Comment dire adieu à Pose ? À Blanca, Pray Tell, Angel, Papi, Elektra et les autres ? Cette dernière saison nous accompagne dans ce deuil de la plus belle des façons : en nous le faisant accepter. Il y a eu beaucoup de larmes, bien sûr, mais on ressort de ces sept épisodes (le dernier est en fait un double épisode de presque une heure et demie) le cœur apaisé. Enfilez votre plus belle tenue, échauffez bien vos articulations, et gardez la boîte de mouchoirs à portée de main… On revient sur le dernier bal de Pose, ses faux pas, ses moments de grâce et, surtout, sa beauté.
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Attention, spoilers droit devant !
Car Pose a toujours été une célébration de la beauté, mais aussi de la fierté queer, de l’espoir et de la famille que l’on se choisit. C’est précisément sur ces quatre notes qu’elle se termine, avec un merveilleux tacle à Sex and the City au passage, de la part de Blanca (Mj Rodriguez) : “Ça devrait plutôt s’appeler ‘Blanches in the City’, aucune de ces filles n’a d’amie noire ou latina.” PREACH !
La série n’a pas toujours su tisser toutes ses intrigues sans accroc, et certaines ellipses défiaient l’entendement : les rehabs express d’Angel, Lulu et Pray Tell ; les apparitions et disparitions de Ricky et Damon (l’acteur qui incarne ce dernier, Ryan Jamaal Swain, a dû quitter précipitamment la série quand sa sœur a été assassinée en juillet 2020) ; ou le fait qu’Elektra ait pu conserver le corps de son client décédé dans son dressing pendant si longtemps sans que la série ne s’en préoccupe pendant une saison entière…
À ce propos d’ailleurs, sachez que cette intrigue spécifique, aussi incroyable soit-elle, est inspirée d’une histoire vraie. En 1993, on a découvert un corps, avec une balle dans le crâne et momifié depuis 15 ans, dans la garde-robe d’une célèbre drag queen du nom de Dorian Corey (on pouvait notamment la voir dans le documentaire culte Paris Is Burning) après que cette dernière a été emportée par la maladie.
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Et de maladie, justement, il en est beaucoup question dans ces derniers épisodes. Le spectre du VIH plane sur nos héroïnes depuis le début. La communauté n’en finit plus de compter ses morts et Blanca, qui apprenait sa séropositivité dès la saison 1, compte bien devenir infirmière pour faire ce qu’elle fait le mieux : se mettre au service des autres et les envelopper de toute la douceur qui la caractérise. La mobilisation autour du mouvement Act Up grandit. La colère aussi. On assiste, sans surprise, aux terribles discriminations racistes auxquelles font face les patient·e·s racisé·e·s lorsqu’il s’agit de choisir des personnes pour tester un tout nouveau traitement : la trithérapie.
La grande force de Pose a été de jouer aux équilibristes, entre ces moments où tout espoir semble perdu, et la fête, l’amour et la vie qui reprennent malgré tout le dessus, ne serait-ce qu’un instant. S’il y avait moins de scènes de ballroom cette saison, c’est aussi parce que chacune marque un moment important dans la vie de Blanca et Pray Tell en particulier. Elle est le cœur de la série. Un cœur qui s’effrite parfois, mais vers lequel tout finit par converger dans les dernières minutes. Live. Werk. Pose. Ce n’est pas seulement un slogan, c’est un hymne. Une invitation à s’acharner, à redresser la tête, et à s’aimer. La série ne perdra jamais ça de vue.
Il est donc tout naturel qu’elle nous offre une fin à la hauteur de son message. Alors oui, ses scènes lacrymales sont parfois un peu trop étirées, mais on lui pardonne tout tant la sincérité de l’écriture et la performance de ses acteur·rice·s l’emportent sur le reste. Nos héroïnes ont fait du chemin et on sait, en regardant défiler le générique de fin de l’ultime épisode, qu’elles iront bien.
Comme le dit Blanca, devenue infirmière et en couple avec le sexy Dr Christopher, il n’y a pas de happy ending, on n’est pas dans un film, mais il faut célébrer chaque petite victoire et prendre du plaisir à se retrouver. Elektra (Dominique Jackson), elle, est à la tête d’un empire du téléphone rose (puis de cam girls) et a trouvé un soutien inattendu auprès de la mafia. Elle a enfin atteint son rêve, elle qui a toujours eu un goût très sûr pour tout ce qui est précieux, et surtout, elle ne dépend de personne. Voilà une femme, au caractère très différent de Blanca, qui a toujours été mue par l’ambition et l’auto-préservation (certain·e·s diraient l’égoïsme, mais ce serait une erreur : la bitch en chef a un cœur !).
