La série produite par Ryan Murphy a fait l’effet d’une petite révolution dans le paysage télévisuel. Mais pour la communauté LGBTQ+, ce fut un véritable Big Bang.
À voir aussi sur Konbini
Si la société avance peu à peu sur la question des minorités, les séries ont souvent mené la charge progressiste. Parce qu’elles entrent dans les foyers et ont ainsi une force de frappe considérable, elles ont véritablement le pouvoir de changer notre vision des choses ou de conforter certaines convictions.
Pose, la série créée par Steven Canals et produite par Ryan Murphy et dont la saison 1 vient de s’achever sur FX, n’oublie évidemment pas d’être un divertissement poignant, superbement interprété et brillamment mis en scène. Mais son existence même est politique. Et son rôle dépasse largement celui de l’entertainment.
Donner une voix aux femmes transgenres
Dès l’annonce de son casting, Pose battait déjà un record : celui du plus grand nombre d’actrices trans dans des rôles majeurs pour une série. MJ Rodriguez (Blanca), Indya Moore (Angel), Dominique Jackson (Elektra), Angelica Ross (Candy) et Hailie Sahar (Lulu) sont toutes des femmes transgenres de couleur interprétant… des femmes transgenres de couleur. Ça peut paraître évident, mais Hollywood se borne, encore aujourd’hui, à filer ces jobs à des acteurs et actrices cis (dont l’identité de genre correspond au sexe biologique).
On ne le répétera jamais assez : représenter à l’écran ces histoires diverses, c’est donner une voix à celles et ceux qui en sont privé·e·s par la société et des modèles auxquels aspirer. Et Ryan Murphy a compris l’importance de se reposer sur les premières concernées pour raconter ces histoires. Il s’est ainsi entouré, derrière la caméra, de la scénariste Our Lady J, et de l’autrice et activiste pour les droits des personnes trans, Janet Mock. Cette dernière est la première femme trans de couleur à réaliser un épisode de série avec “Love is the Message”.
Pose met ainsi un point final à cette vieille excuse du “on aurait bien pris des personnes trans pour raconter ou incarner des personnages trans, mais on n’a pas trouvé… du coup on a pris des personnes cisgenres”. Quand on cherche, on trouve. Et le cast de Pose n’a rien à envier aux autres séries de prestige du moment. MJ Rodriguez est LA révélation du show et on lui souhaite une belle carrière, pleine d’Emmy et de Golden Globes.
Pose offre, de facto, une vision réaliste du quotidien des personnes LGBTQ+ de couleur. L’occasion pour les non concerné·e·s de découvrir ce milieu, et faire leur éducation au passage. Elle nous ouvre ainsi les yeux sur les injonctions et discriminations subies à l’intérieur même de la communauté LGBTQ+, avec des points de vue qui les opposent parfois de façon radicale. Comme ce moment où Blanca se fait virer d’un bar gay parce qu’ils la considèrent comme une “drag-queen”, ce qui revient à dire qu’elle est un homme travesti en femme.
Le “passing” est souvent déterminant sur ces questions. Une femme trans qui “passe” pour une femme auprès des gens, soit parce qu’elle a des traits naturellement associés à la féminité, soit parce qu’elle a fait de la chirurgie, peut être jugée par ses pairs comme “privilégiée”, là où d’autres peuvent subir des violences ou être harcelées parce qu’elles ne correspondent pas tout à fait à l’idée que l’on se fait de la “féminité”. Le fait de deviner leur sexe biologique, au-delà du fait que les gens n’acceptent pas leur identité, peut même s’avérer dangereux. C’est l’une des raisons de la plupart des agressions transphobes.
Et puisque beaucoup de gens sont encore obsédés par ce qu’il se passe entre les jambes des personnes trans, Pose porte une attention particulière au processus de “transition” et comment celui-ci peut aussi être un motif discriminatoire au sein de la communauté. Il y a celles qui ont les moyens de passer par la case traitement hormonal et/ou chirurgie, et celles qui doivent se résoudre à faire appel à des charlatans, quitte à mettre leur santé en danger.
Contrairement au milieu drag où plus c’est faux mieux c’est, si un faux cul ou de faux seins sont repérés lors d’un bal, c’est l’assurance de devenir la cible de toutes les moqueries. La culture ballroom, son univers impitoyable. Mais nos héroïnes ont la peau dure.
Les ballrooms, pinacle de la culture queer
Au cœur des années 1980, en particulier à New York, ces lieux underground d’expression scénique et artistique sont devenus les cathédrales de la communauté queer. Le maître de cérémonie donne la messe et les brebis défilent, vêtues de satin et montées sur des stilettos vertigineux, priant pour l’absolution pendant que les juges délibèrent sur leur look et leur attitude.
