience jeune et naïve, fascinée par ces scènes violentes, mais qui peu aussi se trouver traumatisée par ces images).
Dans un autre genre, on a reproché la même chose à The Handmaid’s Tale : après avoir été acclamée pour sa première saison, une partie de la critique n’a pas été convaincue par la suite de la série, lui reprochant de donner dans le torture porn des femmes. Dans le cas de 13 Reasons Why, on peut tout autant pointer du doigt une tendance inquiétante au torture porn des ados, comme en témoigne le final choquant, qui enfonce encore un personnage, Justin, déjà traumatisé.
Le showrunner Brian Yorkey l’a expliqué, 13 Reasons Why a été conçue comme une série limitée (ou mini-série), c’est-à-dire bouclée au bout de ses 13 épisodes, mais son succès phénoménal a poussé Netflix à commander plus d’épisodes et l’option anthologie (une autre histoire avec le même principe que la première saison) a été écartée au profit d’une suite, centrée sur Clay et les camarades de feu Hannah. Si la saison 2 s’intéressait (un peu comme Big Little Lies) aux conséquences et au procès du violeur, Bryce, elle contenait une nouvelle scène de viol explicite (entre deux personnages masculins).
Les saisons suivantes s’enfonçaient dans des intrigues toujours aussi morbides (qui a tué Bryce Walker ? Qui est mort au début de la saison 4 ?), mais de plus en plus déconnectées de la réalité des adolescents. La série est alors devenue ce thriller sensationnaliste qui joue avec les peurs et les émotions des ados, donnant parfois dans le misérabilisme ou la cruauté gratuite.
Était-il bien nécessaire d’affliger Justin d’un VIH foudroyant pour clôturer la série, après tout ce que ce dernier avait vécu ? Cela donne l’impression fausse et assez dégueulasse qu’il était “perdu pour la cause”, ayant été victime de trop de traumatismes. Comme Hannah Baker en son temps. Sans parler d’un sujet très important, le Sida, survolé et extrêmement mal traité, seulement utilisé comme un repoussoir.
© Netflix
Nouvelle vague de séries ados
Il faudra prendre du recul, pour se souvenir que 13 Reasons Why a été grande et l’inscrire dans le mouvement plus large d’une nouvelle génération de teen dramas. Aucune autre série n’a dépeint la détresse émotionnelle d’une lycéenne victime d’abus sexuels et de harcèlement comme celle-ci. Aucune autre n’a ausculté avec autant d’acuité les différentes étapes qui la mène au suicide et pointé du doigt aussi honnêtement les manquements des uns et des autres : des parents aveugles, plongés dans leurs propres soucis, un système éducatif qui manque à l’un de ses devoirs fondamentaux (protéger ses élèves) ou encore le manque d’empathie de ses semblables (“certain·e·s d’entre vous se sont soucié·e·s de moi, mais aucun·e ne l’a fait assez”, dit Hannah en voix off).
Au même moment, deux autres séries ados marquantes et plus lumineuses voient le jour, comme pour contrebalancer la noirceur de la série Netflix : l’Américaine et très pop Riverdale et la française Les Grands (2016), qui aborde aussi des sujets assez forts, comme l’avortement ou le slut-shaming, derrière ses dehors potaches. Celle qui récupère l’héritage de 13 Reasons Why, c’est Euphoria, la première série ado de HBO, comme une réponse de la chaîne câblée pionnière des séries de qualité, à sa concurrente, pionnière des plateformes. Librement adaptée de la série israélienne éponyme par Sam Levinson, qui y incorpore des thématiques autobiographiques comme son addiction aux drogues, la série lancée en 2019 propose une peinture contemporaine de la nouvelle génération d’ados, la première à avoir grandi avec les réseaux sociaux.
© HBO
En une saison, qui aborde pêle-mêle la queerness, la masculinité toxique, l’addiction et la dépression, Euphoria est devenue “le cauchemar de tout parent”, comme 13 Reasons Why il y a trois ans. Elle se montre tout aussi audacieuse en matière de scènes graphiques : on a reproché à la série de donner dans la provoc’ gratuite (on pense à ce plan qui bat un record de pénis montrés dans un teen drama ou aux nombreuses scènes de sexe explicites), tout en faisant preuve, signe que les temps changent, de davantage d’inclusivité.
L’héroïne d’Euphoria n’est plus une jeune femme blanche hétéro, mais une lycéenne Africaine-Américaine queer, Rue (incarnée par Zendaya), qui se découvre une attirance pour sa nouvelle BFF, Jules, dont la transidentité est développée subtilement, à travers des séquences crédibles de sa vie quotidienne (ses injections d’hormones, ses dates et coups de cœur…).
Pendant ce temps-là, la très belle et bienveillante Skam France s’est imposée en France, s’émancipant dans ses dernières saisons de son modèle norvégien. Des séries sur l’âge ingrat, celui de la prépuberté, ont fleuri dans le sillage de cette renaissance : on pense à la très singulière Pen15 ou à l’hilarante et conscientisée série animée Big Mouth. En devenant un hit, 13 Reasons Why a aussi ouvert la voie des séries adolescentes sur Netflix, qui n’en finit plus de commander des teen shows plus ou moins réussis aux quatre coins du globe : On My Block et Never Have I Ever aux États-Unis, Élite en Espagne, Blood & Water en Afrique du Sud ou encore, celle qui a réussi à parler de sexualité et de consentement dans la joie et la bonne humeur, la géniale Sex Education en Angleterre. Lancée en 2019, elle n’aurait probablement pas vu le jour sans 13 Reasons Why, qui représente aussi la prise de conscience des violences sexuelles faites aux femmes et leurs détresses, quand Sex Education tente de les réconcilier avec leurs sexualités.
Parce que si grandir peut avoir ses spécificités selon les pays (on comprend pourquoi le géant du streaming qui pense à la fois “local” et “global” en a fait son genre le plus prolifique depuis trois ans), l’état d’âme adolescent, les premières fois et les angoisses, restent des sentiments et une étape universellement vécue et une inépuisable source d’inspiration.