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L’un des points d’orgue de cette saison, c’est évidemment la fin programmée de Pray Tell (Billy Porter). Celui-ci est mort comme il avait vécu : dans le don de soi. Il se sacrifie en donnant son traitement à Ricky. Pray voulait vivre, intensément, fiévreusement, mais pas si cela impliquait de regarder ses ami·e·s les plus proches mourir. Surtout pas Ricky (Dyllón Burnside). Et, comme Candy (Angelica Ross) qui continuait d’apparaître à ses amies après sa mort tragique, notre fabuleux MC ne se fait pas oublier si facilement. Comment en serait-il autrement ? Lui qui est l’âme du ballroom, le maître de cérémonie à la langue bien pendue qui pouvait vous porter aux nues ou vous descendre en flammes devant une assemblée tout en restant fabuleux. Son aura solaire continuera de voguer longtemps sur le runway et dans le cœur des sériephiles que nous sommes.
Angel (Indya Moore), de son côté, s’est fait une place dans le monde du mannequinat mais, plus important encore, elle a fondé sa propre famille avec l’amour de sa vie, Papi, et le fils qu’il a eu avec une ex. L’épisode de leur mariage a fait doubler, à lui seul, notre consommation annuelle de Kleenex et pas seulement au moment où ils se sont dit oui. “Something Old, Something New” est parcouru de plusieurs moments particulièrement forts. Le fait de réunir toutes leurs copines, elles aussi des femmes trans, et de leur permettre à chacune de porter de somptueuses robes de mariée est un magnifique symbole. Et un rappel cruel qu’aux yeux de l’État civil, elles ne sont pas des femmes mais des chromosomes, et qu’épouser un homme, si elles sont hétérosexuelles, leur est interdit.
Papi (Angel Bismark Curiel), notre jeune marié, s’est véritablement révélé cette saison. Il n’a l’air de rien comme ça, mais ce personnage est aussi une révolution en soi. Car voilà un homme hétéro et cisgenre, latino, qui a totalement rejeté tout ce que la masculinité hégémonique avait de plus toxique. Pose nous a bien sûr montré des femmes belles, fortes, ambitieuses, généreuses, comme on n’en avait jamais vues jusqu’ici. Mais la série a aussi, plus discrètement, détricoté puis redéfini la masculinité. Ou plutôt les masculinités. Celle de Pray Tell, mais aussi celle de deux hommes hétéros et cis, racisés, qui, a priori, n’ont rien à faire dans la scène ballroom plutôt réservée aux minorités les plus marginales. Papi, retranché avec ses garçons d’honneur, donne un discours poignant sur son sentiment d’appartenance à cette communauté qui l’a accueilli à bras ouverts, lui a donné tout l’amour dont il manquait si cruellement et lui a fait reconsidérer ce que ça voulait dire d’être “un homme”.
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Papi, c’est un homme qui pleure, qui dit “je t’aime” et qui choisit de ne pas reproduire certains schémas qu’il a vus en grandissant. L’autre modèle de représentation du genre, c’est Christopher (Jeremy Pope), le docteur qui est tombé amoureux de Blanca. C’est un homme noir, issu d’un milieu aisé, et qui est d’abord un peu gêné aux entournures lorsqu’il présente celle qu’il aime à sa mère. Comme pour Papi, à aucun moment sa virilité, ni son hétérosexualité, ne sont remises en question. Il surmonte rapidement le jugement des autres parce que son amour pour Blanca est la seule certitude qui le guide. Il n’a peut-être pas eu beaucoup de temps pour exister dans la série, mais il vient conforter l’idée que Papi n’est pas (ne devrait pas être) une exception.
Saluons la sagesse de celles et ceux qui ont décidé que l’histoire devait se terminer ici. Trois petites saisons et puis s’en va ? Non, Pose laisse dans son sillage un parfum de révolution. Cette série a marqué la culture, et son époque, de façon irréversible. Il y a eu un avant, et il y aura surtout un après. Plus personne ne pourra arguer qu’il n’y a pas d’actrice trans pour tel rôle – le cast de Pose déborde de ces talents féminins –, ni prétendre raconter les histoires de cette communauté sans inviter ses membres à la table des décisions – la série est produite, écrite et réalisée par certaines d’entre elles, dont la militante Janet Mock.
Il n’y a plus d’excuses qui tiennent, voilà le signal culturel et politique envoyé à l’industrie du rêve, et à la société dans son ensemble. La meilleure façon de mesurer l’impact de ces héroïnes et héros, c’est de constater le trou béant qu’elles et ils laissent dans nos cœurs, et dans le paysage sériel en général. Un trou qui, on l’espère, sera vite comblé par d’autres Blanca, d’autres Pray Tell, d’autres Elektra, d’autres Papi…
© FX
Les trois saisons de Pose sont à savourer sur Canal+ Séries.