Mais surtout, les ballrooms sont des refuges, des lieux où ces personnes peuvent être elles-mêmes, ou elles-mêmes en plus “fabulous”, pendant qu’à l’extérieur, la société hétéronormée préférerait nier leur existence. Si les participant·e·s se réunissent en “maisons” sous l’égide d’une “mère”, ce n’est pas juste pour la compétition. C’est une manière, pour celles et ceux qui ont souvent été rejeté·e·s par leurs proches, de se constituer leur propre famille. Une famille de cœur.
Pour s’assurer de la crédibilité de ces scènes où “l’extravaganza” est reine, Ryan Murphy a fait appel à de véritables juges de bals :
“La première chose que j’ai faite a été de rencontrer les survivants de Paris Is Burning, qui sont juges dans chaque épisode de Pose. Ils et elles sont toujours là. Je voulais juste les rencontrer et leur faire savoir que je ne souhaitais pas leur voler leur histoire mais les inviter à se joindre à la série, et les rémunérer pour leur temps et leur énergie. Ça les a beaucoup touché·e·s”, confiait Ryan Murphy lors d’un panel, dont The Hollywood Reporter a retranscrit certain extraits.
Paris Is Burning, c’est LE documentaire sur la ballroom culture (il est disponible sur Netflix) qui revient sur l’émergence de ces célébrations et rend hommage à celles et ceux qui, en pleine épidémie de sida, n’ont pas survécu pour en témoigner aujourd’hui. Ces juges qu’il a embauchés lui ont raconté des anecdotes incroyables. Vous pensiez que la scène du pilote où Elektra emmène ses protégé·e·s au musée pour voler les costumes de figures royales historiques était un peu over the top ? C’est du 100 % véridique.
Pour le spectateur ou la spectatrice qui n’a jamais vu Paris Is Burning, ni le moindre épisode de RuPaul’s Drag Race (le célèbre concours de drag-queen orchestré par le truculent RuPaul), certaines expressions prononcées dans Pose peuvent paraître plutôt étranges. Quand on parle de “culture ballroom”, ce n’est pas un terme galvaudé. C’est tout un langage que s’est créé cette communauté, avec ses codes et ses règles.
Cela passe par un vocabulaire très spécifique et imagé que les adaptateur·rice·s chargé·e·s des sous-titres ou du doublage français ont dû bien galérer à traduire. Pour les bilingues, Buzzfeed US a créé un guide fort utile, initialement imaginé pour comprendre les références dans RuPaul’s Drag Race, mais qui s’avère indispensable pour tout ce qui touche à la culture queer et drag.
C’est surtout à la période choisie par Pose pour raconter son histoire que ce langage a vu le jour. À titre d’exemple, durant les représentations de la “ballroom”, à chaque catégorie, on peut entendre Pray, le Monsieur Loyal de la soirée, crier aux candidat·e·s “WERK !” ou “WALK !”. Le premier est une déformation de “work” et il faut entendre les deux comme des encouragements à impressionner l’assistance. Faire le show, c’est le but de ces bals. Les termes “to read someone”, ou lui donner le “shade”, signifient invectiver quelqu’un de façon plutôt glaciale, en mode serial killer de l’insulte. Et c’est tout un art !
Les questions raciales en filigrane
Avant Pose, la sainte trinité des séries en termes de représentation des LGBTQ+, c’était Queer as Folk, The L Word et, plus tard, Looking. Dans leur grande majorité, les héros et héroïnes étaient caucasien·ne·s. La série produite par Ryan Murphy a choisi de poser son regard sur les Latinx et les Noir·e·s et ce n’est pas anodin.
Dans un monde qui discrimine tout ce qui n’est pas hétéronormatif ou blanc, ces personnes cumulent les oppressions. Les occasions de les voir représentées sont malheureusement trop rares à la télévision (ou ailleurs). Et même si les choses changent, lentement mais sûrement, pour beaucoup de minorités, les plus menacées restent les femmes trans de couleur.
Un rapport remis par la Human Rights Campain Foundation concluait récemment que 2017 avait été l’année la plus meurtrière pour ces personnes. Rien qu’en 2018, ce sont déjà 16 femmes transgenres qui ont été assassinées aux États-Unis. La dernière victime en date, Sasha Garden, une Afro-Américaine de 27 ans, a été retrouvée morte ce 19 juillet, en Floride. Elle militait dans une association pour la prévention contre le VIH.
Pose a choisi, pour l’instant, de ne pas trop se pencher sur ces violences, histoire de sortir des sempiternels tropes (dont on vous parle plus bas) qui voudraient que les personnes trans soient toujours représentées en travailleur·se·s du sexe, en sans-abris ou en victimes de crimes sordides.
