Les sirènes de Cheapcity sont arrivées et je n’ai pas pu m’empêcher de les regarder.
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Aucun plaisir ne devrait être coupable, a-t-on coutume de dire dans le monde des séries. Certes. Alors que la qualité artistique des séries ne fait qu’augmenter, il reste cependant un type de production reconnaissable entre mille, que je continue de qualifier de plaisir coupable. C’est la série dont on voit tous les défauts, que notre raison nous implore de jeter aux orties mais que nos endorphines réclament à cor et à cri. Entre nous, je suis une critique de séries sérieuse. Je n’ai pas le temps pour ces enfantillages. Sauf pour… Siren.
À ma décharge, le sujet du show avait de quoi intriguer. Si on voit régulièrement débarquer des loups-garous, vampires et autres sorcières sur le petit écran, les pauvres sirènes ont toujours joué les seconds rôles dans les productions pour adultes, apparaissant ici et là, comme dans Charmed le temps d’un épisode qui transforme Phoebe en femme-poisson pour des séquences comiques. Ces créatures mythologiques n’ont jamais vraiment eu l’occasion de faire briller leurs nageoires. Alors, quand une série les choisit enfin en héroïnes principales, plantant le décor de l’histoire dans un petit village de pêcheurs, Bristol Cove, où circulent moult légendes à leurs propos, c’était un grand OUI.
D’autant que le trailer posait une ambiance plutôt sombre, et une sirène pas franchement là pour attirer le male gaze. Non, Ryn débarque sur la terre ferme car sa sœur a été piégée par des saletés de militaires. Sur place, elle va rencontrer d’autres styles de prédateurs que ceux dont elle se nourrit dans les eaux profondes : les hommes. Après avoir réduit en bouillie l’un d’eux, qui l’a agressée sexuellement, Ryn va heureusement faire la connaissance d’un jeune couple (mixte, ce qui reste rare à la télé) de biologistes, Ben (Alex Roe) et Maddie (Fola Evans-Akingbola), tous deux attirés par son pouvoir de séduction et curieux de l’analyser d’un point de vue scientifique. Mais comme ils sont avant tout très gentils, ils vont l’aider à s’en sortir et à retrouver sa sœur.
Donc, les sirènes en 2018 ont apparemment deux pouvoirs : une super-force et un chant qui hypnotise les hommes et les rend obsédés par elles (ou eux, car on voit aussi des tritons, yay !). Ce deuxième pouvoir ne leur sert pour le moment pas à grand-chose, si ce n’est à distraire les hommes au moment opportun d’une scène d’action qui sent le roussi. On espère qu’au bout d’un moment, ce pouvoir bien utilisé permettra aux sirènes de contrôler les esprits humains par exemple. Mais passons.
Siren a ceci de frustrant qu’elle prend des chemins originaux – instiguant par exemple une relation troublante entre Ben, Maddie et Ryn, à la limite du “trouple” –, mais recule de trois nageoires l’épisode suivant, choquée par sa propre audace. L’approche de cette relation, clairement un des points forts du show, devient alors insipide, naviguant entre queerbaiting (suggérer, en sous-texte, qu’il va y avoir une relation queer entre deux personnages alors qu’en fait non) et ce bon vieux trope du born sexy yesterday (en gros, une “femme” sexy, jeune, une sorte d’élue, mais qui ne maîtrise aucun code des humains et parle à peine notre langage, façon Leeloo dans Le Cinquième Élément).
Siren, c’était aussi l’occasion de parler d’écologie, de surpêche, de la connerie humaine… Que sais-je encore ! D’aborder la mythologie des sirènes avec un peu plus d’enthousiasme, de creuser peut-être du côté du mythe de l’Atlantide, qui fascine encore de nos jours… Pour le moment, on a vu deux reliques dans une boutique, et appris que le sang des sirènes pouvait guérir les humains (comme la maman paraplégique du héros). Come on ! Pire, Siren plonge la tête la première dans le spécisme, les personnages humains passant leur temps à qualifier les sirènes de sauvageonnes, en gros. Je vous résume le délire : dans un des épisodes, un groupe de mec part chasser les créatures marines au large. Manque de pot, ils et elles se défendent, tuant un des hommes au passage. On passe ensuite deux épisodes à pleurer le capitaine et à traiter les sirènes d’animaux sauvages. La logique vous échappe ? À moi aussi.
Oui, mais alors, pourquoi continuer ? Ça doit être le jeu subtil des interprètes. Nope. Vraiment pas. Dans le rôle de Ryn, Eline Powell en fait des caisses, à coups de tête inclinée et d’yeux qui sortent de leurs orbites pour rappeler ses origines de cétacé. Elle n’est pas aidée par des bouts de dialogues sans queue (de poisson) ni tête, censés refléter son évolution de sirène vers l’apprentissage des coutumes humaines. Ses congénères s’en sortent une écaille mieux, peut-être parce qu’ils ont encore moins de lignes de texte qu’elle. Quant aux humains, leur jeu reste aussi stéréotypé, à l’exception peut-être de Fola Evans-Akingbola dans le rôle de Maddie, plus naturelle que la moyenne et qui a la chance d’avoir un personnage à la trajectoire plutôt cohérente.
Oui, mais alors, pourquoi continuer ? Pour les effets spéciaux et les scènes de baston qui doivent être cool ? Nope. Ils sont encore moins réussis que Teen Wolf, mais heureusement, les embrouilles ont lieu dans des endroits sombres ou à la tombée de la nuit, ce qui rend les séquences d’action un peu moins indigestes mais tout de même bien cons. On ne vous parle même pas des queues de sirènes en plastique ou du moment de la transformation d’humaine en sirène qui révèle un budget riquiqui alloué aux CGI, l’équipe ayant tout misé sur le département son.
Le problème principal, c’est que Siren est le genre de série où vous êtes capable, au fil de l’épisode, de deviner quelle sera la prochaine scène, et comment tel personnage va réagir. Oui, mais alors, pourquoi continuer ? Je pense que c’est parce que je suis une sirène, solidaire de mes congénères, et aussi parce qu’il fait très chaud à Paris cet été. Je ne vois pas d’autres explications.