Quand George R. R. Martin envoie ses personnages dans l’espace, l’émotion trépasse. Attention, légers spoilers.
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(© Syfy)
Pendant que les lecteurs de la saga du Trône de Fer pleurent toutes les larmes de leur corps, implorant R’hllor de convaincre George R. R. Martin de terminer l’écriture des deux derniers tomes, l’auteur américain poursuit son petit bout de chemin sur le petit écran. Après avoir tenu son rôle de conseiller sur Game of Thrones, le voilà parti à la conquête de l’espace avec l’adaptation de sa nouvelle Nightflyers (Le Volcryn en français), publiée des années avant les péripéties de Jon Snow et ses compagnons à Westeros. Mais il aurait mieux fait de continuer à bosser sur The Winds of Winter plutôt que de perdre son temps avec ce survival spatial décevant…
À la fin du XXIe siècle, la Terre est en train de dépérir. En péril, l’humanité a construit un énorme vaisseau de colons, le Nightflyers, chargé de contacter une forme de vie extraterrestre. Cette dernière résiderait dans un aéronef baptisé le Volcryn et situé à plusieurs années-lumière de la planète bleue, en plein vide spatial. Des spécialistes embarquent à bord du navire cosmique pour leur demander de l’aide, mais plusieurs tentatives de sabotage viennent perturber leur traversée. Les membres du Nightflyers vont alors remettre en doute leur capitaine, jamais présent sur leur vaisseau, et un puissant télépathe censé communiquer avec les aliens.
The dark side of the moon
Le pilote de Nightflyers débute sur une séquence puissante et sanglante : la psychiatre Agatha Matheson (Gretchen Mol, Boardwalk Empire) envoie un message d’alerte à la Terre avant de se donner la mort en se tranchant la gorge. Quelque chose est entré dans le vaisseau et y sème la discorde, avec force effusions de sang. Pas de doute, nous sommes bien dans une œuvre labellisée “George R. R. Martin”, sauf que le soufflé retombe très vite après cette introduction glaçante.
Si la science-fiction et le survival spatial sont deux genres assez rares sur le petit écran, YouTube et Syfy ont eu l’audace (ou la malchance) de lancer quasi en même temps deux séries miroirs : Nightflyers donc, et Origin pour la plateforme de streaming. Les deux shows ont une structure narrative et un concept similaires (un huis clos dans l’espace), et partagent étonnamment les mêmes qualités et défauts, comme si elles avaient contracté les symptômes d’une grippe d’origine extraterrestre.
(© Syfy)
La série de Syfy a un budget imposant pour donner vie à son univers, ou plutôt son habitacle pour astronautes. Les décors du Nightflyers sont oppressants et labyrinthiques, quoique très industriels mais assez variés pour donner une sensation de gigantisme à leur vaisseau. On ressent une légère inspiration du côté de la première trilogie X-Men de Bryan Singer, notamment la salle de réalité virtuelle qui rappelle le Cerebro de Charles Xavier. Un peu vieux jeu donc, mais suffisamment futuriste pour être immersif et ne pas paraître cheap.
Dans la même idée, les effets spéciaux, très convaincants, donnent lieu à de superbes plans numériques où astres volants, galaxies et trips hallucinés se côtoient. Les fans de SF seront ravis de voir que le petit écran met de plus en plus les moyens pour rivaliser avec le cinéma, comme en témoignent Origin, Altered Carbon ou encore Star Trek: Discovery. Des séries visuellement splendides (Star Trek est très bien, regardez-la), mais dont le joli emballage cache un vide scénaristique et une montagne de clichés aberrants. Et Nightflyers n’échappe pas à cette malédiction.
La loi de Murphy
(© Syfy)
Comme ses consœurs spatiales, Nightflyers est complètement désincarnée. Ses personnages manquent clairement de substance et sont des clichés vus et revus (le leader charismatique, la docteure naïve, le bad boy pas si méchant, etc…). La plupart meurent tellement vite que le spectateur n’a pas le temps de s’imprégner émotionnellement de leurs états d’âme. Les acteurs, ni transcendants ni médiocres, font le job bien qu’ils aient parfois l’air un peu paumés. Il faut dire que la série, verbeuse et mal rythmée, accuse une défaillance de contextualisation pour rendre son univers accessible.
En effet, le pilote est confus dans l’exposition de son scénario. Le spectateur est bombardé d’informations dans tous les sens, entre des termes spécifiques à la série (on pense à la communauté des L-1, qui regroupe les télépathes, mais on se sait pas pourquoi il y a autant de haine contre ces mutants) et des raccourcis narratifs vite agaçants, en particulier dans une œuvre chorale.
Il y a pourtant la place à de belles métaphores, comme le personnage de Karl D’Branin (Eoin Macken), pour qui le voyage spatial représente une tentative d’échapper au deuil de sa fille. C’est une thématique récurrente en cette rentrée sérielle, en particulier traitée par le prisme de l’horreur (Sharp Objects, The Haunting of Hill House, The Terror). Dommage que les émotions n’interviennent jamais dans cette intrigue finalement soporifique…
Le pilote de Nightflyers souffre aussi d’un montage maladroit, voire peu inspiré. Si la scène d’intro est violente et percutante, elle inscrit d’emblée la série dans les arcanes de la loi de Murphy. On saisit dès les premières minutes le manque d’enjeu de ces dix épisodes, où le personnage principal meurt dès l’ouverture et que ses petits camarades sont voués au même sort macabre, empêtrés dans une surenchère de séquences d’extermination proches du torture porn. A-t-on vraiment envie de se flageller les rétines pendant dix heures alors que l’année sérielle était déjà assez déprimante et que l’émotion manque à l’appel ? Personnellement, je préfère prendre la tangente avec la capsule de secours.
En France, la première saison de Nightflyers sera disponible prochainement sur Netflix.