Ce que la série fait très bien en revanche, c’est montrer la précarité de certains de ses personnages et de la mettre en parallèle avec le faste des bals où tout n’est que glamour, attitude et folie des grandeurs. On peut aussi relever que les seuls personnages blancs de la série sont financièrement bien lotis, ce qui leur confère le droit d’acheter l’affection d’autres moins fortunés. Tout ça pour comprendre finalement que ces personnes ne sont pas à vendre.
Les femmes trans comme Angel ou Elektra sont fétichisées par de riches hommes blancs. Elles sont leur petit “dirty secret”, même si Stan, joué par Evan Peters, semble sincèrement épris de la première. Un écueil commun à beaucoup d’entre elles mais qui n’avait jusqu’alors jamais été traité aussi clairement à la télévision. Fort heureusement, de belles histoires existent aussi et Pose se fait pour mission de les représenter, à l’instar de Damon (le premier protégé de Blanca).
La peste rose
Au début des années 1980, le début de l’épidémie de sida frappe de plein fouet la communauté LGBTQ+. La presse la surnomme alors “la peste rose”. Aujourd’hui, il existe heureusement plusieurs types de prévention et traitements, comme la PrEP, qui fait l’objet d’une campagne d’affichage nationale. Mais les jeunes se sentant moins concerné·e·s, et étant moins informé·e·s, ne réalisent pas les ravages causés par le virus dans le passé. Pose en est un rappel triste, mais salvateur.
“Nous n’avons que très peu d’histoires. Tous les hommes qui auraient probablement pu être nos mentors ont été emportés dans la fleur de l’âge. Ce que j’essaye de faire dans mon travail, c’est d’inscrire cette histoire dans le marbre et d’éduquer les gens”, raconte Ryan Murphy.
Tout le monde sait à quoi ressemble la vie des personnes cisgenres, voire cishets (contraction de cisgenre et hétéro) : leurs expériences, multiples et complexes, sont représentées depuis la nuit des temps dans toute leur diversité et sur tous les supports possibles (cinéma, littérature, peinture, séries…). Pose n’est pas qu’une série pour la communauté gay et trans, ces personnes qui ne voient jamais leur reflet à la télévision (nulle part, d’ailleurs), elle est aussi une très bonne façon pour les spectateur·rice·s cis d’être invité·e·s dans cette alcôve.
Un accès privilégié à ce monde dans le monde, où l’on est femme même quand la société nous dit qu’on est un homme, où l’on est queer quand seule la “normalité” est acceptable, où l’on danse comme s’il n’y avait pas de lendemain, le tout à une époque où le sida fait des ravages.
Il est toujours bon de se souvenir de ces années noires où le VIH a décimé la communauté LGBTQ+ et où un test qui revenait positif du labo signifiait bien souvent un arrêt de mort. Blanca, lors d’un épisode, sait d’ailleurs trouver les mots pour répondre aux questions de Damon sur le sexe entre hommes, et surtout quelles sont les pratiques à risques et les précautions à prendre avec son petit ami.
Des histoires positives
Pour peu qu’on suive le travail de Ryan Murphy (Nip/Tuck, Glee, American Horror Story, American Crime Story…), Pose se place à la fois dans une certaine continuité tout en dénotant par sa douceur. C’est une série étonnamment lumineuse et positive comparée à ses précédentes, qu’ils les aient showrunnées ou non.
#PoseFX upends so many expectations of queer stories. When I saw CAROL, I spent the whole movie assuming it would end in misery or a murder-suicide. We've been conditioned to expect and prioritize grimness in queer narratives. Joy remains radical and rad. https://t.co/F4GgJzL1y0
— Louis Virtel (@louisvirtel) 23 juillet 2018
“#PoseFX bouleverse tellement d’attentes sur les histoires queer. Quand j’ai vu Carol, j’ai passé tout le film à me persuader que ça finirait dans la misère ou sur un meurtre ou suicide. On nous a conditionnés à s’attendre et à donner la priorité au misérabilisme dans les narratives queer. La joie devient un acte aussi radical que génial.”
Et il n’y a pas que les histoires devant la caméra qui font du bien. Ryan Murphy s’était en effet engagé, quand la série a été commandée par FX, à reverser ses profits en tant que producteur à des associations caritatives œuvrant pour les causes LGBTQ+.
“Je ne suis pas showrunner ici. Je suis un défenseur de cette communauté et mon job c’est de m’occuper d’elle, de la financer et de lui donner accès à un monde mainstream qui lui a été refusé pendant si longtemps.”
Pose est un éloge de la beauté sous toutes ses formes. La communauté LGBTQ+, trop souvent cantonnée à des tropes glauques, a longtemps attendu ce type d’histoires. Cette série, malgré les sujets très sérieux qu’elle aborde et son rôle tout aussi important, est une respiration. Une parenthèse de glamour, d’attitudes grandioses, de répliques vénéneuses où l’amour triomphe.
La saison 1 de Pose est diffusée en France sur Canal+ Séries.