S’il y a bien un endroit qui a fait bouger les lignes sur la question de la visibilité des personnes trans, c’est le petit écran. Parce qu’elles entrent dans nos foyers, qu’elles sont de véritables Polaroïds de leurs époques et que l’on se reconnaît dans leurs héros et héroïnes, les séries ont fait avancer, bien plus que n’importe quel autre médium, la question des représentations LGBT+. Aujourd’hui, on a eu envie de vous parler des personnages trans et de leurs interprètes qui ont marqué l’histoire de la télévision en brisant les tabous et en véhiculant des messages forts et poignants.
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Car il faut distinguer le fait d’être présent du fait d’être représenté (voire, bien représenté). Comme le recense chaque année le collectif GLAAD (un observatoire de la diversité LGBT+ dans les médias américains), le petit écran a longtemps cantonné les personnages trans à des rôles de victimes de crimes sordides ou de travailleur·euse·s du sexe à cause des clichés qui continuent, encore aujourd’hui, de leur coller à la peau. Dans la plupart des cas, ce sont des acteurs et actrices cisgenres (dont le genre assigné à la naissance correspond au sexe biologique) qui les interprétaient. Une norme qui ne faisait qu’invisibiliser davantage les premier·ère·s concerné·e·s.
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On pouvait ainsi les croiser dans Twin Peaks, Nip/Tuck, le soap opera américain Amour, Gloire et Beauté ou chez les Anglais de Coronation Street, Ugly Betty ou encore dans Ally McBeal. À leur façon, ces personnages ont mis en lumière une réalité jusque-là cachée, celle du coming out trans, des discriminations et des obstacles liés à la transition, mais toutes ne l’ont pas fait avec la plus grande considération. Il faudra attendre 2001 et l’épisode 10 de la saison 1 de la série cyberpunk Dark Angel, créée par James Cameron et Charles H. Eglee, pour découvrir la première protagoniste transgenre jouée par une actrice elle-même trans : Jessica Crockett. Une petite révolution !
Il faudra encore patienter dix ans de plus pour que la télévision américaine donne enfin une plus place importante à ces histoires. Les années 2010 seront en effet marquées par le coming out trans de Caitlyn Jenner et l’avènement, grâce à la série Orange Is the New Black, de Laverne Cox au rang de superstar. Ces deux femmes, médiatiquement surexposées, ont ouvert la voie à de nombreuses autres et ont permis de “normaliser” la présence des personnes trans dans nos vies et nos écrans.
L’actrice d’Orange Is the New Black fut la première personne trans à être nommée pour un Daytime Emmy pour son documentaire Laverne Cox Presents: The T Word et la première à faire la couverture du prestigieux magazine Time en juin 2014. Dans la foulée, et grâce à des ambassadrices de sa trempe, les salles d’écriture des séries se sont ouvertes à plus de diversité. L’un des exemples en la matière, c’est la série Pose, créée par Ryan Murphy, Brad Falchik et Steve Canals. Ce dernier, qui assure le job de showrunner, s’est entouré de femmes trans racisées, aussi bien en salle d’écriture, que devant et derrière la caméra. À l’écran, Indya Moore, MJ Rodriguez, Dominique Jackson, Angelica Ross et les autres ont instantanément séduit le public. Plus de voix, plus d’histoires différentes de ce que l’on croyait être la norme jusqu’ici et donc, plus de variété dans les trajectoires racontées par nos fictions préférées : tout le monde y gagne.
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C’est dans ce climat, certes encore un peu timide sur la question, mais résolument tourné vers le progrès, que des showrunneuses comme Jill Soloway avec Transparent ou les sœurs Lana et Lilly Wachowski avec Sense8, ont émergé. La première, dont l’un des parents a fait son coming out trans sur le tard, a depuis exprimé ses regrets d’avoir offert le rôle principal de Maura, à un homme cis. Pour couronner le tout, son interprète Jeffrey Tambor a fait l’objet d’accusations de harcèlement sexuel sur le tournage par les mêmes personnes trans que la série visait à protéger et mettre en avant. Un coup dur pour une production qui se voulait un environnement “safe”, mais qui n’enlève rien à son impact culturel.
Sense8, quant à elle, confiée à deux réalisatrices trans, a mis un point d’honneur à montrer les genres et les sexualités dans toute leur diversité et leur beauté, faisant fi des conventions — cette série ovni ne respectait aucune règle — pour faire passer un message simple : nous sommes tous et toutes uni·e·s par des liens invisibles, quelle que soit la distance qui nous sépare, nos origines, nos orientations sexuelles, notre corps… Le personnage de Nomi, incarnée par l’actrice trans Jamie Clayton, ne se résumait pas à sa transidentité, même si celle-ci faisait bien sûr partie de son histoire et de son expérience. Elle et sa petite amie Amanita, jouée par Freema Agyeman, sont rapidement devenues les chouchoutes du public.
L’annulation par Netflix après seulement deux saisons a fait l’effet d’une trahison pour de nombreux·ses fans, comme si on refermait le couvercle d’un coffre au trésor dont les richesses devaient être partagées avec le monde. Les sœurs Wachowski ont heureusement eu l’opportunité de clore leur histoire sur un happy ending dont on se souviendra longtemps : un maxi-épisode final, d’une durée de 2h30, qui s’achève sur le mariage féérique de Nomi et Amanita à la Tour Eiffel.
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Heureusement, la marque indélébile qu’elle a, elle aussi, laissée dans l’histoire de la télévision américaine a permis à d’autres personnages trans d’émerger. Si les hommes sont encore trop peu représentés ou relégués à des rôles très périphériques, on peut toutefois saluer la performance du jeune Ian Alexander, qui faisait ses premiers pas en tant qu’acteur dans la série The OA en 2016, elle aussi annulée par Netflix après deux saisons. Depuis quelques années, on peut heureusement compter sur Jules, dans Euphoria, interprétée par l’angélique Hunter Schafer, qui donne une voix et un visage aux adolescentes trans. On pense également à Nia Nal, aka Dreamer dans Supergirl, incarnée par Nicole Maines, qui est la première super-héroïne trans et permet ainsi à de nombreuses petites filles de se rêver en justicière masquée au cœur pur.
Aujourd’hui, la présence de personnages trans joués par des acteurs et actrices trans n’est plus une exception, même s’il reste du chemin à parcourir et surtout, les représentations ont évolué pour se détacher des clichés qui leur étaient jusqu’à récemment associé. L’impact pour les personnes concernées de pouvoir se projeter ou de voir à l’écran des gens et des histoires qui leur ressemblent est évidemment énorme et cela ne devrait pas être un luxe. Encourager toujours plus les studios et les writers’ room a leur faire de la place, ça n’est pas “céder face à la bien-pensance” ou “plier sous le poids du lobby LGBT” comme on peut l’entendre parfois chez les plus réactionnaires, mais c’est, au contraire, donner plus de chair aux récits de nos séries préférées et dire à des personnes que la société continue de discriminer sans relâche : “On vous voit. On vous aime. Vos vies comptent.”